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Hector Tuyau : «Un fumeur de gandia n’est pas un criminel» 

Le Dr Anil Jhugroo, psychiatre, l’ancien policier, Hector Tuyau et l’ex-magistrat, Noren Seeburn, étaient parmi les invités de l’émission Au coeur de l’Info, sur Radio Plus, mardi.

Le Drug Users Administrative Panel a été au largement débattu dans l’émission « Au cœur de l’info » du mardi 28 novembre 2023, animée par Jean-Luc Émile. Les intervenants affirment que c’est un pas dans la bonne direction, d’autant que la consommation de drogue est une maladie nécessitant une approche autre que la répression. 

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Éviter toute stigmatisation et offrir une autre chance aux usagers de drogues. C’est à cette fin que sera adoptée la nouvelle formule, Drug Users Administrative Panel, pour lutter contre le trafic de drogue. En somme, un individu interpellé pour consommation de drogue ne sera pas arrêté. Son dossier sera étudié par le panel. Le patient sera traité et il bénéficiera d’un suivi psychosocial. 
Mais dans la pratique, comment cette mesure sera-t-elle appliquée ? Qui pourra en bénéficier ? En quoi le panel que dirigera l’ancien Directeur des poursuites publiques Abdool Raffick Hamuth va-t-elle aider dans la lutte contre la toxicomanie ? Ce sont autant de questions abordées par Jean-Luc Émile et ses invités dans l’émission « Au cœur de l’info » du mardi 28 novembre 2023. 

Stigmatisation 

Le Dr Anil Jhugroo, psychiatre et addictologue au Brown-Séquard Mental Healthcare Hospital, a, pour sa part, fait ressortir que l’un des objectifs de l’initiative est de ne pas stigmatiser les consommateurs de drogue. « La consommation de drogue est avant tout une maladie qui nécessite un traitement. Arrêter la personne, l’envoyer en prison ou lui faire payer une amende ne l’aidera pas à s’en sortir. Comme une maladie chronique, le patient a besoin d’un traitement », a-t-il mis en exergue. 
Cette nouvelle formule sera complémentaire aux programmes existants. Elle tiendra compte de plusieurs aspects. « Il y a un équilibre entre le côté légal, médical et social. Le traitement psycho-social se fera dans un contexte légal bien défini. Il y aura un suivi car le risque de rechute est une réalité », a souligné le Dr Anil Jhugroo. 

Il a ajouté que le ministère de la Santé et les autres acteurs concernés travaillent sur ce projet depuis 2019. « Nous avons trouvé une formule à la mauricienne. Notre culture est différente de celle d’autres pays. Il fallait trouver quelque chose qui soit adapté à notre contexte », a-t-il précisé. Selon lui, les cas seront pris sur le fond par un panel composé de personnes d’expérience. Il se dit confiant que « bons résultats » seront obtenus. 

Hector Tuyau, qui a dirigé une unité de l’Anti-Drug and Smuggling Unit et qui a été l’enquêteur principal de la commission sur la drogue, trouve que le Drug Users Administrative Panel est une bonne chose. « En tant qu’être humain, je suis totalement pour. Un fumeur de gandia n’est pas un criminel. Je suis pour la dépénalisation du cannabis car les consommateurs sont des victimes de la société et du système. Ce panel les aidera à guérir de cette maladie », estime l’ancien policier. 
Hector Tuyau a ajouté que la police tient compte de plusieurs critères avant de déterminer qui est un consommateur et qui est un trafiquant. Parmi : la quantité de drogue saisie et la valeur marchande. 

Toutefois, il met en garde contre le fait que des trafiquants peuvent aussi être des consommateurs. « Il ne faut pas faire d’amalgame. Il y a des consommateurs qui sont aussi de gros dealers qui empoisonnent la société. Il est donc très important de bien faire la distinction », a précisé Hector Tuyau.

Philosophie humaine 

L’ancien magistrat, Noren Seeburn affirme qu’on passe d’une philosophie à une autre. « On adopte une conception plus humaine. On est plus solidaire avec les consommateurs. Auparavant, on était dans une logique de les considérer comme des délinquants (« offenders »). On se focalisait sur l’aspect offense étant dans la philosophie répressive », soutient-il. Selon lui, une personne qui possède et consomme de la drogue n’est pas un criminel, mais une victime. « Cette nouvelle formule est plus proche de la réalité. On laisse entrer de la drogue à Maurice avec la complicité des autorités publiques, ce qui produit des victimes », ajoute-t-il.
Noren Seeburn indique qu’avoir un juriste à la tête du panel est « une bonne chose ». Selon lui, le juriste sera en mesure de maintenir l’équilibre pour déterminer avec précision s’il s’agit véritablement d’une victime ou d’un délinquant. Il affirme que ce projet a été retardé en raison d’influences de groupes de pression.

Réforme 

Par ailleurs, l’ancien magistrat plaide pour une réforme de la police. « Le seul rempart entre le consommateur et le trafiquant, c’est la police. Or, il y a une force occulte qui opère au sein de la police. Celle-ci est devenue un problème national et n’a plus de crédibilité. Il faut une réforme », fait-il ressortir.

Autorité parentale

Noren Seeburn exprime également son mécontentement à propos de l’adoption de la loi visant à interdire aux parents et éducateurs d’infliger des châtiments corporels aux enfants. « Il ne faut pas faire l’amalgame entre la violence et la réprimande parentale et des enseignants. Ce sont les premiers protecteurs des enfants. Il ne faut pas attacher leurs mains, car en faisant cela, vous livrez les enfants aux marchands de drogue et aux criminels », fait-il remarquer.

Le grand défi de la réhabilitation 

Pour le travailleur social de la prison, Cadress Runghen, le Drug Users Administrative Panel est « un pas en avant ». Il dit qu’il faut lui donner sa chance. Toutefois, il est sceptique quant à la nomination d’un juriste pour présider le panel. « Un homme de loi peut donner des conseils, mais pas présider car les usagers de la drogue se verront dans une cour de justice », explique ce dernier. 

Dans un autre volet, Cadress Runghen affirme que l’addiction n’est pas le seul problème. « Le gros stress, c’est la réhabilitation. Ces personnes qui sont des consommateurs ont besoin d’un encadrement. Les centres se focalisent beaucoup sur la réhabilitation mais pas suffisamment sur la réinsertion afin d’éviter la rechute. La société a un rôle à jouer. Elle doit pouvoir refaire confiance à ces personnes qui ont fait beaucoup de tort en étant des consommateurs. La réinsertion dépend de la société », évoque-t-il.

Un « diversion model »

Kunal Naik, qui fait un plaidoyer pour la décriminalisation des drogues depuis 2013, raconte que c’est le modèle de Portugal qui avait été pris comme exemple et prôné pour être adopté à Maurice. « Le ministère de la Santé a finalisé le panel et ce n’est pas exactement le modèle préconisé. Il s’agit d’un diversion model. Un autre gros changement est un juriste à la tête alors que cela aurait dû être un éducateur de rue ou un psychologue et non pas une personne avec un bagage légal », met-il l’accent. 

Il concède cependant que venir avec le Drug Users Administrative Panel est « un pas en avant », bien qu’il soit « sceptique » sur sa composition. Il déclare qu’il prendra le temps d’observer le travail du panel avant de se prononcer. Il croit de plus qu’il faut une approche holistique. « Il faut investir massivement dans la santé publique et aussi pour le combat contre la pauvreté. Ce modèle ne doit pas être en isolation. Il faut impliquer les différents acteurs concernés », souligne Kunal Naik.

 

 

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