Interview

Joseph Tsang Mang Kin : «On a besoin d’une réforme qui réponde aux aspirations de la nouvelle génération»

Joseph Tsang Mang Kin

L’ancien ministre des Arts et de la Culture, Joseph Tsang Mang Kin, commente la réforme électorale proposée par le gouvernement. Selon lui, la réforme doit être dans l’intérêt de la nation, des jeunes en particulier, et non des dirigeants politiques. 

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Des années qu’on parle d’une réforme électorale, mythe ou réalité ?
Je pense que c’est une nécessité, parce que le code électoral avec lequel on a vécu depuis l’indépendance a servi son temps, mais est aujourd’hui désuet. Il est indispensable de faire une réforme électorale. Si on veut faire une bonne réforme, il faut se poser des questions. Pourquoi ? Pour avoir une meilleure Constitution. Et pour qui ?  Je trouve cela assez sérieux. On ne semble pas se rendre compte de la mutation de la société mauricienne, qui n’est plus celle de 1968. Tout juste après l’accession du pays à l’indépendance, il y avait beaucoup de méfiance, de crainte. Beaucoup partaient de peur de l’hégémonie hindoue, comme on le disait à l’époque. Cette Constitution avait été faite pour rassurer certaines personnes. 

N’y a-t-il plus lieu de rassurer ?
Aujourd’hui, il y a une réalité qui échappe à ceux qui veulent faire une réforme électorale. Le faire sans prendre en considération que la population a évolué, même sur le point psychologique, c’est tout rater ! Ceux qui sont nés avant 1968 sont, pour la plupart, bloqués sur les sièges réservés, la protection des minorités… Ils ne peuvent pas penser en dehors de ce schéma. Puis, il y a ceux qui sont nés après 1968, mais avant 1992, qui sont en quelque sorte intermédiaires, moins communalistes et plus ouverts. Ce sont des gens qui ont eu la chance de s’éduquer grâce à l’éducation gratuite introduite par le bonhomme Ramgoolam, Chacha. Il y a des gens plus instruits. Ils se rendent compte que le communalisme n’a plus de raison d’être. Ensuite, il y a ceux qui sont nés après l’accession au statut de la République en 1992. Ce sont eux, les vrais Mauriciens.

C’est vrai ?
Ils n’ont pas ce souci de communalisme. Ils s’en fichent éperdument des sièges réservés et autres. Si vous leur parlez de communalisme, ils ne sont pas contents. Ils se côtoient partout et par des questions d’amour ou d’amitié, le communalisme leur importe peu. S’il faut faire une réforme, c’est à eux qu’il faut penser. On a besoin d’une réforme pour l’avenir, pour répondre aux aspirations de la nouvelle génération. Il ne faut pas que la réforme soit faite par ces vieux qui vont penser aux sièges réservés, au compartimentage communal. Il faut une réforme selon les espérances des jeunes qui veulent d’une société saine, équitable et où il y a la méritocratie. C’est pour cela qu’il ne faut pas écouter les hommes dépassés qui prônent toutes sortes de formules pour protéger ceci ou cela. Il faudrait dans la réforme penser à l’avenir, car les jeunes auront à vivre avec. Si on leur donne une réforme avec des réflexes communautaristes, cela va tuer le pays. Il faut que les jeunes aient une réforme qui leur permette de s’épanouir dans la libre construction du véritable mauricianisme. 

Avez-vous pris connaissance des propositions du gouvernement ?
Oui. Et je dois dire que le Premier ministre est déconnecté avec l’évolution sociale du pays. Ce qui m’a le plus choqué, c’est la possibilité accordée aux chefs de partis de choisir un certain nombre de députés directement, sans l’aval de l’électorat. C’est un pas en arrière, il n’y a pas de démocratie. Demandez aux jeunes s’ils acceptent cela. On doit pouvoir évoluer dans une société plus démocratique, plus libre. Comment peut-on dire à un jeune : Tu appartiens à telle communauté ? Il se sentira offensé, bien évidemment. Voyez-vous un jeune de la nouvelle génération accepter cela ? Cette proposition du Premier ministre, hélas, ce n’est pas pour le contrarier, mais il gagnerait à consulter les jeunes, à se frotter avec eux et à leur demander ce qu’ils veulent pour avoir les moyens de construire l’île Maurice de demain. 

