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La femme dans la publicité: nécessité ou exploitation ?

L’utilisation des lèvres d’une femme dans la publicité d’une  boisson gazeuse a fait polémique. Le Dimanche-L’Hebdo approfondie le débat avec Vino Sookloll, Anouska Virahsawmy et Christina Chan-Meetoo.

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Vino Sookloll (président de l’ACAM): « Il ne faut pas froisser la sensibilité des gens »

Si un produit est destiné à la gent féminine, les publicitaires n’ont guère de choix que d’utiliser la femme. C’est l’opinion de Vino Sooklall, le président de l’Association of Communication Agencies of Mauritius (ACAM). Dans ce cas, cela ne peut être un abus, ni une exploitation. « Il y a une fixation que l’on fait. Un concept importé de l’étranger. Certes,  dans d’autres pays, il y a des publicités exagérées mais à Maurice on n’en est pas là », explique-t-il. Les publicitaires, précise-t-il, font attention à ne pas froisser la sensibilité vu que nous vivons dans un pays assez complexe avec différentes croyances et communautés. « Il y a une sensibilité et la plupart des gens du métier font attention à ne pas la banaliser », dit-il.

Cependant, Vino Sookloll déplore le fait qu’il y ait néanmoins des pubs qui ne font pas honneur aux femmes. Pour lui, c’est tombé dans la facilité. « Dans le passé, il y a eu des pubs pour voiture où on mettait une belle femme à l’avant plan. C’est bête de faire ce genre de choses. C’est le produit qui doit être vendu pas la femme », fustige-t-il.

Pour mieux gérer le secteur de la pub, le président de l’ACAM préconise une entité indépendante pour décider si une pub est à connotation sexiste ou pas. Il affirme avoir le soutien de la ministre de l’Égalité des genres, Aurore Perraud à cet effet. « Certes, on a notre code d’éthique que nous essayons de respecter. Mais une Advertising Standard Authority(ASA) comme il en existe de par le monde aidera prendre des décisions plus justes lorsqu’une personne se sent lésée ou blessée par une publicité », déclare le président de l’ACAM.

Vino Sookloll préconise aussi la formation des officiers des différents ministères concernés. Il avance que le travail a déjà débuté mais qu’il y a encore à faire  car la communication est un métier complexe.


 

Christina Chan Meetoo, chargée de cours en communication: « Le corps féminin est le plus souvent réduit à un corps-objet »

La spécialiste en communication soutient que la publicité est une activité qui s’inscrit dans le cadre d’une société capitaliste et consumériste. En tant que telle, elle utilise les objets, les corps, les idées et concepts à une seule fin: promouvoir la vente des produits et des services mais aussi des idées (politiques, économiques, etc.). « La publicité fait partie intégrante de notre quotidien car nous y sommes constamment exposés, que ce soit de manière directe ou indirecte. C’est pourquoi elle soulève autant de passion lorsqu’elle semble dépasser les bornes », explique Christina Chan-Meetoo.

Elle déclare que l’utilisation des corps a longtemps été au centre des critiques, en particulier l’utilisation de l’image de la femme. Car le corps féminin est statistiquement surreprésenté et cela de manière stéréotypée, c’est-à-dire qu’il est le plus souvent réduit à un corps-objet, un fétiche sensuel, voire sexuel, destiné à être vu, consommé. Cette utilisation réductrice est cependant le symptôme d’une société où la femme-objet est monnaie courante, que ce soit dans les séries télévisées populaires, les « blockbuster movies » de Hollywood ou Bollywood, les magazines et même les journaux (pages consacrées au cinéma qui affichent en plus grand les images des célébrités les plus pulpeuses).

Elle est même plus insidieuse quand elle nous vend des produits en récupérant les revendications du féminisme (par exemple la libération des femmes grâce aux produits cosmétiques). « Il est ridicule de vouloir “empower” les femmes avec un rouge à lèvres… », souligne notre interlocutrice.

Christina Chan-Meetoo  ajoute qu’au-delà de la simple interrogation sur la représentation des femmes dans les médias, il faut surtout se poser la question de la représentation des hommes et des femmes. Il ne s’agit pas pour autant de censurer une ou deux publicités, ni encore d’interdire la représentation des corps. Ce qui gêne, c’est l’utilisation du corps pour vendre.

