Législatives 2019

Lindsay Rivière : «Tout peut arriver dans une lutte à trois»

L’observateur politique, Lindsay Rivière, est d’avis que la lutte à trois qui se profile pour les élections générales peut engendrer une instabilité politique et subséquemment économique. Dans l’entretien qui suit, il décortique la campagne des principales formations politiques.

Sauf coup de théâtre, on se dirige vers une lutte à trois. C’est difficile, selon vous, de désigner le grand favori ?
Absolument. Il est clair maintenant qu’on se dirige, pour la première fois en 43 ans, vers une « three-cornered fight ». Il y a eu plusieurs tentatives de rapprocher le MMM et le MSM mais elles ont toutes échoué pour des raisons que nous connaissons. Ce qui fait que nous aurons une lutte très intense entre l’Alliance Morisien, l’Alliance Nationale et le MMM. Dans ces conditions, tout peut arriver. Je vous rappelle qu’en 1976 – la dernière élection à trois – une dizaine de députés avaient été élus avec moins de 38% des voix. Avec une dispersion des voix, qui va aussi être provoquée par les autres partis à l’instar du Reform Party, Rezistans ek Alternative et Lalit, entre autres, il ne serait pas surprenant de voir des candidats se faire élire avec 30% à 35% des voix. Donc, il est très hasardeux de faire des pronostics. Et cette élection va être marquée par un grand suspense, probablement jusqu’à la fin.

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Qui est celui qui aura le plus à perdre dans cette lutte à trois ?
C’est définitivement Pravind Jugnauth. S’il perd le pouvoir, il se retrouvera en face d’un Navin Ramgoolam extrêmement hostile et revanchard. Hors du pouvoir, le MSM risque de dégringoler parce que le MMM veut redevenir le deuxième parti du pays – l’alternative naturelle au gouvernement. Cela a d’ailleurs toujours été son statut. 

Une alliance postélectorale est-elle un avantage pour le pays ?
Notre système politique fonctionne le mieux dans des luttes à deux. Cela nous assure une workable majority, un gouvernement qui a au moins 50 % des suffrages et une distribution de tickets qui assure la représentation des groupes ethniques. La lutte à deux assure aussi une stabilité politique qui subséquemment garantit une stabilité économique. Cela dit, une lutte à trois n’entraîne pas automatiquement une absence de majorité. Mais il y a un risque d’instabilité réelle si aucun parti ne peut gouverner seul et se retrouve obligé de conclure des alliances qui n’assurent pas forcément la représentativité de toutes les composantes. C’est faisable certes, mais tout devient compliqué car cela introduit un élément d’instabilité et d’incertitude. Il est impératif de gérer une telle situation tant pour le bon fonctionnement de l’État que pour l’équilibre sociale. Il faudra faire preuve de responsabilité et de retenue après ces élections.

Les politiciens nous tirent vers le bas avec des méthodes infectes qui ne sont pas dignes d’une île Maurice moderne."

Sinon, nous sommes de plain-pied dans la campagne électorale. Comment celle-ci diffère de celles des élections précédentes ?
D’abord, par son caractère de snap election ! Nous avons moins de 30 jours pour la campagne. C’est extrêmement court, mais ce sera très intense. Les partis n’ont pas beaucoup de temps pour s’organiser et beaucoup de candidats seront de grands inconnus, voire des néophytes. Le peuple n’aura pas de temps de les connaître. On va donc voter beaucoup plus pour les chefs de partis. En même temps, dans une lutte à trois, il n’y a plus cette dimension de bloc contre bloc et de block vote. Les électeurs seront plus tentés de « couper-trancher » et le panachage risque de marquer ces élections. En 1976, il y a eu des résultats de 2-1 dans neuf circonscriptions. Un tel scénario n’est pas à écarter cette fois.

Des rumeurs circulent à l’effet que des politiciens vont mettre au jour des sex-tapes et autres scandales afin d’éclabousser leurs adversaires. Y-a-t-il un risque que nos politiciens fassent des attaques sous la ceinture ?
Ils se donnent des coups sous la ceinture depuis belle lurette et c’est très dommage, car la politique est très en retard sur l’évolution de la nation mauricienne. Les Mauriciens, dans leur grande majorité, veulent une plus grande moralisation de la vie publique. Ils veulent plus de respect dans le débat public et une politique plus civilisée et conforme à notre siècle et à l’évolution de nos jeunes. Malheureusement, les politiciens nous tirent vers le bas avec des méthodes infectes qui ne sont pas dignes d’une île Maurice moderne en 2019. Il y aura probablement encore plus de coups bas pour ces élections. Mais ce sera aux Mauriciens de faire preuve de maturité.

