Société

Incivisme : Un vivre-ensemble qui se dégrade

Est-ce que l’incivisme est un phénomène nouveau à Maurice ? De plus en plus de citoyens se plaignent du «manque de manières» sur les routes, dans les autobus, à l’école, dans le voisinage. Si les causes sont floues, les remèdes sont tout indiqués : éducation, prévention et répression… «Beurk ! » entend-on. Nous sommes à la gare de Rose-Hill. De nombreuses jeunes filles sortent des toilettes publiques. Elles sont toutes pâles, semblent être sur le point de s’évanouir et courent à toute vitesse. Curieuses, nous nous rendons sur la «scène du crime ». À l’intérieur de ce bâtiment quelque peu lugubre, la préposée aux toilettes se livre à un monologue. Elle est furieuse. Nous l’approchons pour s’enquérir de ce qui se passe. Elle nous regarde d’un air furibond, puis curieux et, finalement, elle lance : « Sa bann tifi-la finn fer enn ta malprop inn ale apre zot sorti kouma dir twalet-la ki pa bon. Zot ki pena manyer. »

« Culot… »

L’employée nous raconte que cela fait plus de quatre ans qu’elle y travaille. « Vous pensez que nous faisons mal notre travail. C’est ce que tout le monde pense car personne n’est avec nous pendant toute la journée en présence de ses personnes ingrates. Elles nous regardent avec dédain, se comportent de manière ignoble, utilisent les toilettes comme jamais elles ne l’auraient jamais fait chez elles, puis ont le culot de venir se plaindre. » Ce n’est pas le seul manque de civisme dont nous avons été témoins ce jour-là. Dans l’autobus, l’arrière des sièges est rempli de gribouillis. Vous devinez que ce ne sont là des œuvres d’adorables bambins. Ce ne sont qu’injures et dessins obscènes…

Manque de Politesse

Arrivées à notre destination, à la gare de Port-Louis, nous constatons qu’il  y a un embouteillage monstre. Deux automobilistes se disputent. Les badauds se sont rassemblés autour d’eux. Finalement, on comprend que ni l’un ni l’autre n’a voulu céder sa place. Il n’y a pas eu d’accident, pas de blessés à déplorer, mais chacun s’obstine à donner une leçon de courtoisie à l’autre.
Avant de continuer notre route, nous nous arrêtons à une boutique du coin et observons attentivement les gens autour de nous. Ils entrent dans la boutique et s’exclament : « Donn enn sigar ar ou ! » Une cliente s’écrie : « Enn coca ! » Impatient, un troisième client s’énerve et lance au boutiquier : « Degaz ou matlo ou krwar mo pou dormi-la ? » Ni un bonjour, ni un s’il vous plaît, ni un merci. Ils voulaient tous être servis en premier. Le plus surprenant, ce que cela n’étonne personne. On pourrait citer de nombreux exemples d’incivisme, mais nous connaissons tous des dizaines d’exemples. Du voisin qui n’hésite pas à brûler les ordures dans sa cour ou qui jette ses déchets dans le terrain vague à côté alors que c’est interdit par la loi, comme nous le rappelle le sergent Buldowa de la Police de l’environnement.

La Rubrique Citoyenne à écouter sur Radio plus

Quels sont les droits et responsabilités du citoyen ? Radio Plus a choisi de parler du civisme à travers des messages courts et concis. Ainsi, chaque matin et chaque après-midi, vous pourrez entendre sur la station de la rue Labourdonnais à Port-Louis, un message de la part d’un professionnel – travailleur social, sociologue, avocat, policier – ou d’un citoyen sur des thèmes variés tels que notre regard vis-à-vis des ex-détenus, notre responsabilité en tant que piéton ou encore à propos de la politesse. Restez branchés !

