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GGIR Bill: la contestation devant la Cour suprême fait débat

Le projet de loi sur l’enrichissement inexpliqué a été voté, le jeudi 3 décembre 2015. Les députés du MMM se sont abstenus, car le parti ne souhaitait pas que le texte soit voté avec une majorité de trois quarts pour les besoins d’une éventuelle contestation devant la Cour suprême. Un argument que Me Doogesh Ramsewak, Queen’s Counsel et ancien Directeur des poursuites publiques (DPP), dit ne pas comprendre le fondement. « La validité de toute loi peut être contestée devant la Cour suprême », martèle-t-il. Pour Me Doorgesh Ramsewak, il suffit qu’il y ait des raisons valables pour contester la légalité ou la constitutionalité d’une loi devant la plus haute instance judiciaire du pays. L’ancien DPP précise, d’autre part, que la majorité de trois-quarts n’est qu’un garde-fou administratif prévu dans la Constitution. « Certaines lois ou certains amendements à la Constitution requièrent bien plus qu’une simple majorité à l’Assemblée nationale, soit un vote de trois-quarts ou de deux-tiers des parlementaires. Sans la majorité prescrite dans la Constitution, une loi ne sera pas valide », explique Me Doorgesh Ramsewak. Un avis que Me Reza Uteem du MMM ne partage pas. L’avocat parlementaire, qui s’est abstenu lors du vote sur le Good Governance and Integrity Reporting Bill, le jeudi 3 décembre, tout comme les autres députés de son parti, affirme qu’il faut situer la déclaration de Paul Bérenger dans le contexte de l’article 8 (4A) (a) de la Constitution. « Nous avons exprimé nos craintes car cette loi concerne la confiscation des biens d’un individu. Il ne s’agit pas uniquement de biens mal acquis, mais de ceux qu’on n’arrive pas à expliquer la provenance », soutient Reza Uteem. Selon lui, l’article 8(4A) (a) dispose que la validité d’une loi sur la confiscation des biens, qui est votée à une majorité de trois-quarts, ne peut être contestée devant une Cour de justice. Toutefois, le député du MMM se demande si cet article de la Constitution est lui-même valide. « Il y a plusieurs légistes qui se posent cette question. Ils pensent que l’article 8 (4A) (a) est anticonstitutionnel », précise-t-il.
 

Vers l’amendement d’autres lois

Le Good Governance & Integrity Reporting Bill cause des dommages collatéraux. Jeudi, au Parlement, le gouvernement a accepté un « ruling » de l’Acting Sollicitor General, indiquant qu’il était anticonstitutionnel que le directeur de l’Integrity Reporting Services Agency et de l’Integrity Reporting Board soient nommés « en consultations avec le leader de l’opposition ». Selon Paul Bérenger, « le gouvernement est entré dans un engrenage constitutionnel». En acceptant que le terme « en consultations avec le leader de l’opposition » soit anticonstitutionnel, le gouvernement laisse sous-entendre que toutes les lois où ce terme est utilisé sont anticonstitutionnelles. Par conséquent, les nominations faites par ce biais sont illégales. Cela a fait l’objet d’une réunion du bureau politique spécial vendredi après-midi. Ce samedi, les mauves vont consacrer principalement leur conférence de presse à ce sujet. Parmi les nominations qui se font « en consultation avec le leader de l’opposition », il y a l’Ombudsperson for children, le Commissaire électoral et le Chef juge, entres autres. Au niveau du gouvernement, l’on affirme qu’il « va falloir amender certaines lois où une nomination se fait en consultation avec le leader de l’opposition, mais pas toutes. La Constitution stipule que, quand une loi découle directement d’elle ou si elle régit une nomination, la nomination en consultation avec le leader de l’opposition peut se faire en toute légalité. » C’est uniquement quand une nomination n’est pas régie ou ne découle pas d’une loi tombant directement sous la Constitution qu’il va falloir apporter des amendements pour rectifier le tir. C'est du moins l’interprétation du gouvernement.  
 

L’article 8 (4A) (a) de la Constitution

« Notwithstanding subsection (1)(c), section 17 or any other provision of the Constitution, no law relating to the compulsory acquisition or taking of possession of any property shall be called in question in any court if it has been supported at the final voting in the Assembly by the votes of not less than three quarters of all members of the Assembly ».  
 

