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Fin de l’accord céréalier entre la Russie et l’Ukraine : se dirige-t-on vers une nouvelle flambée des prix des produits alimentaires?

Une augmentation des prix est à craindre, ce qui devrait, par ricochet, accentuer la pression inflationniste à l’échelle mondiale.
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Suite à la résiliation de l’accord céréalier entre la Russie et l’Ukraine la semaine dernière, les prix des céréales ont déjà commencé à augmenter sur le marché mondial. Face à cette situation, quelles seront les répercussions sur les prix à Maurice ? Y a-t-il des risques de pénurie de certains produits ? Et comment peut-on se préparer pour éviter les difficultés que nous avons déjà connues avec la pandémie ? Le point.

La situation tendue perdure entre la Russie et l’Ukraine. Dans la nuit du dimanche 23 juillet, la Russie a attaqué les infrastructures portuaires du Danube. Les forces armées ukrainiennes ont déploré la destruction de graines et de réservoirs de stockage. Dans la foulée, Klaus Iohannis, président de la Roumanie, a indiqué dans un tweet que ces récents événements sont problématiques pour la sécurité de la Mer noire. Cette situation pourrait, selon lui, affecter « le transit des céréales de l’Union européenne et donc la sécurité alimentaire mondiale». Et la Russie n’abdique pas. 

Dans ce conflit persistant, l’accord céréalier, qui avait été signé en juillet 2022 et qui permettait la réouverture des exportations agricoles ukrainiennes par voie maritime, est désormais remis en question puisqu’il a expiré la semaine dernière. La Russie a décidé de ne pas le prolonger, cherchant ainsi à promouvoir ses propres exportations de produits agricoles et d’engrais.

Les conséquences

Les experts et économistes expriment ouvertement leur inquiétude face à l’évolution de la guerre en Ukraine. En effet, cette situation avait déjà entraîné une hausse significative du cours du blé en 2022, atteignant près de 400 euros la tonne sur le marché européen. Sunil Boodhoo, directeur de l’International Trade Division au ministère des Affaires étrangères, redoute que la décision prise par la Russie  perturbe l’offre de céréales, créant ainsi un déséquilibre entre l’offre et la demande et entraînant une flambée des prix. « Étant donné que les céréales sont également utilisées comme intrants dans d’autres produits, il faut s’attendre à une augmentation des prix de ces produits, ce qui contribuera à accentuer la pression inflationniste à l’échelle mondiale », indique-t-il.

Selon l’économiste Ganessen Chinnapen, la situation conflictuelle actuelle pourrait déstabiliser le marché mondial des céréales de manière significative. Il estime qu’il existe un risque réel de perturbations et de ruptures sur ce marché, étant donné que l’Ukraine joue un rôle majeur en tant que producteur et distributeur de ces produits. « Étant un entrepôt de production mondiale de céréales, toute attaque contre l’Ukraine pourrait entraîner des répercussions importantes et néfastes sur l’approvisionnement mondial en céréales », dit-il.

Certes, indique Sunil Boodhoo, Maurice n’importe pas directement de l’Ukraine, toutefois, les effets de la flambée des prix mondiaux pourraient se faire ressentir dans le pays. De son côté, Manisha Dookhony, économiste, rappelle que le prix du blé est contrôlé à Maurice. Il conviendrait d’observer l’évolution des prix dans les deux à trois semaines à venir pour déterminer la véritable tendance. « Il est important de noter que Maurice, que ce soit par les autorités ou les opérateurs privés, n’importe pas le blé ou les céréales quotidiennement. De plus, il convient de souligner que le marché avait déjà réagi à l’annonce de la suspension de l’accord céréalier deux semaines avant son expiration. Bien que les prix aient augmenté, cela n’a pas entraîné la même flambée des prix qu’en 2022 », précise Manisha Dookhony.

Sunil Boodhoo, directeur de l’International Trade Division au ministère des Affaires étrangères, Ganessen Chinnapen, économiste et Manisha Dookhony, économiste.
Sunil Boodhoo, directeur de l’International Trade Division au ministère des Affaires étrangères, Ganessen Chinnapen, économiste et Manisha Dookhony, économiste.

