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Le générateur d’emplois

« Le temps du ‘jobless growth’ est révolu », déclare le premier gouverneur adjoint de la Banque de Maurice dans un entretien à Business Magazine. La
« croissance sans création nette d’emplois » est assurément un terme ambigu, qui a toutefois le mérite d’établir une relation entre croissance et emplois. Cette relation peut-elle être négative, c’est-à-dire la croissance est-elle destructrice d’emplois ? Si oui, cela remettra en question les enseignements de la science économique. Or tout économiste peut affirmer, sans prendre le risque de se tromper, que la croissance économique est un générateur d’emplois.

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Une baisse du taux de chômage n’est pas une preuve suffisante qu’il n’existe plus de « jobless growth ». D’abord, si la croissance crée bien des emplois, elle n’est pas la seule responsable du chômage. Ensuite, il y a chômage et taux de chômage, ce dernier étant une statistique qui dépend de plusieurs variables indépendantes de la croissance : le taux d’activité (labour force participation rate), le vieillissement de la population, le temps de travail et les programmes publics qui créent des emplois artificiels.

Mais le phénomène de « jobless growth » a-t-il vraiment eu cours à Maurice ? Tout porte à croire que non, comme l’indiquent les données historiques de Statistics Mauritius publiées sur son site web. Depuis 1983, il y a eu une seule année où l’économie a connu une destruction nette d’emplois : c’était en 2011 avec 2 800 emplois détruits.

Les économètres doivent le savoir : la tendance d’un indicateur ne s’analyse pas sur un an seulement. Une période de moyen terme, disons de 4 ans, est plus appropriée, d’autant que le gouvernement actuel se targue d’avoir créé plus d’emplois que son prédécesseur. Ce que démentent les chiffres officiels.

Ils montrent une création nette de 22 200 emplois durant 2015-2018, les 7 900 emplois de 2018 étant tout de même encore très hypothétiques. Ce nombre total est de loin inférieur aux 27 500 emplois créés de 2011 à 2014 (dont 16 300 en 2013) et aux 30 700 emplois de la période 2007-2010 (dont 13 300 en 2008). Si « jobless growth » il y avait, elle était révolue depuis dix ans déjà…

La relation positive entre la croissance et l’emploi était très forte dans la seconde moitié de la décennie 1980 et, à un degré moindre, dans la première moitié de la décennie 1990. La période 1987-1990 vit une création nette de 70 800 emplois avec une moyenne annuelle de 6,6% de la croissance économique. De 1991 à 1994, celle-ci fut de 5,2% en moyenne, générant deux fois moins d’emplois (34 000). Et malgré un taux moyen de croissance plus élevé de 5,7% durant 1995-1998, encore moins d’emplois furent créés, soit 20 200.

C’est à cette époque que fut lancé le concept « jobless growth » à Maurice. On y croyait de plus en plus dans les années qui suivirent, au vu du fléchissement de l’emploi : 13 200 emplois créés durant 1999-2002 malgré une croissance moyenne de 4,6%, et 12 800 postes durant 2003-2006 en dépit d’une expansion de 4,7%. Mais ensuite, avec le même taux moyen de croissance de 4,7% durant 2007-2010, 30 700 emplois furent créés, jetant aux oubliettes ce concept.

En trois ans, de 2015 à 2017, 14 300 emplois furent créés, moins que les 16 300 emplois générés pendant la seule année 2013 malgré un contexte économique mondial défavorable. De surcroît, les grands établissements du secteur privé (ceux employant au moins 10 personnes) détruisent plutôt que créent des postes : leur nombre d’emplois est passé de 221 549 en mars 2015 à 217 267 en mars 2017. Parallèlement, les emplois ont augmenté dans le secteur public (gouvernement et entreprises publiques), passant de 95 125 à 99 700.

Ceux qui ont étudié l’économie du travail vous diront que celle-ci a comme objet central d’analyse le travail salarié privé. Les emplois publics, eux, ne sauraient être proprement analysés, car l’employé est dans un statut d’assujettissement à l’autorité de l’employeur, et il est rémunéré par l’argent des contribuables. Plus d’emplois publics signifient plus de dépenses et de dette publique, d’où l’irresponsabilité d’un gouvernement qui distribue ceux-ci à gogo.

Les quelques milliers de jeunes enregistrés chaque année au Youth Employment Programme ne sont pas comptabilisés comme chômeurs tout simplement parce qu’ils effectuent un stage en entreprise. En fait, ils font partie de la masse des travailleurs sous-employés (ceux qui n’ont pas un niveau de satisfaction optimal dans leur travail), que MCB Focus estime à 117 700. Ajouté à cela le nombre croissant de chômeurs diplômés (10 086 au premier trimestre 2018, soit 24,6% du total), et on comprend la frustration grandissante de la jeunesse mauricienne.

Le taux de chômage est calculé à partir des estimations, des « weighted averages of estimates based on sample data collected throughout the year ». Les marges d’erreur ne sont pas négligeables du fait qu’il y a plusieurs éléments à estimer, que les estimations font l’objet d’un redressement statistique, et que les moyennes sont pondérées. S’il existe une variable sur laquelle dépend essentiellement le taux de chômage, c’est le taux d’activité, soit le rapport entre le nombre des économiquement actifs et la population des 16 ans à monter.

Entre 2015 et 2017, celle-ci augmenta de 15 700, mais la population active de seulement 2 300, avec pour résultat que le taux d’activité baissa de 60,4% à 59,6%. Le taux de chômage pour 2017 est alors estimé à 7,1%. Or, si le taux d’activité était resté à 60,4%, il y aurait eu plus d’actifs et plus de chômeurs contre le même nombre d’emplois, et le taux de chômage aurait été de 8,3% !

Elle n’est pas évidente, la relation entre croissance et chômage…

 

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