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Jean Claude de l’Estrac : «Le népotisme n’est pas une invention du MSM, mais aucun GM ne l’a pratiqué avec autant de cynisme» 

Jean Claude de l’Estrac, observateur politique, ancien rédacteur en chef et directeur général de La Sentinelle Ltée et ex-ministre, jette un œil critique sur le fonctionnement du gouvernement. Il affiche aussi un certain scepticisme face à la nouvelle alliance PTr/ MMM/PMSD qui pourrait prendre avantage de la « forte détestation d’une partie de l’électorat » envers le gouvernement en place. 

Que penser de cette alliance PTr/MMM/PMSD qui a tenu son premier congrès vendredi soir à Mare d’Albert ? 
Mobilisation réussie. Ce n’est pas un ko mais indéniablement l’Alliance a marqué des points.

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J’ai trouvé une foule plus attentive qu’enthousiaste. Le scénario de l’arrivée des leaders a été plombé par un vieux sega des années 70. De même, je ne vois pas la pertinence de projeter des films des meetings de ces trois partis qui ont perdu les élections de 2019. Xavier Duval a eu raison de souligner que ce succès est d’autant plus grand que l’atmosphère de peur dans le pays est un frein à la mobilisation de l’opinion politique. Bérenger, de son côté, a été convaincant dans ses propositions de réformes en reconnaissant la difficulté de la tâche.

Navin Ramgoolam, Paul Bérenger et Xavier-Luc Duval peuvent-ils réellement séduire l’électorat pour les élections générales ? 
C’est la grande interrogation du prochain scrutin si d’ici là cette alliance est toujours d’actualité. Il y a tellement d’impondérables chez les partenaires de cette alliance que je doute encore de sa pérennité. Si elle parvient finalement à élaborer une stratégie électorale commune, la grosse incertitude demeure la force de séduction que peuvent déployer ces leaders usés et vieillis. Le seul facteur qui pourrait jouer en leur faveur, c’est la forte détestation d’une partie de l’électorat envers leur adversaire, Pravind Jugnauth et un certain nombre de ses ministres. En d’autres mots, ils peuvent difficilement gagner mais Jugnauth peut perdre… 

L’opposition parlementaire demande un front uni de toute l’opposition. Les partis extraparlementaires, c’est-à-dire le Reform Party, Linion Pep Morisien, En Avant Moris et d’autres, peuvent-ils nuire à cette alliance parlementaire si chacun va de manière dispersée vers les élections ? 
Bien sûr. Même si les partis extraparlementaires, coalisés ou séparément, ne peuvent, pour l’heure, prétendre réunir une majorité de sièges à l’Assemblée nationale, ils obtiendront certainement des voix, et peut-être même faire élire deux ou trois personnalités issues de leurs rangs. La conséquence directe en est que cette dispersion des voix dans le camp de l’opposition profitera au MSM de Jugnauth et de ses alliés. C’est la raison pour laquelle, l’alliance PTr-MMM-PMSD devra faire de la place à quelques-uns des leaders de ces groupuscules malgré leur faible représentativité. 

Jeudi dernier, Madan Dulloo a annoncé son come-back après s’être retiré de la scène politique depuis 22 mois. Que faut-il en penser ? 
Madan Dulloo est également un vieux de la vieille. On ne sait pas encore dans quel camp, il espère se retrouver mais je n’ai pas l’impression qu’il a créé un « whoah » politique. 

Mercredi, Sherry Singh a été arrêté une seconde fois. Cette fois-ci pour « giving instruction to commit a misdemeanour ». L’ancien CEO de Mauritius Telecom parle de « représailles politiques » et affirme ne pas comprendre cet acharnement contre sa personne. Peut-on vraiment parler de représailles ? 
Si toutes les révélations sur l’immense fortune amassée par l’ancien patron de Mauritius Telecom durant son mandat se vérifient, il aura du mal à se faire passer pour une victime de représailles politiques. Pour l’instant, il s’en sort pas mal, protégé en quelque sorte par des médias plutôt bienveillants à son égard. 

Est-ce que, selon vous, la carrière politique de Sherry Singh est terminée avec les développements le concernant qu’on a vus ces dernières semaines ? 
Je ne crois pas qu’on puisse parler de « carrière » politique après les exercices de communication de Sherry Singh. La suite sera déterminée par l’issue des affaires qui finiront par atterrir devant les juges. S’il ne parvient pas à se disculper, ce sera la fin de son projet politique qui n’est, après tout, que son bouclier. 

Quid de son partenaire Bruneau Laurette ?
Je crains qu’il n’aura été qu’un épiphénomène. 

Peut-on dire qu’il y a effectivement un acharnement, notamment de la part de la police, contre certains membres de l’opposition ? 
Le comportement de la police démontre effectivement un excès de zèle quand il s’agit d’enquêter sur les agissements des membres de l’opposition et une grande indulgence quand des proches du régime sont en cause. Je ne sais si les ordres viennent « d’en haut » mais en tout état de cause, le Commissaire de police n’est pas censé prendre des ordres de qui que ce soit dans l’exercice de ses fonctions opérationnelles. 

Que pensez-vous de l’affaire Yogita Babboo-Rama, présidente de l’Air Mauritius Cabin Crew Association, limogée par Air Mauritius ? 
C’est toujours un échec dans une entreprise quand il y a rupture de dialogue et bras de fer syndical. À première vue, la sanction appliquée par un management qui se croit tout-puissant semble disproportionnée par rapport à la faute reprochée à l’employée/syndicaliste. La communication d’Air Mauritius sur ce plan a été exécrable. 

