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L’appel de Betamax Ltd opposant STC : les motifs et implications juridiques du verdict du Conseil privé

L’avocat Penny Hack et L’avocat Robin Ramburn, Senior Counsel

Le 14 juin 2021, le Conseil privé s’est prononcé dans l’appel interjeté par Betamax Ltd à la State Trading Corporation (STC).  Celle-ci a est sommée de payer Rs 4,7 milliards à Betamax Ltd. Qu’est-ce qui ressort de ce jugement ? Quels sont les points saillants soulevés par les Law Lords et les implications de ce verdict ? Le point…

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Les points saillants 

Selon l’avocat Penny Hack, en 2006-2008, le gouvernement travailliste, afin d'assurer l'expédition de pétrole vers Maurice, a entamé des négociations avec Betamax Ltd pour un contrat d'affrètement (COA). Celui-ci a pris effet à partir du 17 janvier 2008, en vertu de la « Public Procurement Act 2006 (PP Act) » et le « Public Procurement Regulations 2008 (PP Regulations) ». Ces loi et règlement ont été par la suite modifiés en 2009. Le différend entre la State Trading Corporation (STC) et Betamax Ltd était de savoir si la loi sur la PP Act et le PP Regulations, en vigueur à partir du 27 novembre 2009, s'appliquaient au COA. 

« Betamax avait soutenu que le COA était exempté. Si la loi 2009 s'appliquait au COA, il s'agirait d'un contrat qui nécessitait l'approbation du « Central Procurement Board », explique Me Penny Hack, avocat d’affaires.

D’après Me Penny Hack, l'arbitrage du litige en juin 2017 avait déterminé quatre points : (1) L'arbitre avait la compétence sur le litige. (2) Betamax Ltd avait le droit de résilier le COA le 7 avril 2015, vu que la STC avait clairement indiqué son intention de ne pas exécuter le COA. (3) Sur la bonne interprétation de la PP Act et du PP Regulation, le COA a été exemptée des dispositions de la Loi 2009. Par conséquent, le COA n’avait pas été conclu en violation des dispositions de la loi et il n'y avait aucune raison de dire qu'il était illégal. (4) Il n'y avait aucune raison de considérer que le COA était par ailleurs illégal ou inapplicable.

Ensuite, soutient l’avocat Penny Hack, la Cour suprême avait en 2017 annulé la sentence arbitrale passant par l'article 39(2) (b) (ii) de la « International Arbitration Act » au motif que, à son avis, la COA contrevenait aux dispositions législatives et la sentence était en conflit avec l'ordre public de Maurice. L'appel soulève principalement la question de l'étendue de l'intervention autorisée par un tribunal dans un arbitrage international en vertu de l'article 39 (2) (b) (ii) de la loi sur l'arbitrage international.

Selon l’avocat Robin Ramburn, Senior Counsel (SC), les faits saillants du verdict du Conseil privé sont l’interprétation des Law Lords sur l’International Arbitration Act et la Public Procurement Act. Il y a aussi la façon dont les Law lords ont examiné l’autonomie et la finalité d’une sentence arbitrale. Pour le Senior Counsel « Ce sont les trois points saillants que j’ai notés dans ce jugement du Conseil Privé ». 

Observations des Law Lords sur la PP Act et le COA

« Je suis du même avis que les Law Lords qui ont trouvé qu’il appartenait à l'arbitre de déterminer si le COA était exempté des dispositions de la PP Act et PP Regulations et qui n’est donc pas illégal. Il ressort de la sentence arbitrale que l'interprétation de la législation sur laquelle reposait la légalité de la COA, nécessitait un examen détaillé à la lumière des modifications et amendements apportés au cours de la période entre la promulgation de la PP Act en 2006 et l'accord du COA, le 27 novembre 2009 », soutient l’avocat Penny Hack. Ce dernier soutient aussi qu’il n'est pas contesté qu'il appartient à la Cour suprême de déterminer la nature et l'étendue de l'ordre public de l'État, mais seulement dans le cas où l’arbitrage avait décidé que l’accord est illégal, mais néanmoins rend une sentence qui exécute l'accord malgré son illégalité. 

« Dans ce cas, le tribunal a le droit d'annuler la sentence en vertu de l'article 39 (2) (b) (ii) d de la « International Arbitration Act », comme contraire à l'ordre public. Mais, la Cour suprême a commis une erreur en révisant la décision de l'arbitre selon laquelle le COA était exempté des dispositions de la PP Act et PP Regulations. Cela suivant les principes de l’arbitrage international », explique-t-il. Pour Me Penny Hack, le Conseil privé a conclu que la Cour suprême n'était pas habilitée à réviser la conclusion de la sentence sur l'illégalité et que le COA n'était en aucun cas illégal. 

