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Lall Devnath : «Nous devons nous organiser et déclencher une action»

Lall Devnath

Très tôt Lall Devnath s’intéresse à la lutte syndicale. C’est surtout le sort des travailleurs de l’industrie sucrière qui l’intéresse. Ayant appris la lutte syndicale auprès de ses pairs avant de devenir lui-même dirigeant, il ne cache pas sa fierté aujourd’hui de marcher dans les pas de celui que l’on qualifie comme le père du syndicalisme à Maurice, Emmanuel Anquetil. Cet habitant de Chamouny, président de l’Artisan and General Workers Union (AGWU), nous livre, dans l’entretien ci-contre, sa vision du droit des travailleurs à une vie décente qui comprend son droit aux loisirs dans une île Maurice où l’espace des loisirs publics se rétrécit de plus en plus.

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Vous étiez présent, en tant que dirigeant syndical, aux côtés des militants anti-accaparement de nos plages, l’an dernier. Comment conciliez-vous la revendication de nos plages comme patrimoine et espace de loisirs commun et la lutte syndicale?
Je partage l’idée que la vie d’une personne se divise en trois tranches de huit heures, pour dormir, travailler et passer du temps en famille et aux loisirs. C’est ce qui définit l’humain d’aujourd’hui dans les grandes lignes. Ce que nous avons comme patrimoine naturel à Maurice est un cadeau de dieu auquel tout Mauricien, indépendamment de sa classe sociale, a droit.  Le droit de jouir de ce patrimoine est inhérent au fait d’être un Mauricien. Il ne faut pas oublier que les millions de touristes qui viennent nous rendre visite, le font pour ce patrimoine principalement. Vu sous cet angle, nous pouvons nous poser la question : pourquoi les touristes ont-ils le droit de jouir en toute liberté de nos plages et pas nous, les Mauriciens ? À une certaine époque, plusieurs plages ont été décrétées publiques mais de nos jours nous constatons une situation inverse : les plus belles plages sont bradées et à ce rythme « dimé nou kapav pa trouv figir lamer »... 

Cette situation inacceptable et il faut une fois pour toutes arrêter avec le modèle de développement pieds dans l’eau. Je ne me prononce pas contre le développement, mais contre cette façon de faire que je qualifie de « barbare ». Il y a une autre manière de faire qui ne priverait pas le Mauricien de sa plage.

Dans l’industrie sucrière, les quelques 5 000 travailleurs restant font le travail des 46 000 travailleurs d’antan»

Est-ce que vous pensez que le modèle de développement qui oriente Maurice vers un parc immobilier pour multi-millionnaires avec villas, propriétés et cités, peut s’accorder avec ce que vous dites, c’est-à-dire « le droit de tout Mauricien de jouir de son patrimoine naturel » ?
« Si sa model la kontinye, nou pou vinn bann third class citizen dan Moris… ». Il y a tellement de spéculation et la notion que la citoyenneté peut s’acquérir avec l’achat de propriété pousse à l’invasion de notre pays par des multi-millionnaires étrangers. Ces personnes ont de l’argent et peuvent se permettre de tout acheter « pou fer business... » au détriment de ce qui nous est commun. Aujourd’hui déjà avec ce modèle, le Mauricien moyen, ayant à charge sa famille et touchant dix à douze milles roupies, ne pourra jamais acquérir un terrain et y construire une maison.

Qui plus est, les terrains qui se libèrent de la canne pour planter les Smart Cities ne sont nullement destinés aux travailleurs. Vous voyez un laboureur emmener toute sa famille dans une de ces cités privées pour un déjeuner au restaurant ? Ou encore y faire des achats ? Quand nous voyageons dans les pays du Nord, nous nous savons étrangers, mais demain ce sentiment nous gagnera même sur notre propre terre. Finalement ce sera juste un retour à l’ère coloniale. Quelle signification donc du 12 mars 1968 ? Dans cette conjoncture, la classe syndicale ne peut pas se morfondre et laisser faire les choses. Nous devons nous organiser et déclencher une action.

Regardez ce qui se passe à Hong-Kong, au Soudan et dans plusieurs autres pays, la masse populaire envahit les rues pour un juste retour à la réelle démocratie, à la dignité humaine et pour une société juste où la richesse produite est partagée. L’écart entre riches et pauvres se fait de plus en plus important ici et cet état des choses nécessite que des mouvements se mettent en marche pour contrer cela.

Justement, la notion d’une meilleure répartition de la richesse passe aussi par la réduction du nombre d’heures au travail qui devient un sujet de discussion important dans certains pays du Nord...
Bon, déjà il faut comprendre que les pays du Nord ont, depuis le salariat, voire avant, dopé une bonne partie de leur économie avec l’exploitation de la matière première et le labeur des pays du Sud. S’il existait un échange et une coopération équitables entre les pays du Nord et du Sud, la question de la réduction des heures de travail se poserait dans les deux hémisphères de la même façon. Si nous prenons le cas de Maurice, avec nos lois sur le travail datant de 2008 – l’Employment Rights Act et l’Employment Relations Act – ils sont les vestiges des lois émanant de la surexploitation de l’ère coloniale, même s’ils sont d’une autre génération.

Si vous voyez la tendance à Maurice, on tend plus à aller vers les restrictions des acquis et des droits des travailleurs. On le voit, par exemple dans la manière dont le droit de grève a été attaqué par l’ancien régime gouvernemental. Il est inquiétant de constater à Maurice, avec ces développement tous azimuts, une diminution du nombre des travailleurs. On peut ajouter à cela, la précarité de l’emploi à travers les contrats saisonniers ou annuels. Ces conditions poussent les travailleurs à plus d’heures de travail au détriment de leur santé et de la qualité du temps passé en famille. Je connais des travailleurs qui ne dorment que quatre à cinq heures par jour de par la nature et l’exigence de leur travail. Savez-vous que dans l’industrie sucrière, les quelques 5 000 travailleurs restant font le travail des 46 000 travailleurs d’antan ? De ce fait le temps au repos de ces travailleurs est amoindri pour une industrie qui tourne 24/7.

Nous pouvons dire la même chose pour le secteur du textile et d’autres secteurs manufacturiers. Bien sûr que nous dans le syndicat, nous condamnons cela et nous demandons à ce que nous prenions exemple sur certains pays comme l’Allemagne où ils en sont à 35 heures la semaine.

Il y a des études et rapports qui démontrent que les problèmes majeurs de santé liés au travail sont le stress, le burn out et d’autres troubles d’ordre psychologique. Qu’en est-il à Maurice?
Nous avons toujours été en faveur d’un accompagnement médical pour les travailleurs de sorte à établir l’impact de son travail sur sa personne. Mais aujourd’hui avec la course effrénée au profit des entreprises, le facteur humain ne compte pas. Un travailleur qui, par souci de stress lié au travail, fait une faute, peut facilement se voir licencié et malheureusement, à Maurice, il n’existe aucune disposition légale pour attester de la responsabilité de l’employeur dans une telle situation. La classe syndicale devrait sérieusement songer à alerter l’Organisation Mondiale du Travail là-dessus, puisqu’elle est très au courant de cette situation dans le monde. C’est autant de raisons pour lesquelles les travailleurs de ce pays-là doivent se syndiquer. Le faible taux de syndicalisation affecte la capacité des travailleurs à obtenir de meilleures conditions de travail.

 

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