Est-ce que la liberté syndicale est en danger à Maurice, comme l’affirment les syndicalistes ? 
Je n’irai pas jusque-là. Nous avons trop tendance ici à crier au loup à chaque alerte. Le cas soulève des questions légitimes sur la brutalité gestionnaire à Air Mauritius, mais il ne relève pas d’un enjeu national. 

En conférence de presse jeudi, le ministre Bobby Hurreeram a nié que le gouvernement pratique du népotisme et a affirmé qu’en la matière, on ne peut comparer le gouvernement MSM à celui du PTr. Qu’en pensez-vous ? 
Le népotisme n’est pas une invention du MSM, mais aucun gouvernement ne l’a pratiqué avec autant de méthode et de cynisme. Je pense même que ce clanisme quasi mafieux est la principale salissure qui assombrit le bilan de Pravind Jugnauth. Au lieu d’un déni qui n’impressionne personne, Jugnauth et ses ministres devraient, sur ce plan, changer de cap. Autrement, ils risquent de le payer chèrement. Les Mauriciens abhorrent l’injustice. 

Il a aussi déclaré qu’il est du devoir du gouvernement de placer des gens qui épousent la philosophie gouvernementale dans les institutions. Pour l’opposition, en revanche, la qualité des gens placés aux postes à responsabilité a drastiquement baissé depuis plusieurs années. Qui croire finalement ? 
C’est en réalité assez simple : dans un régime démocratique, les lois exigent qu’un certain nombre d’institutions soient dirigées par des personnalités indépendantes. Cela est indispensable pour inspirer la confiance des citoyens dans ces institutions nationales. Ailleurs dans d’autres secteurs, à ses risques et périls, le gouvernement en place peut nommer ceux en qui il a confiance. Quand il nomme des incompétents – ce qui est souvent le cas – il finit par en subir les conséquences. C’est le cas pour le gouvernement de Pravind Jugnauth servi par une pléthore de médiocres. 

Ivan Collendavelloo a pris position, à l’Assemblée nationale le mardi 18 juillet lors des débats sur le Finance (Miscellaneous Provisions) Bill 2023, contre des amendements à la Local Government Act concernant le Permits and Business Monitory Committee (PBMC) dans les administrations régionales, car cela réduira le pouvoir des élus, selon lui. L’opposition y voit une fissure dans la cohésion gouvernementale, alors que du côté du gouvernement on affirme que c’est une preuve que « la démocratie se porte bien au sein du gouvernement ». Quelle est votre analyse ? 

Le comportement de Collendavelloo, depuis plusieurs mois, défie toute analyse. Qu’est-ce qui fait qu’un homme de sa trempe accepte, sans broncher, l’humiliation que lui inflige publiquement Pravind Jugnauth. Je sais, en tout cas, ce que j’aurais fait à sa place. Quant à sa petite bravade parlementaire, elle est bien innocente et ne porte à aucune conséquence. Je crois que l’opposition est en quête d’un sujet de jubilation… 

Par rapport à l’économie aussi, alors que l’opposition soutient qu’elle va très mal et qu’on se dirige vers la catastrophe, le ministre des Finances, Renganaden Padayachy, affirme que l’économie se porte à merveille et qu’il vise même « une réduction drastique de la dette ». Qui croire ? 
Comme souvent, la vérité se situe entre les deux propositions. L’économie ne va pas si mal mais elle ne se porte pas non plus à merveille. Les vrais problèmes se poseront à moyen et à long terme. Les déficits chroniques, le poids de la dette nominale, les conséquences du vieillissement de la population, les protections sociales budgétivores, la Contribution sociale généralisée accapareuse de l’argent de nos enfants, les réserves dilapidées, les gaspillages effrénés, la faiblesse d’une croissance sans production de richesse, tout cela rattrapera le prochain gouvernement, quel qu’il soit. En vérité, s’il veut prolonger et protéger les acquis sociaux de ces dernières années, le gouvernement de Pravind Jugnauth se doit de prendre le tournant de la rigueur économique, faute de quoi Padayachy sera le prochain Ringadoo… 

Beaucoup de gens quittent Maurice ces derniers temps pour s’établir à l’étranger, principalement au Canada et en Australie. Amalsingh Badal, directeur de Lifetime Immigration, une des principales agences de recrutement pour le Canada, soutient, à ce titre, que pour la dernière année, environ 10 000 Mauriciens sont passés par son agence pour aller au Canada. Est-ce que vous avez l’impression qu’il y a un nouvel exode de Mauriciens pour l’étranger, comme ce fut le cas durant les années’ 70 et 80 ? Comment expliquer ce phénomène ? 
L’émigration n’est pas un nouveau phénomène. J’ai été moi-même ministre de l’Émigration en 1982 (au ministère des Affaires étrangères, du Tourisme et de l’Émigration). Il s’agissait d’encourager les Mauriciens à émigrer en recherchant des accords avec les pays d’accueil en raison d’un fort niveau de chômage dans le pays. 

Aujourd’hui, deux facteurs se conjuguent pour encourager cette nouvelle vague : des jeunes qui croient de moins en moins dans l’avenir du pays et l’ouverture de quelques grands pays sous-peuplés qui encouragent l’immigration. Le phénomène va durer. 

Redonner confiance à nos jeunes pour qu’ils restent au pays ou pour qu’ils reviennent après des études à l’étranger est un des enjeux des prochaines élections. Ce qui est vraiment nouveau, c’est le fait que ce sont nos jeunes les plus qualifiés qui s’en vont, déçus par un pays si éloigné des valeurs qu’ils portent. 

 

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