Interview

Lindsay Rivière, président du Media Trust: «Le Parlement doit développer des rapports de dialogue avec la presse»

Le président du Media Trust table sur la formation des journalistes pour consolider l’image et le prestige de la presse à Maurice. Il est grand temps, selon lui, que la presse recentre ses réflexions sur son rôle, revienne aux grands principes et retrouve sa flamme d’antan. Est-ce que l’intervention sur la sanction d’une journaliste par la Speaker entre dans les paramètres du rôle du Media Trust ? Le Media Trust a pris position sur cet incident surtout en intervenant au niveau d’un principe. Nous sommes certainement très respectueux de l’institution et de ses règlements et nous reconnaissons à la présidence de l’Assemblée nationale le droit de veiller à ce que l’image du Parlement ne soit ternie ou injustement altérée. Mais, en même temps, l’article incriminé est un éditorial, un article d’opinion. Ce qui était reproché à la journaliste n’était pas factuel mais un jugement négatif porté sur le fonctionnement du Parlement. Nous sommes donc dans le champ de l’expression d’une opinion et la presse tout entière est très attachée au concept de liberté d’expression et d’opinion. Le Media Trust n’est pas un Press Council chargé de veiller aux normes de chaque journaliste ni sommes-nous la police de la presse. Nous sommes un organisme de formation et presque toutes nos activités tournent autour de ce mandat. Mais nous intervenons au nom des grands principes qui régissent la presse et qui souvent déterminent son bon fonctionnement dans une démocratie. Nous sommes donc venus dire qu’autant nous comprenons l’émotion de la Speaker nous estimons aussi qu’il n’est pas l’intérêt du bon fonctionnement de la démocratie qu’on interdise l’accès du parlement à un journaliste. Pourquoi ? Puisqu’il n’est pas là comme un simple spectateur, il est les yeux et les oreilles de la nation. Il est là comme le garant d’un droit du citoyen d’informer et de former des opinions. Je peux comprendre qu’une institution impose des normes et une conduite dans ses rapports avec les outsiders mais la sanction n’est jamais une solution. C’est pourquoi nous avons demandé que cette décision soit reconsidérée. Autant pour la position du Media Trust, mais qu’en pense le journaliste de carrière ? J’ai fait 45 ans dans la presse et je n’ai jamais cru dans le boycott car ce n’est jamais une solution. J’ai toujours été contre l’exclusion des journalistes d’un événement. Certains politiciens ont exclu, dans le passé, des journalistes ou des journaux de leurs conférences de presse. Ce n’est pas possible de punir la presse car elle est le prolongement du citoyen de savoir et de commenter. C’est un principe important et fondamental. Que peut faire le Media Trust pour rétablir ce fait ? Nous axons une partie de notre formation sur la bonne connaissance des institutions. J’encouragerai le Parlement de développer avec la presse des rapports d’amitié et de dialogue pour que chacun soit dans son rôle dans le respect de l’autre. La présidence de l’Assemblée nationale a-t-elle été déjà approchée ? Nous avons déjà fait la démarche et avons évoqué la question de la formation des journalistes aux réalités du Parlement avec la Speaker. Nous espérons bien l’accueillir, avec le Clerk de l’Assemblée pour en débattre et en discuter. En fait, nous souhaitons inviter les représentants des institutions du pays pour former les journalistes. Nous avons déjà accueilli, dans ce sens, sir Victor Glover. [blockquote] « Un journaliste d’une presse indépendante qui entre dans le jeu des politiciens commet un suicide professionnel. » [/blockquote] Est-ce que la démarche du Media Trust est bien comprise ? Le Media Trust a été inopérant pendant 10 ans. Cela n’a pas été facile de le redémarrer. On a dû remettre en place toute la structure, acheter des équipements et nous assurer que tous les titres à Maurice comme à Rodrigues y soient représentés. Nous avons organisé beaucoup de rencontres, de forums, des sessions de formation formelles, des cours, nous avons accueilli des invités étrangers, mis la MBC dans le coup et nous travaillons à mettre en place un centre de formation des journalistes à Maurice avec des partenaires étrangers. Nous voulons consolider l’image et le prestige de la presse à Maurice. Nous sentons qu’après 15/20 ans de conflits permanents entre la presse et la politique, l’image de la presse s’est quelque peu dégradée. Conflits permanents ou copinage ? La presse n’a pas pour vocation d’être proche des politiciens et une trop grande familiarité est mauvaise. J’ai toujours soutenu que toute proximité entre journalistes et politiciens fausse le rapport qui devrait exister dans le jeu démocratique. Un journaliste d’une presse indépendante qui entre dans le jeu des politiciens commet un suicide professionnel. Il faut apprendre à rester loin pour éviter toute manipulation et rester assis en face du politicien et non à ses côtés. Seriez-vous en train de dire que la presse actuellement a un gros souci de crédibilité ? Oui. La presse n’a aucun statut ni droit spécial à Maurice. Elle est soumise aux mêmes lois que le citoyen. Il ne faut pas avoir la grosse tête ! Il faut gagner le respect public. Malheureusement depuis un certain nombre d’années il y a eu une dégradation des valeurs essentielles dans la presse. Nous avons vu beaucoup de sensationnalisme, un peu moins de rigueur dans l’analyse des faits et trop souvent elle s’est laissée manipuler dans un jeu d’alliance et est devenue l’instrument de certaines ambitions. Quelque part elle s’est un peu dénaturée. Il ne faut pas se voiler la face, cela a amené au fil des années une perte de crédibilité. Comment redorer son blason ? Il faudra beaucoup travailler. Nous sommes les héritiers d’une longue tradition de liberté et d’indépendance. Nous sommes un des piliers de la démocratie. Notre finalité est de servir la nation et pas les politiciens, pas des groupes d’intérêt précis et pas les puissances financières. Il faut que la presse recentre ses réflexions sur son rôle et revienne aux grands principes qu’elle a représentés depuis 243 ans et qu’elle retrouve sa flamme d’antan. Un gros défi pour le Media Trust ? Certes, d’autant plus qu’on ne peut rien imposer. On ne peut qu’aider à contribuer pour éveiller les consciences. Ne serait-ce pas là le rôle d’un Press Council ? Qu’on n’a pas et qu’on n’aura certainement jamais ! Cela fait 40 ans que le gouvernement veut en instituer. En vain. Les journaux mauriciens sont très individualistes. Les propriétaires de presse acceptent difficilement qu’on leur donne des ordres. Il y a une grande méfiance, on craint que l’institution d’un Press Council soit une tentative de museler la presse. Et le Freedom of Information Act ? C’est une demande qui est là depuis de nombreuses années. Le Media Trust se tient tout prêt à soumettre ses propositions au gouvernement. On entend que la loi est en train d’être draftée mais nous n’avons pas été consultés. Je suis toutefois optimiste. Cela viendra et on aura l’occasion d’en débattre. Un appel au gouvernement ? Nous sommes dans une société mondiale où il y a de plus en plus de transparence, on ne peut plus rien cacher. Il y a des yeux et des oreilles partout ! Il vaut mieux jouer la carte de la transparence plutôt que de forcer la presse à aller fouiller. Le mot de la fin ? La presse est un peu essoufflée. Il lui faut un petit kick. Il faut une nouvelle génération de journalistes. J’encourage les jeunes à se joindre à la profession qui est difficile et ne paie pas autant que d’autres. Mais elle est passionnante. Sanjana Bhagmal-Cadervaloo - sanjana@defimedia.info
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