Blog

Les facteurs non-économiques

La guerre Bhadain-Sanspeur et les millions de Trilochun ont éclipsé le budget national. Certains ont crié trop vite au « feel-good factor » de celui-ci : le facteur budgétaire s’est désintégré en une semaine. Parmi ceux du secteur privé qui ne s’affichent pas, on ne manque pas de montrer une mauvaise humeur. Preuve, s’il en est, que le gouvernement peut annoncer et appliquer les meilleures mesures économiques du monde sans toutefois impacter positivement le mental des entrepreneurs. Au point où en est la gouvernance publique aujourd’hui, un coup de pouce à l’économie proviendrait plutôt des facteurs non-économiques.

Publicité

Ils sont la confiance, l’équité et l’intégrité. C’est ce qu’enseignent les néo-keynésiens George Akerlof et Robert Shiller dans leur livre Animal Spirits (2009). Keynes affirmait qu’une grande partie de l’activité économique est influencée au quotidien par les « esprits animaux », c’est-à-dire les motivations autres qu’économiques. Ainsi de la confiance : on n’investit pas dans un secteur où l’Etat affiche la méfiance par des changements de politique ou par des décisions erratiques. Ainsi de l’équité : on ne consomme pas un produit dont le fabricant ne respecte pas des normes environnementales. Ainsi de l’intégrité : on n’achète pas chez des commerçants malhonnêtes même s’ils vendent à moins cher. Les esprits animaux sont des moteurs de l’investissement et de la consommation.

Les comportements induits par les esprits animaux, tels nos mécanismes psychologiques et affectifs, expliquent en partie la stagnation de notre croissance économique. Le tissu social se desserre avec le chacun pour soi : les assureurs paient le prix fort du manque de civisme et de discipline sur nos routes, qui traduit la dérive vers des agissements antisociaux. Les Mauriciens produisent moins d’efforts et font moins de sacrifices : comment leur inculquer la notion de productivité ? Il faut prendre en compte les changements dans leurs schémas de pensée : les directeurs des ressources humaines en savent quelque chose.

Même la confiance que les cadres ont les uns envers les autres est variable. Auparavant, une simple conversation suffisait pour faire bouger les choses. Aujourd’hui, il faut tout mettre en écrit. Les investisseurs se fient de moins en moins aux écritures comptables. L’altération de la confiance dans les relations d’affaires à Maurice fait cahoter la machine économique.

Le premier et le plus décisif de nos esprits animaux est la confiance, carburant-clé de la croissance. On sait qu’un accroissement de l’investissement a des effets décuplés sur la production nationale. Il en est de même d’une hausse de la confiance. Le multiplicateur de confiance joue un rôle crucial surtout dans une économie en difficulté. Tant que les entreprises et les ménages ont confiance, ils investissent ou consomment. Lorsqu’ils perdent confiance, l’investissement et la consommation fléchissent.

La confiance ne se construit pas sur des projections statistiques. Croissance supérieure à 4,0% l’année prochaine ? La vie économique ne s’inscrit pas dans des prévisions tirées de modèles économétriques, sur la base desquelles sont conçues des politiques de relance keynésiennes. Keynes lui-même écrit que « a large proportion of our positive activities depend on spontaneous optimism rather than on a mathematical expectation », et que la plupart des décisions individuelles « can only be taken as a result of animal spirits – of a spontaneous urge to action, and not as the outcome of a weighted average of quantitative benefits multiplied by quantitative probabilities ».

Pour que les agents économiques opèrent dans un esprit de confiance, les ministres doivent inspirer la confiance. Mais devant ce que les éditorialistes de week-end appellent des « décisions plus vengeresses que réfléchies » et « des opérations politiques menées par le gouvernement Lepep dans le dessein de régler ses comptes avec les proches de l’ancien régime », la confiance se délite.

L’évolution du taux de croissance en données corrigées des variations saisonnières entre deux trimestres correspondants (seasonally adjusted quarter-to-quarter growth rate) donne une indication de l’impact des décisions politiques sur l’économie. Dans ses Quarterly National Accounts, Statistics Mauritius précise qu’en général, « production is relatively low in the first quarter; it increases gradually in the two subsequent quarters to peak in the last quarter before declining in the first quarter of the following year ».

Il faut savoir que le taux le plus élevé durant la législature de 2010-2014 fut enregistré au deuxième trimestre 2014, soit 2,0%, et on n’a pas fait mieux depuis. Mais comment expliquer que les taux de croissance du dernier trimestre 2014 (0,1%) et 2015 (0,6%) étaient inférieurs à ceux du premier trimestre 2015 (0,9%) et 2016 (0,9%) ? La campagne électorale de fin 2014, l’état de grâce du nouveau gouvernement début 2015, l’incertitude politique fin 2015 et le sursaut de leadership du Premier ministre début 2016 étaient des facteurs déterminants. 

Le deuxième trimestre 2016 fut marqué par le retour de Pravind Jugnauth au Conseil des ministres, et le troisième trimestre par un discours budgétaire ayant pour message qu’un ministre s’occupe à plein temps de l’économie du pays. Cela devait stimuler quelque peu le rythme de croissance. Mais il y a tant d’impondérables politiques avec les affaires qui ont une odeur de corruption, les favoritismes dans les recrutements publics, et la mauvaise foi dans les réponses parlementaires. Sans compter le facteur Bhadain…

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !