Législatives 2019

François de Grivel, industriel et chef d’entreprise : «Les candidats aux élections demandent désormais de l’argent liquide» 

François de Grivel, 75 ans, a vécu toutes les élections depuis l’indépendance du pays. En sa qualité d’homme d’affaires, il a suivi l’évolution de la demande des politiciens en temps d’élections, ainsi que leur attitude envers le secteur privé et vice versa. Dans cet entretien réalisé à son bureau à Goodlands, il s’explique sur ces changements, la valeur d’une contribution et le changement de l’électorat. 

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Quel type de relation entretenez-vous avec le gouvernement ? 
Bien avant la décision du Premier ministre (sortant ; NdlR) d’annoncer des élections, j’ai rencontré des politiciens. Ils m’ont vu ou m’ont rencontré. Je les connais tous. Au niveau de la région et aussi au niveau national, je rencontre un certain nombre de ministres de ce gouvernement avec lesquels nous dialoguons sur des domaines l’économie mauricienne. 

Le Premier ministre (sortant ; NdlR), Pravind Jugnauth, était trop pris par un certain nombre de tâches nationales. Ce n’était pas très facile de le rencontrer. J’avoue qu’on rencontrait plus facilement sir Anerood Jugnauth. 

Au niveau national, je me suis entretenu avec des ministres pour assurer un développement industriel et économique dynamique. Nous savons que pour créer des emplois, il faut une industrie. Mais on n’a pas créé suffisamment d’emplois. Quand nous créons une activité industrielle, on ne trouve pas de main-d’œuvre locale. Il faut en chercher à l’étranger. 

En période électorale, sous quelles formes se présentent ces rencontres ? 
Pour les précédentes élections, on se rencontrait et on se parlait. Nous sommes prêts à considérer une aide. Ça coûte une élection. Mais quand il y a un vrai programme et que ces activités politiques sont dans l’intérêt national, pourquoi ne pas aider ? Le secteur privé cherche à aider les partis politiques. J’ai participé à des réunions du privé pour dire quels sont la politique et le concept d’aide. 

Les donations sont-elles motivées par le manifeste électoral d’un parti aspirant à former le prochain gouvernement ? 
C’est un aspect. Mais il y a le fait qu’ils ouvrent leurs livres de comptes pour savoir le montant reçu et les dépenses, et dans quel segment. Les partis sur le plan régional ne sont pas  bien structurés pour décrire les rentrées de fonds et les dépenses. Parfois, les dépenses ne sont pas comptabilisées comme elles le devraient. Dans ce cas, c’est gênant pour nous. 

En quoi est-ce gênant ? 
L’argent peut avoir été distribué à X, Y ou Z afin d’obtenir des votes. Or, ce n’est pas le but. L’objectif est de voter pour quelqu’un qui représente une activité qui sera constructive. Distribuer de l’argent pour avoir des votes pour que rien de concret n’ait lieu par la suite serait très embarrassant. 

Quel est le modus operandi des politiciens en quête de soutien financier ? Demandent-ils Rs 100 000 ou Rs 200 000 en cash ou par chèque ? 
La plupart du temps c’est du cash. Au début, soit 30 ans auparavant, je trouvais que c’était très bien d’offrir une aide aux chefs des partis. Avec le temps, cela ne se passe plus de cette façon. La demande est individuelle. Un candidat aux élections demande du cash. C’est très gênant. Avec le cash, il n’y a pas de repères. Le secteur privé préfère donc contribuer une certaine somme, de manière officielle, sous forme de chèque au parti politique. Mais nous n’avons pas de contrôle sur les dépenses.

Chaque candidat requiert entre un ou deux millions de roupies pour financer sa campagne électorale. Ce sont des sommes importantes qui peuvent aller jusqu’à Rs 120 millions. Les grandes sociétés privées offrent Rs 1 million ou Rs 2 millions, une somme répartie en trois ou plus. Nous parlons là des législatives de 2014. 

Dès le début du prochain mandat, qu’on réfléchisse à la législation des politiques."

Donc, les grands groupes se rencontrent et tombent d’accord sur l’aide à offrir ? 
Ils se mettent d’accord pour aider. Mais chacun est libre sur le montant qu’il souhaite donner. Qu’il s’agisse de Rs 500 000 ou de Rs 5 millions, c’est son choix personnel, déterminé par la dimension de sa firme, sa capacité de financement et son domaine d’activité. 

Domaine d’activités, dites-vous ?
Si les activités sont 100 % mauriciennes, c’est compréhensible. Si les activités sont à 75 % drivées par l’étranger et 25 % sur le plan domestique, les partis politiques ne recherchent plus la même aide. 