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[row custom_class=""][/row] Du piéton qui traverse à quelques mètres du passage clouté et qui insulte les automobilistes pour avoir osé klaxonner, au fumeur qui ignore l’inconfort de ceux qu’il dérange autour de lui, comme le dit si souvent l’inspecteur Bahadoor de la Road Traffic Branch. Bref, les exemples ne manquent pas. Pour parler du civisme, il faudrait d’abord que l’on s’attarde sur sa signification. Une définition sur le net : « Le respect du citoyen pour la collectivité dans laquelle il vit et de ses conventions, dont sa loi. Ce terme s’applique dans le cadre d’un rapport sur l’institution représentant la collectivité : il s’agit donc du respect de la ‘chose publique’ et de l’affirmation personnelle d’une conscience politique. Le civisme implique donc la connaissance de ses droits comme de ses devoirs vis-à-vis de la société. »

«Conscience Citoyenne»

Or, malgré des cours de droits humains et de citoyenneté, « il n’existe pas de culture des droits humains à Maurice. Les citoyens ignorent leurs droits et leurs responsabilités. Ils connaissent très peu les lois du pays, ce qui explique pourquoi ils ne les respectent pas. Puis il y a la conscience citoyenne qu’on devrait développer chez les enfants dès le plus jeune âge », selon les formateurs. En ce qui concerne l’État, même s’il n’existe pas de formation avancée sur les droits humains et la citoyenneté, d’autres formules ont été mises en place pour encourager le civisme chez les Mauriciens. Il y a plusieurs campagnes de sensibilisation pour ce qui est de la sécurité routière, dont celles des ministères de l’Environnement et de l’Éducation. D’ailleurs, dans le cadre de la réforme éducative, Leela Devi Dookun-Luchoomun, ministre de l’Éducation, a précisé que le concept de ‘Nine-Year Schooling’ n’est non seulement axé sur les matières académiques, mais traite aussi les sujets tels que les valeurs civiques. Et cela dans le but de permettre à l’enfant de devenir un bon citoyen.
 

Jaylall Boojhawon, inspecteur de police: «C’est souvent dû à une mauvaise communication»

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"12748","attributes":{"class":"media-image aligncenter wp-image-21005","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"800","height":"960","alt":"Jaylall Boojhawon"}}]]Il semblerait que l’incivisme continue à gagner du terrain. Qu’est-ce qui explique cet état de choses, selon vous ? Il est un fait indéniable que les actes d’incivilité ne cessent de croître au sein de notre société. Cette situation devient insupportable. Ce n’est pas qu’une question d’habitude, mais plutôt de mentalité, d’égoïste et de je-m’en-foutisme.  Il y a aussi un laisser-faire des autorités, d’où l’encouragement à l’incivisme. Le comble, les lois ne sont pas appliquées dans toute leur rigueur par ces cadres des municipalités et autres collectivités locales, la police et les différents ministères. Tout cela exaspère les honnêtes gens qui respectent les lois, l’environnement et le code de la route. Ils finissent par adopter la même attitude, d’où une détérioration de la situation. Quels sont les exemples flagrants d’incivisme des Mauriciens, selon vous ? Il suffit de faire un petit tour dans les rues pour constater le comportement offensant et abusif des Mauriciens. Tous les jours, des tonnes de déchets sont déversées sur la voie publique. Sans compter ces personnes qui jettent des emballages à côté d’une poubelle. L’incivisme est un véritable fléau qui dégrade notre cadre de vie, porte atteinte à notre environnement, trouble l’ordre public. Et ce sont les contribuables qui en font les frais. Ils prennent la rue pour une poubelle. Les insultes pleuvent pour des raisons banales. Cracher et uriner en public sont devenus courants, tout comme le non-respect du code de la route. La liste est longue. Il ne se passe pas une journée sans qu’on soit confronté à des actes honteux dans la rue. Il y a certains qui n’hésitent pas à polluer l’espace public et d’autres qui grillent le feu rouge ou qui garent leurs voitures comme bon leur semble, causant des embouteillages indescriptibles. Comment lutter contre l’incivisme ? Lutter contre les actes d’incivisme relève d’une volonté de défendre et d’améliorer la qualité de vie pour une société plus agréable à vivre et mieux protégée. Il nous faut engager une lutte active contre ce phénomène à travers l’éducation, la prévention et la répression. La plupart des actes d’incivisme sont causés par la mauvaise communication et pour pouvoir communiquer, il est essentiel de savoir s’exprimer. La seule solution, c’est l’éducation, non seulement à l’école, mais aussi à la maison. Pour la prévention, il faut lancer une vaste campagne de sensibilisation pour dire stop et rappeler les citoyens que notre pays est un espace de vie et qu’il est très important de le respecter. On doit utiliser les médias et les réseaux sociaux, afin de passer des messages, vulgariser les différentes lois en vigueur et les amendes que les contrevenants peuvent encourir, s’ils sont pris en flagrant délit d’incivisme. La répression est donc la solution idéale, si le sens civique ne représente rien pour certains. Il faut intensifier la répression envers les auteurs d’incivilités. Il faut inviter les gens à dénoncer l’incivisme à travers des moyens mis à leur disposition, comme des hotlines gratuites. Il faut inciter les gens à changer de comportement, voire de mentalité. La lutte contre l’incivisme passe inévitablement par une sensibilisation tous azimuts, comme des ateliers dans les établissements scolaires, au sein de groupes de jeunes et de moins jeunes. Il faut installer des panneaux d’affichage à chaque coin de rue, diffuser des campagnes de sensibilisation au civisme sur Internet, les réseaux sociaux et dans les médias.