Les différentes étapes

  9 octobre: Le Good Governance & Integrity Reporting Bill est adopté par le Conseil des ministres. 29 octobre: Roshi Bhadain, ministre de la Bonne gouvernance, débute sa campagne d’explication avec une présentation de la nouvelle législation, à la Cybertour I, Ébène. Niant avec force que son projet de loi sera une arme politique contre les opposants du gouvernement en place, Roshi Bhadain souligne qu’il sera au contraire un ‘game changer’, qui changera complètement le visage de Maurice. En conférence de presse le même jour, Paul Bérenger déclare que le MMM ne votera pas le Constitution (Amendment) Bill et le Good Governance and Integrity Reporting Bill. « C’est une violation des droits fondamentaux d’un individu et c’est un outil qui peut être dangereux », affirme le leader de l’opposition 30 octobre: Face à la presse, Navin Ramgoolam demandé au gouvernement de ne pas aller de l’avant avec ce projet de loi, mais de renforcer l’Asset Recovery Act. Alan Ganoo, le même jour, parle de « lacunes majeures » dans le projet de loi. 31 octobre: Dans une interview publiée dans Le Défi Plus, Antoine Domingue, président du Bar Council, prend position contre « la loi Bhadain » et avance qu’il y a « une intention 'to exercise a constitutional blackmail on the citizens of Mauritius'.» 3 novembre: Le Parti travailliste présente un «position paper » de 72 pages où il fait des propositions. Il y recommande, entre autres, un référendum sur le Good Governance and Integrity Reporting Bill. 8 novembre: Depuis quelques jours, plusieurs élus de la majorité s’opposent au texte de loi pour diverses raisons. Le PMSD n’est pas d’accord non plus. Ce dimanche 8 novembre, la députée MSM Danielle Selvon démissionne de toutes les instances du parti et décide de siéger en indépendant au Parlement. Après la circulation de quelques amendements, elle affirme vouloir voter pour « la loi Bhadain ». 9 novembre: Roshi Bhadain annonce sur Radio Plus qu’il compte introduire trois amendements. Ainsi, les biens de moins de Rs 10 millions ne feront pas l’objet de saisie, le mode de nomination du responsable de l’Integrity Reporting Board et de l’Integrity Reporting Services Agency se fera par le Président de la République sur avis du Premier ministre et après consultations avec le leader de l’opposition. Le troisième point est le « lien » que le gouvernement compte mettre sur les biens d’une personne qui fait l’objet d’une enquête. L’amendement proposé, le lien ne sera valable que pendant six semaines. 24 novembre: L’Asset Recovery (Amendment) Bill a été voté à l’Assemblée nationale mardi, sans amendement. C’est une des trois lois faisant partie de l’arsenal légal visant à combattre l’enrichissement illicite. L’Asset Recovery (Amendment) Bill fait que l’on enlève l’Asset Recovery Unit de la tutelle du Directeur des Poursuites Publiques pour la placer sous celle de la Financial Intelligence Unit. 2 décembre: Le Constitution (Amendment) Bill, qui porte sur la saisie de biens et la définition de biens mal acquis, est voté. Alors que la première position du MMM était qu’il allait voter contre, des consultations entre Paul Bérenger et Roshi Bhadain ont abouti à des amendements. Les mauves accordent leur oui. Seuls les 4 élus du PTr se prononcent contre. 3 décembre: Le Good Governance & Integrity Reporting Bill est adopté avec six amendements. Le MMM s’abstient au moment du vote et le PTr vote contre. 1er janvier: L’arsenal de lutte contre l’enrichissement illicite sera légal. Les trois textes de lois, qui ont été votés, devront d’abord obtenir l’approbation de la Présidente de la République et devront être publiés dans la Government Gazette pour avoir force de loi. Cela se fera durant le mois de décembre.
   