Pour elle, il faut aussi se poser  ces questions : « Comment nous, en tant que membres du public, consommons les médias ? Pouvons-nous avoir un regard critique et objectif ? Sommes-nous que des suiveurs? » Par ailleurs, la chargée de cours est d’avis que la récente polémique autour d’une boisson gazeuse a surtout démontré notre capacité à perdre du temps au lieu de nous concentrer sur les enjeux essentiels de notre société.


Anoushka Virahsawmy, directrice de Gender Links: « Il ne faut pas tomber dans l’extrême »

Anoushka Virahsawmy croit qu’il est important de comprendre la créativité des publicitaires.  D’autant qu’il y a des publicités qui passent des messages positifs. « Il faut comprendre la beauté de la chose. Il y a des publicités qui sont à l’honneur des femmes. Il est donc important qu’on puisse évoluer  et non pas tomber dans l’extrême », dit-elle.

Les publicitaires, poursuit-elle, doivent prendre en considération la sensibilité des gens. « Il est important que les publicitaires comprennent que nous vivons toujours dans une société conservatrice concernant certaines choses. Toutefois, il y aura toujours des gens qui vont se servir du corps de la femme pour vendre leurs produits », déplore-t-elle tout en indiquant que cette tendance est en nette diminution. En cas d’abus, la directrice avance que les personnes qui se sentent lésées peuvent se tourner vers les autorités concernées.

Selon la directrice de Gender Links, dans le passé il y a eu des publicités ‘sexistes’. « Gender Links a fait enlever des publicités quand on mettait trop d’accent sur le corps de l’homme et de la femme. Par exemple, une femme presque nue à côté d’une voiture. Ou encore une publicité dans laquelle une femme dansait et était comparée à des briques. Or, aujourd’hui, il y a une évolution positive », lance Anoushka Virahsawmy.

Elle ajoute que les boîtes de pub comprennent qu’il y a des sujets qui sont sensibles et qu’il faut faire attention. Anoushka Virahsawmy soutient que l’Association of Communication Agencies of Mauritius a des paramètres que ses membres doivent respecter.


Trisha Gukhool: « Une pub véhicule des stéréotypes »

La consultante en politique du genre Trisha Gukhool était récemment au centre d’une polémique par rapport au combat qu’elle a mené contre une publicité de la marque Coca-Cola. Cependant, elle fait ressortir que son action n’avait rien contre la marque elle-même mais plutôt la sur-sexualisation de l’image de la femme.

« Il y avait plusieurs éléments par rapport à cette image qui m’ont interpellés. L’image elle-même enfreint le code d’éthique de la publicité car elle ne comporte pas le produit. Cette pub donne une connotation sexuelle à l’image de la femme », explique-t-elle. Et d’ajouter, idée de faire taire les mauvaises langues, qu’elle n’a rien contre le fait qu’une personne boive à partir d’une chopine, car c’est plus respectueux de l’environnement.

« Nous vivons dans une société libérale et tolérante, mais la publicité nous est imposée sans aucun mécanisme de contrôle comme cela se fait par rapport aux films. Il faut que la pub soit plus respectueuse des différentes sensibilités », explique la consultante. « Une image veut dire mille choses. Durant la seconde que l’on aperçoit cette image, elle a plusieurs effets et peut créer des stéréotypes ».

« L’image elle-même enfreint le code d’éthique de la publicité car elle ne comporte pas le produit. Cette pub donne une connotation sexuelle à l’image de la femme. »

Trisha Gukhool va plus loin et nous explique qu’une pub, de par sa fonction, est supposée marquer les esprits. « Pour être efficace, elle doit créer un déclic. Une pub a un effet sur notre conscient et subconscient et véhicule des stéréotypes du genre. De par cette action, la personne qui regarde la pub sera influencée et ses actions seront basées sur le stéréotype véhiculé ».

