Interview

François de Grivel : «Le salaire seul ne compte pas»

François de Grivel

Ce chef d’entreprise possédant plus d’une quarantaine d’années d’expérience aurait souhaité davantage de consultations avant même la promesse d’une révision salariale, pour le bien économique du pays. François de Grivel argue qu’offrir une compensation salariale n’est pas une panacée, car il y a tant d’autres facteurs à considérer.

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Pour la toute première fois, un gouvernement propose le concept de la « Negative Income Tax (NIT) » et mettra la main à la poche. Qu’est-ce que cela apportera à la communauté des employés du secteur privé ?
La Negative Income Tax a été introduite depuis peu et je n’ai pas compris son impact. Est-ce une mesure économique ou politique ? Car, évidemment, cette mesure concerne les personnes qui touchent moins de Rs 9 000 mensuellement et qui sont à plein temps. C’est un avantage social pour ceux concernés, mais j’aurais préféré qu’il y ait eu des négociations plus globales entre les secteurs privé et public sur ce concept de la NIT et la compensation salariale, afin de mieux comprendre l’impact de ces décisions sur l’économie du pays. Car ces compensations ont un coût pour le gouvernement, et par ricochet, les imposables.

Ces ajustements vont coûter pas moins de Rs 3,5 milliards au pays…
Effectivement, le coût de Rs 3,5 milliards est important. Mais est-ce si important de l’avoir fait ? Je me pose encore la question.

Les syndicats avancent que le calcul serait faussé, si ce quantum du salaire minimal est indexé sur l’ensemble du salaire (allocations, heures supplémentaires, etc.) au lieu du salaire de base et ne veulent pas entendre que la NIT et le salaire minimal soient liés. Que leur répondez-vous ?
Les syndicalistes ne veulent pas que soient liées ces deux composantes. à la fin de cette année, il y aura une compensation salariale décidée à la fois par le gouvernement, les syndicats et le patronat. Si on avait intégré la NIT et la compensation salariale, au final, le quantum aurait été moins élevé. Il y aura une augmentation de Rs 360 across the board en sus de la NIT. Pour les salariés touchant Rs 9 000 par mois, c’est un avantage que je ne conteste pas. Je maintiens, toutefois, qu’il faut voir dans une plus grande perspective, eu égard à notre économie nationale.

Ces syndicalistes qui crient à tue-tête devraient-ils avoir cette même perspective, selon vous ?
Personnellement, c’est un sujet complexe. Les discussions sur la compensation salariale ont duré moins d’un mois, avant que l’on arrive à un chiffre global et unilatéral de Rs 360. Ces discussions tripartites auraient dû démarrer depuis août/septembre et on serait tombé d’accord sur un taux de compensation raisonnable pour l’économie du pays. Certains syndicalistes connaissent les vrais problèmes auxquels le pays fait face et ne sont pas aveugles. On a eu, en même temps, la compensation salariale et la NIT, qui seront payées des deniers publics, soit par vous et moi.

Est-ce de la largesse ou le gouvernement veut-il se montrer un tant soit peu généreux pour faire passer certaines pilules ?
S’il y a une action économique derrière ces décisions, il n’y a aucun problème majeur. Même dans ce cas, il y a un coût derrière et les contribuables devront casquer.

Vous admettez quand même que certains employés sont mal payés…
Si la plupart des entreprises mauriciennes apportaient une valeur ajoutée à leurs produits, il n’y aurait eu aucun mal à gonfler les salaires, du fait que le patronat aurait pu amortir les coûts. Je prends, pour exemple, Singapour : les entreprises sont sophistiquées et les salaires moyens avoisinent $ 13/heure, alors qu’à Maurice, ils sont de $ 3/heure. Si le pays allait dans la direction de la sophistication de la technologie industrielle, on naviguerait dans un autre domaine de l’économie.

Le secteur du textile, les micro-entreprises et les PME pourraient-ils soutenir un salaire minimal ?
On parle ici d’une augmentation salariale pour tous les secteurs. Il aurait été raisonnable et judicieux que les entreprises qui peuvent payer le font et d’autres pas. Je fais ici référence aux petites et moyennes entreprises (PME), qui sont une importante composante dans notre économie et qui emploient entre 5 et 30 personnes chacune. Ces PME font de réels efforts pour supporter les coûts de sans cesse grandissants à tous les niveaux, main d’œuvre et production comprises. Malgré toute leur bonne volonté, certaines PME trouveront la pilule de la compensation across the board quelque peu amère.

Y a-t-il un risque de délocalisation de certaines entreprises, ce qui pourrait plomber davantage le taux du chômage ?
Les PME ne peuvent délocaliser facilement. Elles sont rattachées également au pays. Je milite en faveur d’un tel développement dynamique. La délocalisation, si elle se fait, sera pour le secteur du textile principalement. Déjà, certaines entreprises sont parties s’implanter ailleurs pour développer leurs activités industrielles, tout en gardant un pied à Maurice. Si les coûts de production sont trop élevés et que les produits n’ont aucune valeur ajoutée, la délocalisation est inévitable. Mais pour le moment, on n’en est pas encore là. La question est celle-ci : que se passera-t-il dans dix ans ?

Et le chômage dans tout cela ?
Le taux du chômage s’est stabilisé. Officiellement, il est de 8 %, mais la réalité est que ce chiffre serait de 4 %. On manque de main-d’œuvre qualifiée chez nous. Maurice connaît une crise de l’emploi : ceux existant ne trouvent pas preneurs, faute de personnel qualifié et expérimenté, d’où le besoin de recruter des travailleurs étrangers.

Revenons-en au salaire minimal. Celui qui adopte ce concept économique le fait rimer avec productivité. Serait-ce également le cas à Maurice ?
La productivité fait partie d’une composante de toutes les entreprises. Le travail est toujours suivi d’un bon salaire et d’une récompense.

C’est la carotte tendue aux employés ?
Pour que le travail soit plus productif, il faudrait une bonne attitude de l’employé au sein de son entreprise.

Ce qui ne serait pas le cas, selon vous ?
Il n’y a pas suffisamment de commitment de la part des employés. Ce constat est valable autant pour le secteur public  que privé.

Il faudrait que, du côté des employeurs, on fasse aussi un effort en termes de salaires, avec la mise en place d’un environnement convivial et avenant pour les employés, ce qui ne serait pas souvent pas le cas, selon certains syndicalistes…
Les conditions salariales sont régies par des lois et le patronat les respecte pour la grosse majorité. Le dialogue existe entre le gouvernement et le secteur privé, de même qu’avec le ministère du Travail. Pour ce qui est de l’environnement au travail, il y a déjà des choses en place dans la plupart des entreprises, comme des facilités de transport privées et des espaces communs conviviaux. Tout est en fonction du désir de réussir.

 

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