Sir Anerood Jugnauth: « Certains veulent freiner la marche de l’Histoire… »

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/div> Le Premier ministre n’était pas content qu’il n’y ait pas consensus sur le Good Governance and Integrity Reporting (GGIR) Bill. Au point où les partis de l’opposition qui n’ont pas voté en faveur du projet de loi en ont pris pour leur grade. Concernant le MMM, qui s’est abstenu, il a estimé que c’était faire preuve d’un « manque de sérieux » et que sa position était entachée de mauvaise foi. Ses propos ont été encore plus acerbes vis-à-vis du PTr qui a voté contre l’amendement constitutionnel et le GGIR Bill. Le PM estime que, dans leur cas, il était tout à fait prévisible qu’ils n’allaient pas voter : « Il n’y a pas besoin de rappeler tous leurs crimes et les coffres retrouvés ! » s’est-il exclamé, avant de regretter que « certains veulent ainsi freiner la marche de l’Histoire ». À plusieurs reprises, le chef du gouvernement a tenté de rassurer en affirmant que son gouvernement et lui n’avaient aucunement l’intention d’utiliser le GGIR comme instrument politique.  « Mon gouvernement ne fera rien qui puisse altérer le caractère démocratique ou un principe fondamental de la Constitution », a-t-il affirmé notamment lors de son discours sur l’amendement constitutionnel. D’autant, a-t-il rappelé, que la loi fait provision pour des procédures au civil, non au pénal. [row custom_class=""][/row]
   

Roshi Bhadain: « Pas de motivations sinistres »

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C’est un Roshi Bhadain visiblement éreinté et ému qui a pris la parole au Parlement, jeudi, pour le ‘summing-up’. Pour le ministre, le vote du GGIR et l’amendement constitutionnel sont « un nouveau tournant pour le pays ». Comme le PM, il a assuré qu’il n’y avait pas de sinistres motivations derrière ce projet de loi. Il s’est également félicité des débats qui se sont déroulés sur six semaines avec un maximum de personnes. « Chaque changement apporté à la Constitution est pour le bien de la société . Il y aura zéro tolérance contre la corruption », a-t-il déclaré. [row custom_class=""][/row]
   

Paul Bérenger: « On peut abuser de cette institution »

[padding-p-1 custom_class=""][/padding-p-1] Malgré le vote pour l’amendement constitutionnel et les nombreux changements consentis par Roshi Bhadain, Paul Bérenger était loin d’être satisfait du GGIR Bill. Lors de son discours sur le projet de loi, il a notamment insisté sur le fait qu’il sera toujours possible d’utiliser l’institution comme outil de persécution. Selon lui, il suffirait de démarrer une enquête sur une personne en s’assurant que les informations soient fuitées dans la presse pour lui causer du tort. « Ne venez pas me dire qu’on ne peut abuser de cette institution. Si vous ne savez pas, ne parlez pas ! » a-t-il lancé en direction de Roshi Bhadain. [row custom_class=""][/row]
   

Les principaux arguments

de l’opposition…

  • Le MMM a refusé de voter pour le GGIR Bill parce qu’il est contre la majorité de trois quarts qui pourrait, selon lui, empêcher la contestation de la loi en Cour.
  • Le mode de nomination a été décrié, notamment la perception d’absence d’indépendance du directeur de l’agence et du président du board.
  • Du côté du PTr, on avance que le texte de loi est une violation du principe de séparation des pouvoirs.
  • Certains députés ont exprimé la crainte que donner trop de pouvoirs aux nouvelles institutions puisse mener à des dérives.
  • Il n’y a aucune mention de délit ou du mot « illégal » dans le texte de loi. De même, selon l’opposition, la loi ne fait aucune différence entre une personne ordinaire et un criminel.
  • L’exemption des étrangers serait également un ‘loophole’, selon certains : un escroc pourrait épouser un étranger et mettre tous ses biens sur son nom afin d’être protégé des clauses de la loi.
  • Les textes de lois existants auraient pu servir le même objectif que le GGIR, sans avoir à créer de nouvelles institutions.

