Débat

Lutte contre la pauvreté - Un toit pour chacun : rêve ou utopie?

Permettre aux citoyens d’avoir un logement décent à un prix accessible. Telle est la priorité des autorités depuis plusieurs années. Or, tous les Mauriciens ne sont pas logés à la même enseigne. Ils sont encore nombreux à vivre dans la précarité.

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Selon le ministre du Logement et des Terres Showkutally Soodhun, le réservoir La Ferme, à Bambous, est sur le point de céder. Il est donc urgent de reloger les propriétaires des maisons résidant à proximité du réservoir, sans oublier les squatters de cité La Ferme. Ces derniers disposent de peu de temps pour vider les lieux. Une lettre en ce sens leur a été envoyée il y a quelques jours.

Depuis, c’est tout un remue-ménage pour ces personnes. « On nous a demandé de partir. Mais pour aller où ? Cela fait des années que nous vivons ici. Nous n’avons nulle part où aller », se lamentent-ils. Notre visite ce jour-là est perçue comme une manne tombée du ciel. Tous ne souhaitent qu’une chose : faire entendre leur voix et exprimer leurs craintes.

Hansley s’empresse d’aller appeler sa voisine Josée. Mais il apprendra que celle-ci vient de bénéficier d’un logement social. Il tombe des nues. « Certains ont déjà eu leur maison et d’autres pas encore. Ce qui est injuste car ici on est tous logés à la même enseigne. » Josée aura droit à un logement d’environ 50 mètres carrés. Hansley est toutefois surpris par les dimensions de la maison. « Ma bicoque est plus grande que ces 50 mètres carrés. Comment faire pour vivre dans une si petite maison ? » ironise-t-il.

Un peu plus loin, Jessica est dans tous ses états. Elle insiste pour qu’on visite sa maison. Les quatre murs constitués de feuilles de tôle tordues et de poteaux en bois d’eucalyptus sont infestés de termites et couverts de moisissure. « J’ai deux enfants. Vivre dans cette bicoque, c’est l’enfer. Mes enfants ont des problèmes de santé à cause de cela. Quand il pleut, c’est pire. J’ai fait des démarches auprès des autorités pour avoir une autre maison mais on me dit que mon beau-père est déjà propriétaire d’un bien. Il aurait un terrain à son nom mais ce terrain, nous ne l’avons jamais vu. Et même si c’était vrai, il est à mon beau-père ce terrain, pas à moi », confie Jessica, irritée.

Écrasés par le poids de la misère

Selon la mère de famille, elle n’a pas les moyens de se payer un logement plus décent. Elle ne demande qu’un petit coup de pouce des autorités pour pouvoir sortir la tête de l’eau. « Ni mon époux ni moi n’avons un emploi fixe. Avec les dépenses pour la maison et les enfants, il ne nous reste rien pour payer un loyer. Nous vivons dans des conditions déplorables. Je dois aller aux toilettes tard dans la nuit car elles se trouvent à l’extérieur et ne sont pas sécurisées. Il n’y a pas d’intimité. Je dois attendre que le voisinage dorme pour pouvoir y aller », lâche-t-elle en larmes.

Sa voisine de palier lève les yeux au ciel à mesure que les nuages s’accumulent. Sarita, écrasée par le poids de la misère, dit vivre un cauchemar à chaque fois qu’il pleut. L’eau lui arrive même jusqu’aux chevilles à chaque caprice de Dame nature. « Je perds toutes mes affaires quand il pleut car la maison fuit. C’est horrible. L’eau s’accumule à l’intérieur. C’est comme si la pluie tombait directement dans la maison. »

Josée comprend la souffrance de ses voisins. Mais depuis qu’elle a appris la bonne nouvelle, elle vit le cœur léger. Après plus de 20 ans en tant que squatter, elle sera enfin propriétaire. Il ne se passe pas une semaine sans qu’elle n’aille voir la construction de sa nouvelle maison. Un superviseur fait le point avec elle sur l’avancement des travaux. 

Toutefois, les dimensions de sa future maison la font tiquer. « La maison fait 55 mètres carrés. Je n’arrive pas à bien comprendre où sont les pièces vu qu’elle n’est pas encore finie. Mais elle est un peu petite à mon goût. C’est la seule déception mais je vais bien devoir m’en sortir. Nous serons deux à vivre là-dedans. »

Josée n’est pas la première à se plaindre des dimensions de son logement. Les habitants des appartements de la NHDC ont pendant longtemps déploré ce facteur qui les empêche de mener la vie qu’ils veulent. À l’instar de Sunil: « J’ai cinq enfants et on commence à ne plus pouvoir circuler normalement dans l’appart. Le pire, c’est qu’on ne peut pas agrandir. On n’a pas les moyens non plus pour changer de maison. Il n’y a que deux chambres. Une pour mes enfants et une autre pour mon épouse et moi. Cela devient difficile. »

Il y a aussi ces maisons qualifiées de bwat zalimet. Trente-six mètres carrés dans lesquels vivent souvent plusieurs personnes. Sharone, habitant résidence Saint-Malo à Baie-du-Tombeau, en sait quelque chose: « C’est ma mère qui a acheté la maison et me l’a léguée parce que je n’avais nulle part où habiter. La maison est constituée d’une seule pièce. J’ai mis un meuble au milieu pour séparer la chambre à coucher du salon. Il n’y a que cela que j’ai pu faire. »


Gilles L’Entêté, Managing Director de la NHDC : «Nous devons agrandir la surface des maisons»

Le ministre du Logement et des Terres a signifié son intention de construire des maisons plus grandes…
Depuis janvier 2015, la priorité du gouvernement est de donner aux Mauriciens un toit décent. Pour ce faire, nous avons besoin d’agrandir la surface des maisons sociales. Nous voulons que ces familles aient une maison composée d’une salle-à-manger et d’un séjour où une famille peut se retrouver à table autour d’un dîner. C’est un aspect très important pour éviter les fléaux sociaux.