Les solutions

Dans un rapport s’intitulant « Perspectives de l’économie mondiale », publié en avril dernier, le Fonds Monétaire International (FMI) projetait que « l’inflation globale mondiale chute de 8,7 % en 2022 à 7 % en 2023 ».  Cependant, la décision de la Russie d’attaquer l’approvisionnement ukrainien de céréales intervient après ses prévisions. Selon Statistics Mauritius, le taux d’inflation au pays en juin dernier était de 7,9 % contre 9,6 % lors de la période correspondante en 2022. 

Vu que notre île est isolée, elle importe une grande partie de ses produits de base, Ganessen Chinnapen est d’avis qu’il faudra trouver une continuité dans le ravitaillement de ces derniers. « Nous devrons regarder les marchés régionaux et nous réorienter vers la Chine, l’Inde, l’Australie ou encore l’Afrique du Sud. Ce sont des marchés qui proposent également des céréales », fait-il ressortir. Manisha Dookhony abonde dans le même sens et précise qu’il y a aujourd’hui une variété dans la source d’approvisionnement mondial des céréales.

Par ailleurs, Ganessen Chinnapen considère ce refus de la Russie de prolonger l’accord céréalier comme une bénédiction déguisée pour Maurice. Le moment est venu, poursuit-il, d’explorer le potentiel des accords de libre-échange dont Maurice a signé avec des pays, notamment l’Inde, la Chine, la Turquie et les États africains pour le commerce des produits de base. 


Trois questions à … Takesh Luckho, économiste : « Maurice doit trouver des sources d’approvisionnement alternatives »

Takesh Luckho

Quelles sont les conséquences de la fin à l’accord céréalier de la Russie avec l’Ukraine ?
La fin de l’accord céréalier signifie que la Russie va, à court terme, retirer ses garanties de sécurité pour le corridor maritime construit en mer noire. De juin 2022 à ce jour, cet accord a permis la transportation de 33 millions de tonnes de céréales depuis la région pour alimenter le marché international. Avec les nombreux bombardements sur le port d’Odessa et ses alentours - qui ont réduit l’approvisionnement des fournisseurs sur le marché - les prix des céréales comme le blé et le maïs n’ont pas tardé à prendre l’ascenseur. Certains experts chiffrent déjà des augmentations à 8 % du prix moyen. Maurice n’échappera certainement pas à cette tendance. Avec une production interne insuffisante, on va payer nos prochaines importations de blé et de maïs plus cher que précédemment avec un impact direct sur le coût de la vie.  

Éventuellement, doit-on craindre une pénurie d’autres produits alimentaires faits à partir du blé ?
Il est encore un peu trop tôt pour affirmer qu’il y aura une pénurie de produits à base de céréales sur les marchés locaux et internationaux. Cependant, il est certain que les prix vont augmenter. Il est important de noter que la Russie reste le principal fournisseur de blé alimentaire. Après le début du conflit russo-ukrainien, la part de marché de l’Ukraine a chuté de moitié. Avec des récoltes dépassant les moyennes saisonnières, le blé russe a déjà commencé à remplacer celui qui provenait d’Ukraine dans de nombreux pays à travers le monde. Vladimir Poutine a même assuré que son pays serait en mesure de couvrir facilement la demande en céréales des pays africains et d’autres États à faible revenu.

Quelles sont les précautions que les autorités mauriciennes doivent prendre pour protéger la population ?
Il n’existe pas de solution ou de formule miracle pour empêcher complètement cette hausse des prix et protéger la population. Les autorités mauriciennes devront donc explorer des sources d’approvisionnement alternatives en dehors de la région russo-ukrainienne. L’option d’une production interne n’est pas viable compte tenu de l’orientation actuelle de l’économie mauricienne vers les secteurs des services. Cependant, il existe des pays amis de longue date tels que les États-Unis, la France ou le Canada, qui sont d’importants fournisseurs de blé et de maïs sur le marché international.  Les autorités pourraient chercher à renforcer les partenariats avec ces pays pour diversifier les sources d’approvisionnement et atténuer l’impact de la hausse des prix des céréales sur le marché local.