Nous, les vieux, on est sur le chemin de la sortie. Il ne faut pas qu’aujourd’hui on garde encore tous ces blocages communautaristes. Ce sont des barrières qu’il faudrait faire sauter. Il faut une société où les Mauriciens se font confiance entre eux. On doit développer les notions de liberté, d’égalité et de fraternité. On n’a pas de liberté, car il y a des décisions qui sont prises sans consulter la population... et c’est une forme de dictature. S’il y a le compartimentage, et qu’une personne choisisse pour les autres, il n’y a pas d’égalité. Comment peut-on penser à de telles choses ? Qui sont ceux qui prodiguent de tels conseils au Premier ministre ? N’ont-ils pas de cervelle ? Ne peuvent-ils pas conseiller le Premier ministre comme il le faut ? Ils sont payés par l’état.

À vous entendre, il semblerait que cette réforme n’a aucune chance de passer ?
Au fond, je ne le pense pas. Je fais confiance au bon sens des autres leaders politiques. Si votre réforme ne passe pas, vous serez désavoué. Alors, faites en sorte de venir avec un projet qui sera accepté. Si votre projet est rejeté, pensez que vous êtes passé à côté de la réalité. Si vous n’êtes pas capable de donner une réforme qui soit acceptée et votée par tout le monde, vous vous disqualifiez comme Premier ministre. 

Le gouvernement propose d’augmenter le nombre de députés à 82. N’est-ce pas trop pour un petit pays comme Maurice ?
Pas du tout. Il faut être réaliste. La population a triplé depuis 1965. Le nombre d’électeurs a augmenté. Je suis en faveur d’augmenter le nombre de députés, mais pas de la manière qu’ils préconisent. Une des premières choses que le gouvernement devrait faire, c’est de rééquilibrer les circonscriptions à travers un redécoupage électoral. Ce n’est pas équitable quand une circonscription compte seulement  26 000 électeurs pour trois députés, alors qu’une autre se retrouve avec plus de 66 000 électeurs et a droit à un même nombre d’élus.  Ce n’est ni juste, ni démocratique, encore moins acceptable. C’est une grande injustice qu’il est grand temps de corriger. Le Premier ministre peut demander à la commission électorale d’effectuer un redécoupage électoral, la population sera en faveur. 

Et quelle serait la meilleure formule, selon vous ?
Il y a plus de 900 000 d’électeurs. Je vais plus loin. Je dis, partagez le pays en 80 circonscriptions avec 11 000 électeurs et un député par circonscription. C’est l’opportunité de faire participer tous les coins et recoins du pays dans l’exercice électoral, permettant l’émergence de représentants de toutes les localités de  Maurice et rendant notre Parlement plus représentatif et plus national. Cela responsabilisera aussi les électeurs, qui sauront pour qui voter, même s’il y a 40 candidats. Ils ne seront pas obligés de voter pour trois pie banann. Cela va casser le communalisme. Le candidat élu sera responsable de sa circonscription. Il ne pourra pas esquiver ses responsabilités envers les électeurs. Il ne pourra pas dire : Pa mwa sa, al guet lot la. Puis, avec de petites circonscriptions, plus besoin de  dépenser des millions de roupies pour être candidat. Plus  besoin de donner de l’argent aux partis politiques pour avoir une investiture. N’importe qui pourra être candidat. Si vous êtes quelqu’un de populaire dans la région, vous pourrez facilement vous faire élire. 