Stéphane Gua: «Nous devons valoriser ce qui nous appartient»

[[{"type":"media","view_mode":"media_large","fid":"15901","attributes":{"class":"media-image aligncenter size-full wp-image-26838","typeof":"foaf:Image","style":"","width":"1280","height":"720","alt":"St\u00e9phane Gua"}}]]Pour ce membre actif de Cares et Rezistans ek Alternativ, il faut d’abord savoir ce qui pousse un individu à l’incivisme. S’agit-il d’une personne qui ne comprend pas le fonctionnement de la société ?  Pour Stéphane Gua, c’est définitivement une question d’éducation. « Les  gens ne sont pas assez sensibilisés aux dangers du non-respect de l’environnement. Ils ne se rendent pas compte que le développement n’est pas la responsabilité d’une tierce personne. Nous devons valoriser ce qui nous appartient. Or, il n’y a malheureusement plus ce sens d’appartenance chez bon nombre de Mauriciens. Avec ce qui se passe actuellement, leur comportement vis-à-vis des plages et d’autres espaces laisse à désirer », s’insurge Stéphane Gua. Notre intervenant estime que pour contrer ce problème, l’approche répressive n’est certainement pas la solution. Stéphane Gua précise que tout doit commencer à l’école car l’incivisme ne se résume non seulement à salir ou à endommager les infrastructures publiques, mais aussi à respecter les autres. « Il y a malheureusement une dégradation des valeurs. Les amendes et les autres pénalités peuvent constituer des moyens dissuasifs, mais elles ne s’attaquent pas à la racine du problème. Il faut plutôt créer des plateformes, où des personnes peuvent partager leurs idées et leurs intérêts communs. Il convient de noter que l’incivisme n’est pas inné, mais se construit. Nous sommes arrivés à la conclusion que les personnes ne salissent pas les endroits propres, selon plusieurs constats. Par exemple, on ne va pas jeter des ordures dans leur maison. C’est-à-dire la conscience est là, mais il y a encore un gros travail à faire. » Et Stéphane Gua d’ajouter que l’intolérance chez les jeunes gagne du terrain. «  Auparavant, le processus de socialisation de l’enfant se faisait autrement alors qu’aujourd’hui on se contente de traiter les aînés comme bon nous semble. Il appartient à la société de faire en sorte que cette mentalité change. Les autorités doivent s’assurer que les Mauriciens se retrouvent dans un espace d’appropriation collective », affirme Stéphane Gua.

 
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