Interview

Jean Claude de l’Estrac : « Le choix de ses collaborateurs peut coûter très cher au PM » 

Dans son dernier ouvrage intitulé « Jugnauth-Bérenger : Ennemis intimes – 1982/1995 », Jean Claude de l’Estrac explique que le clash entre ces deux hommes était inévitable, alimenté par Harish Boodhoo en 1983. L’auteur estime aussi que Pravind Jugnauth deviendra fréquentable aux yeux de Bérenger s’il remporte la bataille de MedPoint.

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Votre ouvrage est le quatrième volet de votre histoire de Maurice. Il couvre la période 1982 à 1995 et évoque la naissance du MSM et les premières années de Jugnauth Sr. Qu’est-ce qui vous a poussé à coucher sur le papier cette période ? 
Toujours la même ambition : rendre l’histoire du pays accessible au plus grand nombre. J’ai la conviction qu’on ne peut former une citoyenneté avisée sans connaissance de l’histoire. Ce quatrième tome est dans le droit fil de ce que je fais depuis plus de vingt ans. Il est la suite chronologique de mon ouvrage Passions Politiques. 

Vous avez dit que votre plus grand regret a été la cassure de 1983. Les mauvaises langues disent qu’il y a la main de Harish Boodhoo dans cette affaire. Est-ce le cas ? 
Pas uniquement ! Il ne fait aucun doute que la présence de Boodhoo au sein de l’équipe gouvernementale, son hostilité viscérale à l’égard de Bérenger ainsi que ses prises de position rétrogrades ont contribué à créer les conditions ayant provoqué la cassure. 

Mais la scission est aussi la conséquence de la détérioration des relations personnelles entre Anerood Jugnauth et Paul Bérenger. Pendant des années, dans l’opposition, Jugnauth avait vécu dans l’ombre de Bérenger, se contentant d’un second rôle, un politicien à temps partiel, comme il le disait lui-même. Devenu Premier ministre, il a voulu assumer la plénitude de ses nouveaux pouvoirs. 

Clash immédiat avec Bérenger qui a du mal à s’adapter à la nouvelle donne, lui qui jusque-là exerçait une influence dominante sur le parti. Jugnauth, à juste raison, fait valoir que le gouvernement n’est pas le parti, soit le MMM. À la fin, ce sont les mauvaises relations personnelles entre les deux hommes, la méfiance qui s’installe, alimentée par les magouilles de Boodhoo, bien plus que des divergences politiques qui expliquent la cassure. Un gâchis monumental ! 

Certaines prestations de députés appartiennent au registre des clowneries de cirque. »

Votre livre arrive un peu en prélude de la campagne électorale qui démarre. Comment est-il reçu par la classe politique ? 
Ce timing n’a pas été calculé. Il se trouve que je viens de finir le livre au bout de pratiquement trois années de travail. Je n’ai pas recueilli les réactions de tout le monde, mais ceux qui ont déjà lu reconnaissent, je crois, le strict respect de la vérité des faits. Même quand cela les dérange ! 

Quel impact cette cassure a-t-elle eu sur l’échiquier politique à long terme ? 
Un impact décisif qui a changé durablement la vie politique nationale. C’est cette cassure qui donnera naissance au MSM de Jugnauth, né d’une fusion avec le PSM de Boodhoo. C’est cette cassure qui est la cause fondamentale du lent dépérissement du MMM, même si le parti résiste plutôt bien dans un premier temps. C’est cette cassure qui provoque une campagne électorale éminemment malsaine en 1983, mettant à mal, pour longtemps, la cohésion sociale, après l’extraordinaire élan patriotique de 1982. 