N’est-il pas temps que Maurice adopte un mécanisme de levée de fonds à l’américaine ? 
Je suis d’avis que ce serait une approche très ouverte de tenir de grandes levées de fonds officielles. Sauf que nous ne sommes pas aux États-Unis ni en Europe. Nous sommes en Afrique. Maurice n’a certes pas la mentalité africaine. L’économie est plus développée. Mais en même temps, notre attitude mauricienne ne consiste pas à tenir de grandes réunions où chacun contribuerait Rs 10 000 ou 
Rs 30 000. Ce n’est pas dans la mentalité. Nous sommes dans une relation de one-to-one, de discrétion et de respect humain.

Quid d’une formule hybride ?
Cela pourrait être une formule à mettre en place. C’est dommage qu’on n’ait pas voté une loi permettant à tout le monde d’aider. Je suis convaincu qu’aujourd’hui, avec notre économie, un certain nombre est disposé à agir dans cette direction. D’autres, en l’absence d’une loi, ne veulent pas le faire. 

Existe-t-il une crainte ou une appréhension quant aux fonds ? Est-ce au niveau de l’entrepreneur ou du politicien ?
Le donateur ne veut pas dire à qui il a remis de l’argent. Nous sommes disposés à aider. Celui qui reçoit peut se demander pourquoi il n’a reçu que Rs 100 000 tandis qu’un autre a obtenu 
Rs 250 000. Cela génère donc un conflit entre eux. Le secteur privé ne veut pas faire de différences. Si, par exemple, on donne Rs 100 000 à un parti, la même somme sera remise aux cinq autres. Le récipiendaire ne veut pas donner l’impression qu’il a reçu un montant supérieur. Question de réserve et de confidentialité.

L’argent du secteur privé dont nous discutons provient-il des profits, des revenus ou des fonds tombant sous le Corporate Social Responsibility ? 
Soit c’est personnel, soit des fonds de la firme. Si l’argent est celui de l’entreprise, cela se reflétera dans les comptes audités. L’argent est officiellement dans les comptes des partis. Nous souhaitons que la  transaction soit officielle. L’argent ne vient pas des profits. Si la MRA n’accepte pas ces dépenses – la loi sur le financement politique n’a pas été votée – l’argent est taxable.

Quand un industriel contribue de sa poche ou que le groupe accepte de financer les politiques, s’attend-il à une contrepartie, telles que l’acceptation de ses demandes de permis ou de projets ? 
Si un secteur espère que l’aide qu’il apporte permettra de résoudre ses problèmes, que ce soit un permis de construction, des permis d’exploitation ou des développements dans les finances, on peut le comprendre. Comparé aux directeurs et aux firmes étrangères, les Mauriciens cernent le contexte local. Les Mauriciens qui financent estiment que cela vise à créer des relations fortes avec le député qui est élu et l’entreprise généreuse. La seconde partie est de se dire que ces députés travaillent pour le pays, donc à notre avantage. C’est pour cette raison qu’on est disposé à aider un ou deux, voire trois partis.

Je ne suis pas dans cet état d’esprit. Je suis contre toute contribution non officielle au cours de notre vie économique. Nous sommes là pour le dialogue et la recherche de solutions tous ensemble dans l’intérêt commun de l’État et du secteur privé. L’important ce n’est pas de donner de l’argent pour un résultat (immédiat), mais que le candidat qu’on a aidé rencontre le succès à ces élections et apporte des résultats concrets. 

Au fil des élections, avez-vous constaté si les politiciens et les candidats sont devenus plus gourmands en termes de demandes ? 
J’ai l’impression que cette période électorale est le moment pour eux d’aller chercher le maximum de financement possible. Les grands partis ont constitué des réserves qui ne proviennent pas du secteur privé. Le secteur privé n’a pas de fonds d’aide permanent. Je n’ai pas l’impression que le politicien met l’argent dans sa poche. Il veut être élu. Il cherche des moyens financiers externes pour y parvenir. Il n’y a pas de surenchère. L’approche doit être ouverte et officielle. Il ne doit pas avoir de secrets. 

Si nous avions une loi-cadre pour les élections et pour les politiques, croyez-vous que la politique aurait été une activité plus saine et respectée ?
Avec une législation portant sur l’aide et les dépenses, ce serait propre et net. C’est bien d’avoir une structure et une loi qui s’assurera qu’on n’enfreindra pas les règlements. Dès le début du prochain mandat, quel que soit le gouvernement, qu’on réfléchisse à la législation et qu’on la mette en place. Tout le monde sera content. 

 

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