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Expulsion de ceux qui vivent sur le tracé du Metro Express : un drame humain avec la date butoir

Azam Rajabally Azam Rajabally entouré de ses proches devant sa maison.

Il  y a pire dans le monde, mais le délogement de ceux qui habitent sur le tracé du Metro Express est tout aussi un drame humain. D’autant que la date butoir de démolition est presque au seuil de leur porte.

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Shirin, 59 ans, née à Maurice, habite maintenant en Angleterre. Suite au décès de son mari, elle est revenue au pays pour jurer des affidavits. C’est là qu’elle apprend que suite au démarrage du projet Metro Express, tous ceux qui habitent sur le tracé du projet devront évacuer leurs terrains. Shirin affirme que cela « lui causera un gros problème sur un plan humanitaire. » « Je suis propriétaire de plusieurs appartements à Résidence Barkly. Je loue l'un d’eux à un vieux couple octogénaire. Je n'ai pas le courage de leur demander de partir. Où vont-ils aller ? Quand la vieille dame a appris, par d'autres sources, que son mari et elle devront partir, elle est tombée malade. Cela me fait de la peine », indique notre interlocutrice.

En fait, les autorités n'ont pas demandé à Shirin d’évacuer les lieux, mais de seulement démolir la salle de bains et les toilettes du bâtiment occupé par lesdits locataires. Cette partie du terrain serait du domaine public, sur une longueur de 40 mètres. « Pour moi, cela revient au même. Si je dois démolir la salle de bains et les toilettes, que fera le couple ? Comment pourrais-je rebâtir un nouveau bloc toilettes-salle de bains ? On m'a informé que je recevrais la visite d'un ingénieur pour trouver une solution. J'attends ce monsieur », déclare Shirin.

Et d’ajouter que cette situation lui met une pression énorme sur les épaules, d'autant qu'elle est seule à Maurice et qu’elle doit s'occuper de toutes les formalités nécessaires.

Une cour qui n’existera plus bientôt.

Idriss, 78 ans, est mandataire de son frère, âgé de 86 ans, qui vit en Angleterre et qui est propriétaire d'un bâtiment situé à Barkly. Ce qui agace le plus Idriss, « c'est que les autorités traitent mon frère comme un squatter. On m'a dit que je squatte un terrain de l'État. Comment est-ce possible, je possède un contrat de propriété et un plan du terrain en bonne et forme établi par un arpenteur juré », proteste-t-il.

Selon une mise en demeure (notice) servie par le ministère du Logement et des Terres, Idriss est invité à démolir un mur. Ce dernier regrette la manière de faire des autorités. « Cette mise en demeure ne porte aucun en-tête. Elle ne ressemble aucunement à une correspondance officielle. Je ne sais même pas à quelle adresse dois-je répondre… »

Puis, le septuagénaire a reçu une correspondance du ministère des Infrastructures publiques l’invitant à une rencontre, individuelle, à la Moorgate House pour discuter de l’acquisition de son terrain sous la Compulsory Land Acquisition Act. « Une fois de plus, le courrier ne portait aucun en-tête. Une salle de conférences n'est pas l'adresse du ministère que je sache. Ce sont des manières de faire qui frisent l’amateurisme ! Puis, de quelle 'land acquisition' parle-t-on ? Il s'agit seulement de démolir un mur », peste le vieil homme.

Autre remarque : toutes les ‘notices’ qui lui ont été adressées mentionnent une superficie libellée en multiples de 10. « Cela ressemble vraiment à un travail bâclé, juste pour faire pression sur les pauvres gens », soutient-il.

Anecdote : Idriss a connu l'époque des trains à Maurice. Il relate qu'arrivé à hauteur de sa maison, le train roulait si lentement qu'il pouvait sauter et rentrer directement chez lui ! « D'ailleurs, mon nom est mentionné par Tristan Breville dans son livre Le dernier train : un romanquête (2005) ».