…de la majorité

  • L’article 1 de la Constitution garantirait le recours à la justice, selon la majorité.
  • Certains députés du gouvernement ont proposé que l’Icac, la MRA et la FIU soient renforcées afin que l’Integrity Reporting Services Agency soit utilisée le moins possible.
  • Il est nécessaire que la charge de la preuve incombe au suspect dans des cas précis, comme la possession de biens mal acquis.
  • Ceux qui possèdent des biens inexpliqués doivent être ‘accountable’.
  • Le judiciaire sera au cœur du processus.
  • La majorité a, à de nombreuses reprises, souligné le grand nombre de garde-fous mis en place pour éviter les abus : la Cour, la cour d’appel et le Privy Council.
 
   

L’entente MP/majorité ne passe inaperçue

Le Good Governance and Integrity Reporting Bill (GGIR) et l’amendement constitutionnel ont également fait remonter à la surface certaines ententes. L’occasion pour le Mouvement Patriotique (MP) d’affirmer davantage sa bonne relation avec le gouvernement. Le dernier amendement proposé par Kavi Ramano (MP) au ministre Roshi Bhadain illustre parfaitement cette alchimie. Le député de Belle-Rose/Quatre-Bornes avait, au tout dernier moment, proposé lors du summing-up à l’Assemblée Nationale que le lien que l’Agence peut imposer sur un bien expire dans un délai de 42 jours. L’amendement initial prévoyait que ce délai commence au moment où l’agence soumet son rapport au Board. Cela a donc été revu pour que ce soit effectué dès que la demande d’inscription est faite. La proposition a donc été vivement accueillie par le ministre de la Bonne Gouvernance. Autre fait illustrant cette symbiose MP-gouvernement, se trouve être l’attitude du président de ce parti Alan Ganoo. Lors de son intervention jeudi au Parlement, l’on pouvait entendre le député de la circonscription Savanne/Rivière-Noire citer le slogan du Muvman Liberater (ML), « carré carré ». Ce qui lui a évidemment valu des applaudissements dans les rangs de la majorité. Pour ce qui est du MMM, l’on retiendra surtout l'intransigeance de son leader Paul Bérenger à l’égard de Roshi Bhadain. Le ministre  a d’ailleurs affirmé avoir fait plusieurs concessions  afin de trouver le consensus sur le GGIR. « Mais cela n’a pas marché », a fait remarquer Roshi Bhadain . Il a regretté d'avoir été contraint de revenir à l’ancienne version autour du processus de nomination,  qui exclut le leader de l’opposition dans l’exercice de consultation.  
 

Les implications en six questions

  À quoi sert cette loi ? Elle permet aux autorités, à travers l’Integrity Reporting Services Agency et son Board, de saisir les biens de ceux qui ne parviennent pas à expliquer leur provenance. C’est quoi l’Integrity Reporting Services Agency et l’Integrity Reporting Services Board ? L’agence sera au cœur même de la loi contre l’enrichissement illicite. Elle sera dirigée par un directeur nommé par la présidence de la République sur avis du Premier ministre. Elle servira à la fois de réceptacle aux dénonciations et comme initiatrice d’enquêtes et de procédures menant à la saisie. Quant au Board, avec à sa tête un président, son rôle sera d’être un barrage aux abus, en décidant s’il faut, en se basant sur les éléments recueillis par l’agence, faire une demande à la Cour suprême pour un ‘Unexplained Wealth Order’ permettant la saisie des biens. Qui est concerné ? Une personne ayant acquis des biens d’au moins Rs 10 millions, dont la valeur dépasse sa capacité d’achat, peut être sommée d’expliquer la provenance de ces biens. Les législateurs visent les trafiquants de drogue et les corrompus. Peut-on refuser de donner des explications ? À la suite des amendements, une personne mise en cause peut faire valoir son droit au silence. Si elle n’a effectivement pas donné d’explication par voie d’affidavit dans un délai de 21 jours, l’Agence peut demander un ‘disclosure order’ auprès de la Cour. Que risque quelqu’un qui n’arrive pas à s’expliquer de manière convaincante ? L’Integrity Reporting Services Board peut demander, à travers un juge en chambre, que les biens concernés soient saisis à travers le ‘Unexplained Wealth Order’. Qu’arrive-t-il aux biens saisis ? L’argent provenant des biens saisis se retrouvera dans un National Recovery Fund géré par l’agence. Ce fonds sera utilisé pour récompenser les dénonciateurs ou pour aider à résoudre les problèmes de pauvreté.
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