Venons-en à l’actualité. Il y a l’affaire MedPoint qui arrive à la mi-janvier 2019 et l’affaire de Navin Ramgoolam. Quels effets cela aura-t-il dans la dernière ligne droite avant les prochaines législatives ? 
Le verdict du Privy Council sera naturellement déterminant pour la suite de la carrière politique de Pravind Jugnauth. S’il est acquitté, il redore son blason et retrouve une nouvelle vigueur politique. Il pourrait même devenir fréquentable aux yeux du MMM de Bérenger. Le jugement sera prononcé dans trois ou quatre mois. Il ne serait pas étonnant de voir le Premier ministre provoquer les élections générales dans la foulée d’un verdict favorable. Ce qui expliquerait son activisme législatif des dernières semaines.  Dans le cas de l’affaire Roches-Noires, je ne crois pas, quel que soit le verdict, qu’elle fera plus de mal à Ramgoolam que ce qu’elle a déjà fait. 

Dans les années 70 à 90, on a eu deux hommes forts de la politique que sont SAJ et Bérenger. Peut-on s’attendre à en avoir d’autres dans le prochain hémicycle ? 
La vie politique produit des leaders exceptionnels dans des circonstances exceptionnelles. Il faut la conjonction de deux facteurs : des hommes ou des femmes d’envergure, des circonstances rares. 

Quel est votre regard sur la performance de nos députés ? 
Je me garde de les mettre tous dans le même panier. Il y a des deux côtés de la Chambre quelques parlementaires qui sont à la hauteur. Mais la performance est très inégale. Fait devenu rarissime, il semblerait que tout l’hémicycle ait apprécié le dernier discours de Bérenger sur la réforme électorale. 

Toutefois, ceux qui ont la mémoire des précédents parlements vous diront que l’actuelle promotion de parlementaires est la plus pauvre de ces dernières années. Certaines prestations de députés, que j’ai pu visionner, appartiennent au registre des clowneries de cirque. 

Les projets de loi s’enchaînent. Pravind Jugnauth veut-il laisser un héritage dans sa dernière année de mandat au cas où il perd au Conseil privé ? 
Je pense qu’il est simplement en train de respecter les engagements de son programme électoral. C’est tout à son honneur. Je crois que, comme son père, il a une culture de résultats. Je le vois volontariste et focalisé. Il aurait eu de meilleurs résultats encore s’il avait été mieux entouré et moins clanique dans le choix des collaborateurs qu’il place dans l’appareil de l’État. Ce travers pourrait lui coûter très cher. 

La réforme électorale a été reportée. Ce projet était-il déjà voué à l’échec ? 
Dans sa forme actuelle, l’échec est souhaitable. Je ne comprends pas la stratégie du gouvernement. Il sait qu’il a besoin de l’appui de l’opposition pour faire passer la réforme, ce qui implique la recherche d’un consensus, mais il campe sur ses positions déraisonnables. 

Si la réforme ne produit pas une plus juste adéquation entre les suffrages des électeurs et la représentation parlementaire, si elle ne corrige pas les défauts du First-Past-The-Post, si elle n’est pas juste envers toutes les sections de la population, si elle risque d’ostraciser un groupe, alors il vaut mieux enterrer cette pseudo-réforme, le gouvernement aura fait semblant de vouloir réformer. 

Le financement des partis politiques fait débat, car les registres des partis ne seront connus que de l’Electoral Commission. À quoi cela sert-il alors ? 
Plusieurs provisions de la loi représentent une avancée. Elles vont dans la bonne direction mais pas suffisamment loin. Tout le principe de la loi repose sur le besoin de transparence. Garder le secret sur un pan du processus, c’est faire une chose et son contraire. Ce qui continuera à alimenter la méfiance et la suspicion. 

La déclaration des avoirs devrait-elle s’étendre aux petits-enfants également, pour éviter des prête-noms pour camoufler de l’argent sale ? 
Elle peut, mais je ne vois aucune loi capable de faire éviter l’utilisation de prête-noms par des corrompus et des corruptions. Il faudrait un très fort deterrent ainsi que des sanctions très lourdes en cas de culpabilité avérée.

 

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