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Jean-Marie Le Clezio : «L’indépendance a apporté ce souffle indispensable à la littérature»

De g. à dr  Ramesh Ramdoyal, Jean-Marie Gustave Le Clezio, Mme Panray et Issa Asgarally.

Existe-t-il une tradition littéraire à Maurice ? Les Mauriciens aiment-ils écrire et peuvent-ils vivre de la vente de leurs livres ? À ces questions, trois écrivains, Jean-Marie Gustave Le Clezio, Prix Nobel de littérature, le Pr Issa Asgarally et Ramesh Ramdoyal, ont tenté de répondre grâce à leur observation de la société mauricienne.

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« Ne croyez pas que j’ai réussi à me faire éditer rapidement. Certains de mes livres ont attendu trois ans avant d’être publiés. En littérature, on n’est pas pressé par l’actualité. Malcolm de  Chazal a dû se battre pour être publié. On ne cherche pas le succès immédiat. » JMG Le Clezio n’était pas au MGI, à Moka, ce mercredi 18 avril pour dépeindre un univers glorieux du livre et de l’édition, ni pour se donner en exemple.

Mais lorsqu'Issa Asgarally réussit à répertorier presque 690 ouvrages dans son anthologie des écrivains mauriciens, le Prix Nobel de littérature ne peut qu’y déceler un « bon signe » dans un pays tellement éloigné des grands centres. Car tout a commencé à l’indépendance, qui a servi de catalyseur à la littérature mauricienne, dira l’animateur de l’émission littéraire « Italiques », diffusée sur la MBC. De son côté, JMG Le Clezio a soutenu qu'on ne peut écrire si on n'est pas libres. « L’indépendance a apporté ce souffle indispensable à la littérature », a-t-il dit.

Certes, l’écrit à Maurice et sur Maurice est antérieure à l’indépendance : de Bernardin de St Pierre à Savinien Meredac, en passant par Marcel Cabon et Malcolm de Chazal, qui est « le précurseur », selon JMG Le Clezio. Chacun de ces auteurs ont dépeint l’île, ses réalités sociales, politiques, culturelles  mais c’est l’indépendance de Maurice qui apporte ce vent de liberté à la littérature. « Mon père était pour l’indépendance car il a vu la maltraitance dans les pays où il avait été affecté, mais les autres membres de la famille (à Maurice) étaient contre l’indépendance », dira l’écrivain nobélisé. C’est à Nice, sa ville natale qu’il s’initie à la lecture lorsque sa mère, revenant du marché, ramène livres et légumes. « Car, pour devenir écrivain, il faut commencer par lire. Beaucoup lire », dit-il, plus tard, en guise de réponse à une question où on lui demande sa recette. « Je n’en ai pas », lâche-t-il.

Charge émotionnelle

Si l’école est le premier lieu où l’enfant est initié à la lecture et à l’écriture, ses parents ont eux-aussi le devoir de l’encourager dans cette voie, fait valoir Issa Isgarally. « Les parents comptent trop sur l’école », dit-il.  Et d'indiquer que le manuscrit, le livre et le livre électronique se valent tous, car ils ne sont pas opposés, même si ce dernier ne provoque la même charge émotionnelle que le papier.

Mais à Maurice peut-on vivre des recettes du livre ? L’ex-lauréat et directeur du Mauritius Institute of Education, Ramesh Ramdoyal, auteur d’ouvrages en anglais et créole, a dû attendre cinq ans pour gagner quelques sous de la vente de « La mare nou mémoire », écrit en créole et publié deux ans après la remise du manuscrit à l’éditeur. « Aujourd’hui, on ne peut plus produire qu’à compte d’auteur », dit-il. « Un jour l’English Speaking Union a voulu organiser une grande activité littéraire autour de mes livres parce que les  deux autres  écrivains qui ont écrit en anglais, Lindsey Collen et Shakuntala Hawoldar, ne sont pas Mauriciens », raconte-t-il.

«Ratsitatane»

Défenseur de la langue créole, Ramesh Ramdoyal cite la pièce d’Azize Asgarally, « Ratsitatane », un texte qui défend une grande cause. Mais, Issa, le frère d’Azize Asgarally ne manque pas d’attirer l’attention sur le manque de textes en créole qui se fera cruellement sentir lorsque cette langue sera enseignée à l’école, « car il n’y a plus d’écrivains en créole. Or, ce qui porte une langue c’est la littérature », dit-il.

Témoins de leur temps, les écrivains ont la liberté de choisir leurs thématiques et  « les grands évènements mauriciens, on les retrouve dans la littérature », fait encore observer Issa Asgarally. « Blood and Honey », ouvrage d’Azize Asgarally, bien que transposé aux États-Unis, tire son origine des bagarres raciales de 1967 à Maurice, « Les Jours Kaya » de Carl de Souza est inspiré des émeutes qui sont suivi le décès du chanteur durant son incarcération tandis que  « Lal Pasina » d’Abhimanyu Unnuth fait le récit du dur labeur des travailleurs engagés dans les champs de canne.

Mais à quoi bon écrire et se faire éditer, souvent à ses frais, si les livres ne franchissent jamais le seuil des bibliothèques publiques ou scolaires ? « Lire doit se faire dans un cadre agréable », fait observer Issa Asgarally.

Le livre n’est pas un objet indispensable, mais un produit d’élection sans lequel on peut vivre, admet JMG Le Clezio. « Un jour à Gros Cailloux, dans une de ces écoles défavorisées, raconte-t-il, j’ai été ému de voir un écolier repartir avec un livre comme si c’était un objet précieux. Je n’étais pas sûr qu’il allait le lire, mais je sais qu’il y aura un livre dans sa famille. »

 

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