La famille d’Annick, 47 ans, vit à La Butte. « Mon père et mon frère habitent en ce lieu depuis cinquante ans. Moi, j'y ai grandi depuis l'âge de six ans. Maintenant, j'habite en France. J'ai dû rentrer précipitamment en raison de la santé déclinante de mon père. Depuis qu'il a appris qu'une portion de sa cour lui sera amputée, il est tombé malade », témoigne-t-elle.

« Ce que je conteste farouchement, c’est que mon père est traité comme un vulgaire squatter, alors que ce n'est pas le cas », s’insurge Annick. « Il possède un contrat régulier et il ne souhaite pas céder les 30 mètres carrés exigés des autorités. Autant que je le sache, il n'y a eu aucune étude du terrain. A-t-on examiné la topographie des lieux? Cette région est minée par des glissements de terrain. Si des fouilles ont lieu, des maisons voisines risquent de s'écrouler », affirme-t-elle.

Annick de confier que sa mère est décédée en 2014 en raison d’un stress lié à ce problème. « La menace planait sur nos têtes. Maman se faisait du souci pour mon père. Elle a succombé à une congestion cérébrale, elle qui était pourtant une femme forte. »

Azam Rajabally

Azam Rajabally habite la rue Monseigneur Leen, La Butte, depuis 37 ans. Sa famille possède deux bâtiments érigés sur un terrain de 212 mètres carrés. Sa maison comporte quatre chambres à coucher, un salon, une salle de bains et des toilettes. Une enceinte clôture la cour qui inclut un espace vert et des arbres fruitiers (manguiers, cocotiers, bananiers et autres). Devant l’immeuble, un bureau d’affaires avait été aménagé. La famille avait le projet de bâtir en hauteur.

« Il y a trois mois, les autorités nous ont avertis qu’on devait partir. Depuis, toute la famille est bouleversée. Ce n'est pas que nous attachons de l’importance aux choses matérielles, mais c'est un attachement sentimental. Mon père s'est installé ici. Il a travaillé dur pour construire une maison pour sa famille. Personnellement, je suis attaché à tous ces souvenirs, à tout ce qu'il a entrepris en ce lieu. L’idée de voir tout cela effacé à jamais me fait mal. Je ne veux pas le vivre », confie Azam.

« Mon épouse et mes deux enfants, âgés de 30 ans et 20 ans, vivent un cauchemar depuis trois mois. Ma femme vit un stress permanent et souffre d’hypertension », ajoute Azam, lui-même diabétique. « Je veille aussi sur ma sœur malade. L'hôpital est à quelques minutes de la maison, c’est une facilité très appréciable. »

Outre de se séparer de cet environnement qu'il chérit tant, Azam concède qu’il lui sera très difficile de vivre loin de ses voisins, avec lesquels il a tissé des liens très solides, et de ses habitudes dans le quartier. « Quitter tout ça à 57 ans, c’est vraiment très dur. Je serai déraciné et il me faudra tout reconstruire à zéro...», déclare-t-il les yeux humides.


La Butte : une quinzaine de familles expulsées

Une maison qui sera démolie à La Butte.

La quinzaine de familles de La Butte a affronté ensemble plusieurs catastrophes naturelles : grands cyclones, glissements de terrain et inondations du 31 mars 2013. Des observateurs affirment que l’on va au-devant d’une catastrophe de grande ampleur avec la concrétisation du projet Metro Express. C’est aussi la conviction du groupement Debout Citoyen qui regroupe ces habitants concernés.

« Selon le rapport de JAIKA, aucune construction ne devrait voir le jour au bord de la montagne. Comment le gouvernement peut-il venir avec le projet Metro Express ? Ne va-t-on pas vers une catastrophe annoncée si l’on fait passer le métro dans cette zone dangereuse ? », se demandent les résidents.

« Suite aux glissements de terrain, Jaika a fait installer des pylônes d’acier pour protéger les maisons. Certaines maisons sont fissurées et ne peuvent être réparées. Lors des prochaines fouilles, il y aura inévitablement des chocs, des vibrations et ces maisons risquent de s’écrouler. Les habitants ont peur. Même s’ils ne sont pas directement concernés par le tracé du Metro Express, leurs maisons seront touchées », déclare Azam.

