Interview

Feizal Aly Beegun, syndicaliste : «D’esclaves, nous sommes devenus des esclavagistes»

Feizal Aly Beegun

Il dit ne pas être choqué par l’état des dortoirs de Jin Fei, car il y a pire, selon le syndicaliste Feizal Ally Beegun. Il fustige en passant Shakeel Mohamed qui n’a rien fait pour les dortoirs de Fuel quand il était ministre du Travail.

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Quel est votre sentiment sur l’état des dortoirs au site Jin Fei ?
Cela ne m’a pas choqué, car il y a pire. Et Shakeel Mohamed le sait. Il a visité le camp sucrier de Fuel, transformé en dortoirs pour une usine de textile de l’Est du pays. C’était un camp où vivaient nos ancêtres esclaves et coolies. Shakeel Mohamed, du temps où il était ministre du Travail, l’avait visité avec la MBC et des journalistes. Qu’a-t-il fait ? Ses prédécesseurs aussi, qu’étaient Vasant Bunwaree, Jean-François Chaumière et maintenant Sudesh Callychurn ? Tous ces ministres du Travail sont des hypocrites, ils sont tous coupables. Shakeel Mohamed n’a pas le droit moral de pointer du doigt l’actuel ministre, car cette situation perdure depuis une quinzaine d’années. Ce sont tous des hypocrites. Puis, Shakeel Mohamed n’a pas le droit d’utiliser la religion en plein mois du Ramadan pour tirer un capital politique. Le problème de Jin Fei date d’une douzaine d’années, pas d’hier. On découvre l’Amérique sur une carte et cela me met hors de moi, depuis le temps que je crie.

Est-ce que la situation des travailleurs étrangers est si mauvaise que cela ?
À Fuel, les femmes n’ont pas d’eau à l’intérieur des dortoirs, elles doivent prendre leurs bains à la belle étoile à partir d’une fontaine. La bonbonne de gaz ménager est à l’intérieur, parce qu’ils doivent cuire à manger, car les repas qu’on leur donne ne sont pas comestibles.

On ne veut plus de ‘slums’ comme il existe à Nairobi ou au Soweto. Mais des dortoirs dignes de ce nom»

Les employés mauriciens ne traitent-ils pas bien leurs travailleurs étrangers ?
Nous sommes une nation de descendants d’esclaves et de coolies. D’esclaves, nous sommes devenus des esclavagistes. On donne des permis d’importation de travailleurs étrangers comme des petits pains, sans conditions spécifiques. Les patrons ne respectent pas les droits élémentaires humains. Sans les travailleurs étrangers, le Fonds national de pension aurait longtemps été épuisé. On a besoin de la main-d’œuvre étrangère, mais il faut un traitement à visage humain à leur égard.

Ils sont à combien actuellement ?
On dénombre, rien que pour la zone franche, plus de 32 000. Sans eux, on pourrait dire adieu à la zone franche. D’ici deux ou trois ans, on aura besoin d’environ 150 000 de travailleurs étrangers si on veut que le pays se développe. Il y a des Mauriciens dans la zone franche, mais ce sont tous des cadres. Pour cueillir les feuilles de thé, Bois Chéri a fait une demande pour importer des bras étrangers.

Avez-vous visité des dortoirs qui donnent de la nausée ?
Il y a des dortoirs qui sont corrects, comme ceux de la CMT de François Woo, même s’il y a des améliorations à apporter, mais la direction est ouverte au dialogue et nous laisse visiter leurs dortoirs et accepte nos propositions et c’est un exemple à suivre. Mais, il y a des dortoirs où on nous refuse l’accès. S’ils n’ont rien à cacher, pourquoi ce refus ? Certains dortoirs sont comme des taudis, où la moindre des choses n’existe pas. C’est d’une insalubrité inimaginable, c’est pire qu’un parc à animaux. Est-ce comme cela que Maurice traite des étrangers ? Est-ce qu’il n’y a plus une once d’humanité chez le patronat ? Que fait le gouvernement ? Accepte-t-il un esclavagisme déguisé ? Je demande au ministre de tutelle d’aller faire des visites surprises, sans le besoin de pavaner avec les caméras de la MBC, il aura le choc de sa vie. Jin Fei n’est que le sommet de l’iceberg. Il y a pire. Je le répète, nous sommes devenus des esclavagistes et c’est peu dire.

Quelle solution proposez-vous ?
Il faut s’attendre à une augmentation de la main-d’œuvre étrangère dans les années à venir. Pour cela, le gouvernement devrait obliger le patronat à construire des dortoirs décents, quitte à louer des emplacements sains avec toutes les aménités de base. On ne demande pas des châteaux, mais des dortoirs dignes de ce nom, pas des taudis, pas des ‘slums’ comme il existe à Nairobi ou au Soweto. Ces travailleurs étrangers ne sont pas des animaux. Ce sont avant tout des êtres humains, pas des coolies, des esclaves d’un autre temps. Je passe la balle au ministre de tutelle. A lui de jouer.

 

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