Interview

Jane Ragoo, syndicaliste : «La zone franche est morte»

Pour Jane Ragoo, de la CTSP, il ne faut pas se leurrer. Il faut faire une croix sur la zone franche, car la délocalisation est touche déjà le textile. Pour elle, il faut réorienter cette main-d’œuvre vers d’autres secteurs, après qu’elle aura été formée.

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Le patronat du secteur du textile avance que le gouvernement n’a pas assez fait pour ce secteur, d’où les difficultés...
Depuis des années, j’entends ce refrain-là. C’est du bla, bla, bla. La réalité, c’est que le secteur du textile est appelé à disparaître dans un futur proche. Ce qui va rester, c’est un textile haut de gamme. Dans le passé, un des leaders a menacé de se délocaliser et le gouvernement leur est venu en aide avec le stimulus package et d’autres aides.

Faut-il faire une croix sur la zone franche et mettre sur le pavé quelque 15 000 travailleurs mauriciens ?
La zone franche n’a pas changé d’un iota depuis que je connais ce secteur en 1983. 55 heures de travail par semaine et le patronat paie les heures supplémentaires sur le salaire basique et non sur le salaire minimal. C’est du vol. Je dis à ces patrons d’arrêter de menacer de délocaliser et de mettre la pression sur le gouvernement et les travailleurs. Si anvi ale, ale. Car la zone franche est morte.

Il y a aussi le fait réel de l’effet contraire de la roupie forte…
Pour ce qui est de la roupie, il y a toujours eu de la fluctuation. Je me bats depuis 35 ans pour ce secteur, c’est toujours le même scénario.

Depuis que le Bangladesh a donné des garanties quant aux normes internationales à respecter, la plupart des commandes affluent vers ce pays. D’où l’intention de certaines usines locales de délocaliser là-bas, avec une main-d’œuvre bon marché…
Effectivement, le Bangladesh possède un attrait pour les usines du textile, avec sa main-d’œuvre à quatre sous, et il est normal que les patrons mauriciens veulent en profiter. Il ne faut plus se voiler la face : notre zone franche, qu’on peut qualifier de « classique », est appelée à disparaître. Il ne restera que des usines fabriquant des produits à valeur ajoutée et une main-d’œuvre qualifiée.

Devenons-nous un pays avec une main-d’œuvre de ‘white collar jobs’ ?
Pas nécessairement. Le pays vise à être un high quality market. Donc, formons des gens vers des métiers, vers d’autres secteurs qui apportent une valeur ajoutée, vers la technologie appliquée, entre autres.

Quand vous dites que la zone franche est morte, que faire de tous ces employés ?
Si le gouvernement avait adopté le Portable Gratuity Retirement Fund, les employés qui se retrouveraient sur le pavé seraient partis avec une allocation et le sourire. Mais un ministre, qui a toujours défendu le patronat dans le passé, bloque cette loi. Un exemple : pour le cas de Palmar Ltd, si le patron avait contribué un jour de salaire par mois pour chacun de ses employés, les employés seraient partis avec une bonne allocation, car la plupart ont travaillé plus d’une dizaine d’années dans cette usine. Mais ce ministre n’en a rien à faire. Et le patron encore moins, car il mène la vie de château, comme d’habitude.

Revient-on à la formule « zone franche, zone souffrance » ?
La zone franche a permis à de nombreuses femmes d’avoir une indépendance financière. Mais la zone franche a toujours été une zone souffrance. Comment les banques ont-elles permis à plusieurs usines d’être à découvert, avec des centaines de millions de roupies de dettes ? Alors que ces mêmes banques harcèlent les petites gens qui leur doivent quelques sous.

Depuis janvier 2019, une dizaine d’usines, pas uniquement de textile, sont sous séquestre. Où est le mal ?
Les usines ferment en jetant des employés sur le pavé, sans même leur donner de compensation. Quant aux patrons, ils mènent la belle vie, roulent leurs berlines sans se soucier de rien. Les administrateurs responsables de la vente de l’usine vont payer en premier les banques et s’il reste quelques sous, les partager avec les employés. C’est cela le scénario.

Certains patrons mettent leurs déboires sur le dos du salaire minimal. Est-ce vrai ?
Tous ces patrons mentent comme ils respirent. Le salaire minimal a bon dos, c’est un short cut trop facile. Avant l’introduction du salaire minimal, la plupart des employés de la zone franche touchaient plus. Un exemple : le salaire de base est de Rs 5 400, plus le bonus de présence de Rs 1 500, plus le bonus de production de Rs 1 500. Qu’ont fait les patrons ? Quand on prend les deux bonus et le salaire de base, cela nous amène à une paye supérieure au salaire minimal, qui est de Rs 8 160 mensuellement. 

Donc, les patrons n’ont rien déboursé en termes d’augmentations…
Effectivement, ils n’ont pas été affectés par le salaire minimal, puisqu’ils n’ont rien tiré de leurs poches. 

De plus en plus, on constate que les patrons embauchent sur des contrats à durée déterminée…
Si le Portable Gratuity Retirement Fund était en vigueur, il n’y aurait pas de problème, car l’employé aurait bénéficié de cette compensation. Il n’y a que dans le secteur de la construction où ce fonds est en vigueur.

 

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