Selon Me Robin Ramburn, la première chose que les Law Lords ont prise en considération, dans leur jugement, est que la Cour suprême aurait pu revoir cette sentence arbitrale (’Award) en vertu de l’article 39 de l’International Arbitration Act. Ils ont conclu « non » et ont souligné que la juridiction de la Cour suprême ne pouvait pas interférer dans la sentence arbitrale prononcée par  l’Arbitre. Pour le Senior Counsel, les Law Lords ont aussi pris en considération qu’il n’y avait pas lieu à la Cour suprême de s’interférer dans la sentence arbitrale. « Les Law Lords ont aussi pris en compte la légalité du contrat. Ils sont arrivés à la conclusion en interprétant différents articles de la PPA et des régulations qui ont été faites en vertu de cette loi que ce contrat était définitivement exempté et que la question de l’illégalité ne se posait pas », indique Me Robin Ramburn.

L’annulation du contrat

Qu’est-ce qui justifie l’annulation de ce contrat par le gouvernement ? « Légalement parlant rien n’a pu justifier cette annulation dans les circonstances », réplique Me Penny Hack. 

Pour Me  Robin Ramburn : « Il m’est difficile de vous répondre. Mais, d’après le jugement, le gouvernement n’aurait pas dû résilier le contrat. Il aurait dû prendre les avis nécessaires avant d’annuler le contrat. Cette question, il faut la poser au gouvernement ou à ceux qui étaient au gouvernement à l’époque. Mais, définitivement, le Conseil privé a conclu que l’annulation du contrat de Betamax Ltd par la STC n’était pas justifiée ».

Par ailleurs, le Senior Counsel évoque tout contrat doit contenir des « termination clauses ». « Je ne sais pas pourquoi ils n’ont pas pu se servir de la « termination clause ». Je ne peux pas commenter sur le contrat car je ne connais pas les dessous du dossier, dont ses clauses.  Le gouvernement aurait dû explorer cette avenue au lieu d’annuler le contrat. Il aurait dû être guidé par des experts en la matière. Je ne sais pas de quel avis il s’est servi et comment cet avis a été donné. Le point vital dans cette affaire est que le Conseil privé a conclu que ce n’était pas justifié de « casser » le contrat. Donc, les Law Lords sont du même avis que l’arbitre », précise Me Robin Ramburn. 

L’arbitrage 

Cependant, indique Me Penny Pack, Betamax s’est tournée vers la SIAC dans le contexte d’un arbitrage international grâce à une clause d’arbitrage. La sentence était claire et prévisible simplement en appliquant les principes reconnus. Ces mêmes principes ont été confirmés par les Law Lords. Donc, l’intervention des tribunaux se doit être très limitée. Une sentence arbitrale est définitive et lie les parties. Il y a une exclusion des recours en appel sur des questions de droit. « Un tribunal arbitral peut statuer sur sa propre compétence, y compris sur toute objection relative à l'existence ou à la validité de la convention ou clause d'arbitrage. Cette clause d’arbitrage qui fait partie d'un contrat est considérée comme un accord indépendant des autres clauses du contrat, et une décision du tribunal arbitral constatant la nullité du contrat n'entraîne pas de plein droit, la nullité de la clause d’arbitrage » explique Me  Penny Hack.

« Les deux parties ont décidé d’aller vers l’arbitrage, en vertu des termes du contrat. S’il y a des « disputes », les deux parties (Betamax Ltd et STC) ont alors recours à l’arbitrage. Aussi je trouve que le Conseil privé est venu confirmer l’autonomie et la finalité de la sentence arbitrale », affirme Me  Robin Ramburn.

Qu’en est-il du paiement ?

Me  Robin Ramburn est catégorique : Betamax Ltd a gagné son procès. « Je ne vois pas comment Betamax Ltd ne devra pas être payée ». Mais, il ne peut pas répondre pour la STC. « Je ne sais pas comment le paiement va se faire. C’est la STC qui a mis fin au contrat de Betamax. Donc la STC aura à payer les conséquences », souligne le Senior Counsel.

Pour Me  Penny Hack, Betamax doit maintenant demander l’exécution de la sentence arbitrale à la Cour Suprême, mais vu l’état financier et la solvabilité de la STC, dans le contexte actuel, il serait mieux de négocier un paiement à échelon.

Les avenues possibles 

La STC a-t-elle un autre recours pour contester le verdict du Conseil privé ? « Mais quel recours ? s’interroge Me  Robin Ramburn. C’est fini. La STC n’a plus de recours. Il faut avoir une finalité dans un jugement et c’est la finalité. C’est aux hommes de loi de la STC de voir ce qu’ils peuvent faire et quels sont leurs avenues ». Pour conclure, il fait ressortir que Betamax Ltd est en droit de réclamer son argent.

Selon Me  Penny Hack, dans un premier temps, il faut procéder à l’exécution de la sentence arbitrale, avant de parler de saisie. Aussi il ne faut pas oublier que le gouvernement pourrait agir comme garant de la STC à défaut de non-paiement.