« On amputera 30 mètres du terrain du voisin. Le métro passera à moins de cinq mètres de sa maison. D’après les normes internationales, il faut prévoir une zone tampon de 100 m entre la maison et la ligne de métro, pour éviter les dangers liés aux vibrations, à la pollution environnementale et la pollution sonore », ajoute Azam.

Debout Citoyen et les habitants de la région insistent que le terrain est abîmé et très fragile. « De gros blocs de rochers se détacheront de la montagne plus haut et tomberont sur le terrain plat plus bas. »

Selon le rapport de JAIKA, aucune construction ne devrait voir le jour au bord de la montagne. Comment le gouvernement peut-il venir avec le projet Metro Express ?»

Rappelons que le rapport de JAIKA, publié en 2013-14, mentionne trois zones à risques : Montée S (GRNO), Camp Chapelon et La Butte (Mgr Leen) qui a connu des glissements de terrain. Pourtant, le métro passera par ces régions.


Me Krishna Sawoo : «La pollution sera l’ennemie no 1»

« Quelles seront les barrières de sécurité du chantier de La Butte ? Comment gérera-t-on la poussière du ciment qui augmentera considérablement les risques sur ce chantier ? Nous voulons que les autorités répondent à ces questions », déclare Me Krishna Sawoo, conseiller légal et défenseur des habitants de La Butte. « Il y a aussi des risques d’inondation, qui augmentent avec l’urbanisation sauvage que connaît Port-Louis », dit-il.

L’avocat insiste que les vibrations affecteront les maisons. « Je regrette qu’on nait pas pris le temps d’un «assessment» urgent et complet de la région. Il faut une étude des risques écologiques et produire un certificat EIA de ce site », avance-t-il. «Nous avons des propositions. Comme un métro=bus BRT. Le BRT coûtera Rs 4 milliards. Cela permettra de réduire les coûts et les problèmes. Il n’est jamais trop tard pour revoir le projet ou le tracé », ajoute l’avocat. Autre proposition : que le gouvernement mette le projet en veilleuse en attendant de boucler les négociations avec les habitants.

Louis Eddy Joson : «Le métro provoquera une rupture de la vie sociale»

« Le métro apportera des ruptures dans la vie sociale des habitants. Les Rs 9 milliards reçus de l’Inde sont destinées à la population de Maurice, pas seulement au métro », soutient Louis Eddy Joson, représentant de Debout Citoyen. Il rappelle que, dans son rapport sur les glissements de terrain à La Butte, JAIKA avait spécifié que certaines zones ne devraient pas être développées, surtout pas pour un projet de métro.

Louis Joson regrette qu’après avoir déclaré que le projet de métro était « out », sir Anerood Jugnauth ait présenté ce projet à la population. « De nombreux pays ont fait faillite avec ce système de transport. Les flyovers auraient réglé le problème de congestion routière », assure-t-il.

Anand Makoond : «Ce sera un désastre écologique»

« Le projet sera un désastre écologique pour la région. Le métro passera trop près des habitations et non pas à une distance de 100 mètres requise.» C’est ce que soutient Anand K. Makoond, opposé au projet de Metro Express et qui soutient Debout Citoyen.

« Il n’y a pas eu d’études. Qu’en sera-t-il du bruit et des vibrations émis par le chantier ? » se demande-t-il. Louis Joson et Anand K. Makoon annoncent qu’une mise en demeure sera servie la semaine prochaine contre les initiateurs dudit projet. « Ce sera pour mardi au plus tard. Elle sera déposée en Cour suprême. Nous attendons que notre avoué loge le ‘main case’ », déclarent-ils.

Anand Makoond s’interroge sur l’impact écologique du projet Metro Express et les pertes d’emplois liées au projet. Pour conclure, Anand Makoond affirme : « Dans un bus, 90 % des passagers sont assis. Dans un métro, ils ne seront plus que 25%.»

 

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