Ceux qui vivent dans les petites maisons seront-ils relogés ?
Lorsqu’une personne reçoit une allocation du ministère du Logement et des Terres, elle ne peut avoir une deuxième maison. Elle est déjà propriétaire d’un bien immobilier. Ce qu’il faut faire ressortir, c’est que quand une personne obtient ce type de maison, elle ne paie pas la totalité du montant que représente le logement. Une maison qui nous a coûté Rs 1,2 million, par exemple, est vendue à Rs 400 000 à ces personnes.

Quels sont les critères pour obtenir un logement social ?
Il y a trois tranches de revenus que nous avons fixés comme seuil afin de pouvoir bénéficier d’un logement social. Soit Rs 10 000 et depuis 2015, nous avons revu le barème à la hausse, soit Rs 15 000 et Rs 20 000. Nous avons pris conscience du fait qu’avec le temps, les salaires ont augmenté. Mais cela ne signifie pas que ces gens peuvent se payer une maison.

Autre critère pour avoir un logement social : un candidat ne doit pas déjà être propriétaire d’un bien immobilier. C’est un critère essentiel parce que l’État ne peut subventionner quelqu’un qui est déjà propriétaire. Il y a d’autres critères. Après un premier examen du dossier, la demande est envoyée à un Board qui tranchera, par la suite, et dira qui sont les personnes qui receveront un logement social.

Quelles sont les procédures ?
Quand une personne fait une demande chez nous, nous lui demandons d’ouvrir un compte de Plan d’épargne logement (PEL) pour qu’elle puisse économiser les 10 % que nous réclamons comme dépôt. Souvent, nous demandons à ces demandeurs de faire un dépôt de 20 %, voire plus. C’est simplement pour diminuer leurs mensualités après l’achat. Nous ne voulons pas asphyxier ces personnes avec le paiement. Le montant du dépôt est calculé en fonction de leur capacité de paiement.

Les acheteurs arrivent-ils à payer leurs mensualités ?
Nous avons vendu des maisons à des personnes qui ne pouvaient payer. Il n’y avait pas de suivi. Concernant les familles qui ont acheté des maisons et qui ont déjà payé leur capital de 75 %, nous annulons tous leurs intérêts impayés des 25 % restants. C’était une mesure budgétaire.

Le gouvernement essaie d’alléger ces familles. La NHDC a constitué des équipes qui vont vers ces familles quand elles n’arrivent plus à payer. Nous reconsidérons leur dossier. Nous ne les laissons pas entrer dans un cycle infernal.

En deux ans, nous avons pu récupérer 20 % à 25 % de la somme due à la NHDC. Bien sûr, des sanctions guettent ceux qui ne paient toujours pas malgré les aides que nous leur offrons. Nous avons créé au moins 56 associations de propriétaires. Ils font un travail social et accompagnent ces familles.


Le père Jean Maurice Labour : «Il faut une étude sur les demandeurs de logements sociaux»

Le père Jean-Maurice Labour a pendant longtemps déploré les dimensions des maisons de la NHDC. C’est donc tout naturellement qu’il accueille la décision des autorités de revoir à la hausse la superficie de ces logements. Il va même encore plus loin en demandant aux autorités d’adopter une nouvelle approche pour ce qui est de la vente des logements sociaux.

« Il faudrait avoir une approche adaptée aux besoins de chaque famille. Je comprends que l’État instaure des critères, mais il faut examiner le cas de chacun différemment. Le seuil maximal pour obtenir un logement social est de Rs 20 000. Déjà, une veuve avec trois enfants et qui touche Rs 21 000 ne peut bénéficier de cette subvention, mais une autre sans enfant qui touche Rs 20 000 le peut. Une maison de 30 mètres carrés peut être idéale pour une veuve sans enfants. D’autre part, une maison de cette dimension ne conviendra pas à une veuve ayant  trois ou quatre enfants. L’État doit donc avoir une approche compréhensive et offrir des subventions variées et adaptées aux besoins de chacun. » 

Pour le père Labour, une étude sur les demandeurs de logement serait idéale. « Y a-t-il une vraie étude sur les demandeurs de logement ? Les statistiques reflètent-elles le véritable nombre de personnes qui doivent bénéficier d’un logement social ? Souvent, nous constatons que plusieurs personnes vivent sous un seul toit de ce type. » 

En sus de cela, la pauvreté est un facteur qu’il faut aborder avant tout. Mais la réalité est bien plus profonde que cela, selon le père Labour, car il y a une explosion de la pauvreté à Maurice. « Nous devons nous poser les bonnes questions à ce sujet. Pourquoi y a-t-il tant de pauvres ? Pourquoi l’écart entre les riches et les pauvres se creuse malgré tous les efforts fournis pour contrer la pauvreté ? Donner un logement social à un demandeur ne résout pas le problème de la pauvreté. Il faut aller plus loin que cela. »

Pour lui, l’accompagnement de ces familles est crucial. « La Commission Justice et Paix du diocèse de Port-Louis avait défini neuf critères du relogement social. Un des critères les plus importants est l’accompagnement social. Chaque lotissement doit être pourvu d’un centre social qui puisse assurer l’accompagnement des parents, des enfants, d’une école pré-primaire, entre autres. » 

Le père Jean Maurice Labour souhaite enfin une collaboration entre l’État et les organisations non gouvernementales (ONG) pour venir en aide aux personnes ayant des difficultés financières. « L’État doit travailler avec les ONG pour responsabiliser ces gens et les aider. »

 

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