Elle ne voit aucun inconvénient si une marque de lingerie ou de maillots de bain utilise une image de la femme vêtue de ces produits. Mais cependant, elle se demande pourquoi une telle image serait utilisée pour vendre des voitures ou de la nourriture. « Quel lien y a-t-il entre les deux ? Il faut avant tout que la pub vende le produit et non pas une image sur-sexualisée de la femme. Je ne suis pas contre. Mais que l’on ne sexualise pas son image dans le but de faire appel aux désirs sexuels pour faire de la pub tout en reléguant le produit au second rang ! »

En réduisant l’image de la femme à un objet sexuel, explique Trisha Gukhool, l’on créer une perception que la femme est un objet. « C’est la base même des maux auxquels fait face la gent féminine. C’est cette perception qui donne lieu aux cas de harcèlement et d’abus. L’image que l’on projette de la femme influence la société », explique la consultante. Autre fait, l’hypersexualisation des enfants. « Ils sont très influençables et leur définition du monde est basée sur les images que la société projette. Et leur comportement en ressort. Ce qui est normal pour un adulte ne l’est pas nécessairement pour les enfants ».


Reshma Sawdagursing: « Elle met en valeur la femme »

La mannequin Reshma Sawdagursingh a participé à plusieurs campagnes publicitaires et prête son image, ou une partie de sa silhouette, aux supports publicitaires. Elle figurait d’ailleurs dans la précédente campagne de Coca-Cola, « Share a Coke with… ». La mannequin soutient qu’elle n’a rien contre l’utilisation de l’image de la femme dans la pub. Nous vivons dans un ère marqué par l’émancipation de la femme et son autonomisation, dit-elle.

« Au contraire, selon moi, l’utilisation de l’image de la femme dans la publicité met en valeur ses atouts. La femme contemporaine travaille, elle est libre, émancipée et jouit des mêmes droits humains. La beauté de la femme ne doit pas être cachée dans les temps modernes, pas seulement sa beauté physique mais aussi sa beauté intérieure. Quand les gens la voient dans une pub, c’est sa personnalité qui rejaillit et pas uniquement l’aspect physique », nous explique Reshma Sawdagursingh.

Pour elle, le monde de la publicité est un monde artistique où la créativité prime et où l’image de la femme, ou d’une homme qui se prête au jeu, est mis en valeur. Une campagne publicitaire, nous confie la jeune femme, est avant tout un art, comme une pièce de théâtre où les mannequins jouent des rôles avec pour but de créer un produit artistique qui puisse plaire au public.

« La femme n’est pas utilisée comme un objet dans le monde de la pub. Si certaines personnes ne se sentent pas à l’aise avec un rôle qu’on leur propose ou avec le métier, qu’elles ne le fassent pas. Si l’on n’approuve pas, on ne le fait pas. C’est aussi simple que ça ! »

« L’utilisation de l’image de la femme dans la publicité met en valeur ses atouts… »

Parlant des campagnes auxquelles elle a participé, Reshma Sawdagursingh soutient que le travail est avant tout artistique. L’image que l’on retient d’un spot publicitaire est libre à l’interprétation de la personne qui le voit. C’est une question d’appréciation personnelle, dit-elle.

« Prenons par exemple les tableaux des grands peintres. Souvent, ils traitent de la nudité féminine. Cependant, l’on dira jamais que c’est de la pornographie parce qu’il faut avoir l’œil artistique pour apprécier ces œuvres d’art. L’image de la femme ne nuit pas, cela dépend une fois de plus de l’appréciation personnelle. C’est quelque chose de subjectif. L’on peut aimer ou pas du tout. Il nous faut avant tout avoir une certaine ouverture d’esprit afin d’apprécier ces supports », dit-elle.

Utiliser l’image de la femme n’est pas sexiste car la mannequin est d’avis que le féminisme doit être redéfini vu que les combats du passé ne reflètent pas nécessairement la situation actuelle. « À l’époque l’on menait campagne pour les droits de la femme. Or c’est désormais chose faite. Si cacher la femme ou empêcher la femme de progresser est perçue comme une action féministe, alors il nous faut revoir la définition du féminisme. Je crois dans la liberté d’expression », conclut Reshma Sawdagursingh.

 

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