Pravind Jugnauth est en train de mettre l’accent sur ses réalisations et des projets pour le pays au lieu d’attaquer frontalement ses adversaires. Cela va-t-il être payant ?
J’ai pu noter lors du meeting de Sainte-Croix cette semaine cette volonté chez Pravind Jugnauth de jouer son bilan et de cultiver l’optimisme chez les Mauriciens. Il réclame un acte de foi en lui-même et en son gouvernement, et va présidentialiser au maximum cette élection. Il demande donc un vote positif plutôt qu’un vote sanction contre l’adversaire. Ça viendra. Il y aura à coup sûr une campagne contre ses adversaires, surtout Navin Ramgoolam. Pravind Jugnauth veut surtout montrer au peuple qu’il est différent de Ramgoolam. Il existe chez lui une espèce de force tranquille tournée vers le changement et la réforme de l’île Maurice. Nous verrons lors de ces élections l’importance que les gens accordent au bilan. 

Ce sera suffisant, selon vous ?
J’ai toujours pensé que le bilan, seul, ne suffit pas. Sir Anerood Jugnauth a été battu en 1995 après 12 ans et un bilan impressionnant. Navin Ramgoolam a subi le même sort en 2000 et en 2014, personne ne souciait s’il avait fait un nouvel aéroport, la route de Verdun ou autres gros projets. Quel est la part du bilan dans le choix des électeurs ? Qu’attendent-ils d’un gouvernement ? Les élections à venir seront un bon indicateur pour trouver les réponses à ces interrogations.

Lorsque PKJ renouvelle son équipe, cela va-t-il faire oublier les scandales qui ont éclaboussé le gouvernement ?
En tout cas, c’est ce que souhaite Pravind Jugnauth. Selon moi, il ne veut pas des facteurs qui puissent distraire. Il ne veut pas que dans cette campagne, on parle de homards, de biscuits secs, de langue et de toute sorte de problèmes. Il veut dévider la campagne électorale de tous ces aspects scandaleux et souhaite que le pays « focus » sur ce choix, c’est-à-dire oublier le passé et penser à l’avenir. Mais le PTr et le MMM ne laisseront pas ces sujets à scandale disparaître puisqu’ils vous diront que c’est ça le style MSM et que cela va être plus au moins la même chose mais avec d’autres acteurs. 

Concernant Navin Ramgoolam, les boulets qu’il traîne représentent-ils un handicap pour lui ?
Navin Ramgoolam veut, lui aussi, faire oublier les dernières années de son régime et tout ce qui est venu avec. Il promet un changement, à la fois personnel et programmatique. La rupture. Il y a clairement aujourd’hui un dynamisme au sein du PTr depuis le meeting du 1er-Mai à la municipalité de Port-Louis. On verra le parti a pu récupérer la « Hindu Belt » qui est d’ailleurs son premier objectif puisqu’il aura aussi des renforts importants en milieu musulman dans plusieurs circonscriptions. La coalition avec le PMSD, couplée à ses propres candidats, assure aussi au PTr une audience du côté de la population générale. Suffisant en tout cas pour atteindre un seuil important de suffrages. Le PTr sera donc un redoutable adversaire du MSM mais il aurait tort de sous-estimer Pravind Jugnauth.

12 tickets, 5 ministères au PMSD… Est-ce raisonnable ?
Oui, parfaitement raisonnable. Je crois que le PMSD est l’allié naturel du PTr. Une synergie s’établit automatiquement entre ces deux partis. Le PMSD est davantage un symbole qu’un réservoir de votes. Xavier-Luc Duval est quelqu’un de très compétent et de très sympathique, et il accorde certainement quelque chose au PTr et à Navin Ramgoolam. À moins de 20 % des tickets et 5 ministères, cela signifierait ne pas reconnaître la contribution du PMSD à une éventuelle victoire. En même temps, le PMSD va jouer, en cas de victoire, un rôle important dans la relance de notre industrie touristique. 

 

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