Je prends l’exemple de la partielle à Quatre-Bornes. Il y avait au moins quatre jeunes valables. Je souhaite les voir dans un parti un jour. Ils sont pleins de bonnes intentions et de volonté. Je les avais prévenus qu’ils ne devaient pas se faire d’illusions. Le système actuel est tel qu’ils sont écrabouillés. Le système ne permet pas aux jeunes de s’exprimer, de se faire valoir. Avec un petit groupe avec lequel je travaille, mon idée c’est d’avoir un projet juste et équitable. Avec la proposition de 80 députés, on balaye le communalisme. 

Selon vous, ce n’est pas normal que l’argent public soit utilisé pour financer les partis politiques…
Les partis politiques ne sont pas enregistrés. Vous leur donnez de l’argent, ils n’ont pas de comptes à rendre. Quel contrôle avez-vous sur cet argent ? C’est immoral de financer les partis politiques à partir des fonds publics. La première chose à laquelle ils pensent quand on parle de réforme électorale, c’est le financement des partis politiques. Cela me choque et me met en colère qu’on ne pense pas au pays. Je suis contre. C’est piller les ressources. On peut utiliser cet argent pour aider ceux dans le besoin. 

Votre avis sur la proposition de 12 élus à travers la représentation proportionnelle si un parti politique arrive à obtenir 10 % de votes à une élection générale ?
C’est anti-démocratique. Cette proposition va tuer les petits partis qui peuvent avoir de bonnes idées pour servir le pays. Elle n’est pas valable. Comme je le dis, il faut balayer tous ces concepts rétrogrades. Ces idées sont du siècle dernier. Que la réforme soit propre et claire ! Un représentant par circonscription. Ce qui fait 80 députés. Il n’y a rien de plus facile. 

Que pensez-vous de l’allocation de 6 à 10 sièges pour rétablir la majorité obtenue par le parti ou l’alliance qui obtient le plus grand nombre de voix ?
C’est cela le blocage communal. On n’a pas besoin de cela. Tous ceux qui veulent écrire un projet de société doivent rencontrer les jeunes. 

Justement, on envisage de remplacer le « Best Loser System » par un système où ce sont les leaders politiques qui choisiront ceux éligibles pour les sièges additionnels…
Dites cela à un jeune et je suis convaincu qu’il ne va jamais l’accepter. La chose fondamentale, c’est de construire un avenir pour les jeunes. Ne les bloquez pas avec des préjugés du siècle dernier. Donnez la liberté aux jeunes. Mettez fin au système de protection, de népotisme. Je veux dire qu’un gouvernement et un Premier ministre ne peuvent gouverner contre le peuple. Ils ne peuvent pas avoir des cliques, ce qu’on appelle « la cuisine ». Ce n’est pas démocratique, s’il y a une « cuisine », il  faut la nettoyer. Ce n’est pas acceptable qu’il y ait un petit noyau de gens qui profite de tout et qui se croit au-dessus de la loi. 

Que pensez-vous de la proposition du Parti mauricien social-démocrate pour un recensement ethnique ?
On ne va pas réinventer la roue. Il y a déjà des données du Mécanisme africain d’évaluation par les pairs (MAEP), dont j’ai été membre. Nous avons déjà fait un rapport sur Maurice. Il appartient aux leaders politiques de voir ce rapport, qui analyse et donne des solutions aux problèmes. 

N’est-ce pas idiot de croire que la réforme va éliminer le communautarisme et le castéisme de notre système politique ?
Ce n’est pas la réforme, mais les jeunes de la nouvelle génération qui ont déjà éliminé cela de leur tête. Et c’est ce qu’il faut faire. 

Pour terminer, vous voyez-vous comme candidat lors des prochaines élections ?
Pour l’heure, je ne pense pas qu’il y aura de come-back. Je pense à l’avenir. Mais je serai là, si on a besoin de conseils. Il faudrait que les partis ouvrent leurs portes au sang neuf. Quant à moi, avec mon groupe, nous sommes en train de réfléchir sur la société. Je vous ai partagé notre projet de 80 circonscriptions. Le véritable défi, c’est de le faire accepter.

 

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