Genèse de l’affaire 

  • 23 octobre 2007 : la Chambre de commerce et de l’industrie informe 400 de ses membres que le gouvernement a décidé d’acquérir un tanker et la participation du secteur privé est envisageable.
  • 18 janvier 2008 : Six compagnies privées rencontrent des représentants du ministère des Infrastructures publiques. Veekram Bhunjun y est présent. Il soumet son offre et propose un joint-venture entre Betonix et Executive Ship Management, une firme singapourienne.
  • 15 janvier 2009 : le projet change de forme. Le joint-venture obtient une « award letter » du gouvernement pour l’acquisition d’un tanker sans la moindre contribution financière de l’État mauricien.
  • 6 mai 2009 : Le Board de la STC approuve le contrat d’affrètement avec le joint-venture et Betamax Ltd est incorporée le même jour.
  • Septembre 2009 : la STC est invitée par le gouvernement à retenir les services de la firme d’expert-comptable BDO pour évaluer l’offre de Betamax Ltd. BDO est également l’auditeur de Betonix, une filiale du groupe Bhunjun.
  • 27 novembre 2009 : BDO émet un rapport en faveur de Betamax Ltd. Le contrat d’affrètement entre la STC et Betamax est signé le même jour.
  • 11 décembre 2014 : L’alliance Lepep détrône Navin Ramgoolam et SAJ devient Premier ministre. 
  • 30 janvier 2015 : Le conseil des ministres met fin au contrat d’affrètement.
  • 4 février 2015 : STC informe Betamax Ltd qu’elle ne peut plus retenir ses services pour le transport de produits pétroliers.
  • 5 février 2015 : Betamax Ltd sert une mise en demeure à la STC pour lui demander de se conformer aux termes du contrat. 
  • 7 février 2015 : Betamax Ltd invite la STC à la table des négociations mais celles-ci échouent.
  • 15 mai 2015 : Betamax Ltd initie la procédure d’arbitrage devant le Singapour International Arbitration Centre (SIAC), et réclame des dommages de 150 millions de dollars américains.
  • 30 juin 2015 : le Dr Michael Pryles est nommé arbitre.
  • 3 septembre 2015 : la STC soulève une objection préliminaire à l’effet que cette affaire relève du droit pénal mauricien et de l’ordre public. 
  • 7 octobre 2015 : l’objection préliminaire est rejetée par l’arbitre.
  • 5 juin 2017 : la sentence arbitrale est prononcée en faveur de Betamax Ltd. La STC est sommée de payer Rs 4,7 milliards.
  • 1er septembre 2017 : la STC conteste la sentence arbitrale en Cour suprême.
  • 6 septembre 2017 : Betamax Ltd fait une demande de procédure d’exécution de la sentence arbitrale.
  • 7 septembre 2017 : un ordre d’exécution provisoire est émis.
  • 19 septembre 2017 : la STC dépose une motion en Cour suprême pour contester l’ordre provisoire.
  • 22 septembre 2017 : Les parties se présentent en Cour suprême. Betamax Ltd estime que la motion de la STC a été déposée en dehors du délai statutaire de 14 jours. Elle ajoute que l’ordre intérimaire est désormais final. Betamax Ltd accepte cependant de geler l’exécution de la sentence arbitrale en attendant de surmonter ce différend sur le délai statutaire.
  • 3 octobre 2017 : Les parties retournent en Cour suprême mais aucun accord n’est trouvé. 
  • 30 novembre 2017 : Le Pacific Diamond, battant pavillon libyen et transportant 40 000 tonnes de carburant pour la STC, est bloqué au port de Mangalore, en Inde, sur ordre de la Haute Cour de Karnataka à la suite d’une demande de Betamax Ltd.
  • 4 décembre 2017 : Betamax Ltd réclame une garantie bancaire de 70 000 dollars américains de la STC pour retirer sa demande d’injonction.
  • 5 décembre 2017 : la STC refuse de fournir la garantie bancaire.
  • 11 décembre 2017 : la demande d’injonction de Betamax Ltd sera débattue devant la Haute Cour de Karnataka. 
  • 13, 14 et 15 mars 2018 : débats en Cour suprême sur le respect du délai statutaire de 14 jours.
  • 31 mai 2019 : le Full Bench de la Cour suprême annule la sentence arbitrale rendue, le 5 juin 2017, par le Singapore International Arbitration Centre. Celui-ci avait ordonné à la STC de payer Rs 4,7 milliards à Betamax Ltd. 
  • 2 septembre 2019: Betamax Ltd obtient le feu vert de la Cour suprême pour recourir au Conseil privé. 
  • 20 et le 21 janvier 2021 : le Conseil privé écoute les débats sur l’appel interjeté par Betamax Ltd  pour contester la décision de la Cour suprême. Celle-ci avait annulé la sentence arbitrale.
  • 14 juin 2021 : Betamax Ltd obtient gain de cause. La STC devra payer Rs 4,7 milliards à Betamax Ltd.
 

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