Les prix des céréales n’ont pas tardé à prendre l’ascenseur."


Les importateurs réagissent

Pritam Dabydoyal, directeur de P&P International.
Pritam Dabydoyal, directeur de P&P International.

Le directeur de P&P International, Pritam Dabydoyal, soutient que face à cette situation, une chose est sûre. « La fin de l’accord va réduire l’offre des céréales sur le marché mondial, donc les prix vont augmenter. Cette hausse se fera ressentir sur le marché local. Par ailleurs, avec les bombardements sur le port d’Odessa, nous n’allons pas prendre de risques d’importer de cette région », poursuit-il.
Au niveau de Panagora Marketing,  Yovan Jankee, Sustainability & Communication Manager, est d’avis que la Russie utilise l’alimentation comme une arme géopolitique. « C’est plus ou moins la même stratégie que l’an dernier au début de la guerre », fait-il remarquer. De surcroit, il avance qu’en plus des stocks ukrainiens détruits ou indisponibles, il faut aussi tenir compte de l’impact de El Niño, un phénomène climatique particulier qui se caractérise par des températures anormalement élevées de l’eau dans la partie est de l’océan Pacifique Sud. « On peut clairement craindre des hausses des cours mondiaux qui se répercuteront partout, y compris à Maurice », affirme-t-il.

Pénurie en vue ? 

Selon Pritam Dabydoyal, le conflit russo-ukrainien en cours pourrait également perturber l’approvisionnement d’autres produits alimentaires, notamment l’huile comestible. C’est pourquoi il estime que les autorités mauriciennes doivent prendre des mesures de précaution pour éviter d’éventuelles pénuries.

Yovan Jankee, Sustainability & Communication Manager de Panagora Marketing.
Yovan Jankee, Sustainability & Communication Manager de Panagora Marketing.

« Après la pandémie, notre compagnie P&P a collaboré avec Wilmar, l’une des plus grandes entreprises spécialisées dans la distribution de produits alimentaires à travers le monde. Nous avons importé de l’huile haut de gamme pour répondre aux besoins du marché local », indique-t-il. Cependant, face aux risques d’importation à l’horizon, il affirme que sa société n’est pas en mesure de conclure d’autres contrats pour le moment. « Les circonstances demeurant incertaines, nous ne pouvons pas prendre de décisions à long terme pour les mois à venir », soutient-il.

Selon Yovan Jankee, il est essentiel de ne pas généraliser la question d’une éventuelle pénurie. « Chaque catégorie de produits a ses spécificités et il convient de ne pas agiter sans discernement le spectre de manque. Pendant la période de la pandémie de Covid-19, la crainte de ne pas avoir des produits a parfois créé des pénuries artificielles », explique-t-il.

De plus, notre interlocuteur indique que les autorités ne disposent pas d’une marge de manœuvre importante. « Maurice se trouve dans une situation économique complexe, même si le déficit de la balance des paiements semble diminuer. Il est désormais crucial que tous les acteurs, qu’ils soient publics ou privés, fassent preuve d’agilité et de bonnes relations avec les fournisseurs afin de sécuriser les approvisionnements aux meilleurs prix possibles », souligne-t-il.


Relation Russie-Afrique

Manisha Dookhony adopte une perspective différente sur la question. Elle met l’accent sur le mot « suspension » de l’accord céréalier et pense à une reprise éventuelle. Selon elle, la déclaration de Vladimir Poutine concernant les collaborateurs africains, dont plusieurs importent des céréales, indique que la Russie a besoin du soutien de ces pays et ne peut se mettre à dos ses partenaires africains. De ce fait, elle estime que la pression exercée par les pays africains pourrait conduire à un nouvel accord céréalier entre la Russie et l’Ukraine à l’avenir. 

 

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