Marc Israel, ingénieur en robotique et IA : «Il ne faut pas risquer d’être infiniment moins compétitif que le reste de la planète» 

L’intelligence artificielle (IA) changera-t-elle le monde du travail à Maurice ou l’a-t-elle déjà changé ? 
L’IA n’a pas encore changé le monde du travail à Maurice. Les clients que je rencontre aujourd’hui ont tous, plus ou moins, intégré une utilisation parcellaire de « large language model » (un modèle de langage caractérisé par sa grande taille rendue possible par les accélérateurs d’IA ; NdlR). 

Cependant, il n’y a pas forcément une intégration consciente de ces outils dans le quotidien. C’est ainsi dans des secteurs où il y a des prévisions et des prédictions aussi, en règle générale, que ce soit financier ou bancaire. On est en retrait, mais je pense qu’il ne faudra pas que ça dure. Ce qui se passe au niveau mondial dans cette technologie révolutionnera totalement le monde de l’entreprise. Il ne faut pas risquer d’être infiniment moins compétitif que le reste de la planète. 

Quels sont les secteurs où c’est déjà d’actualité ? 
Il y a des secteurs où ce n’est pas encore d’actualité, mais ça viendra. Dans le secteur du développement logiciel, les modèles de langage sont, aujourd’hui, capables de générer du code infiniment plus performant et plus rapidement que ce que génère un être humain. Il y aura une compétitivité des développeurs qui sera transformée. 

Les domaines qui comprennent les « Management Companies » en règle générale dans la finance, l’édition de documents, la création de rapports annuels, la recherche de jurisprudence, soit ce qui est fait par les comptables, les paralégales et les avoués, sont des métiers qui disparaîtront dans les trois années qui viennent, notamment ceux à un niveau de base. Ceux qui sauront manier les outils liés à l’IA ou qui sauront utiliser ChatGPT, par exemple, auront une valeur sur le marché, étant complémentaires sur des outils de base. 

Est-ce indispensable pour ceux qui intègrent le monde du travail aujourd’hui ou pour ceux qui le feront dans un avenir proche de pouvoir manier les outils liés à l’IA ? 
Je dirais que ce n’est pas indispensable, mais viable. Cela déterminera si, à moyen terme, quelqu’un est employable ou pas. Maîtriser les outils signifie être capable, par exemple, d’interagir avec ChatGPT, de lui faire faire des tâches qu’on ne sait pas faire, qu’on ne veut pas faire ou qu’on souhaite faire plus vite. Comprendre ses limites, avoir un esprit critique, savoir ne pas simplement utiliser un copier-coller, poser les bonnes questions et générer correctement le contexte constituent une symbiose entre l’utilisateur et l’outil. 

Est-il facile de trouver l’équilibre entre l’utilisation de l’IA et une productivité efficace de la main-d’œuvre ? 
Ce n’est pas facile à trouver. Je suis incapable aujourd’hui de dire si l’équilibre sera à 80 % machine et 20 % humain ou inversement. Par contre, la machine remplacera l’humain en faisant énormément de tâches répétitives, celles qui sont sans ou avec peu de valeur ajoutée. 

Ceux qui n’auront pas franchi le pas d’intégrer les outils liés à l’IA dans leur pratique quotidienne se retrouveront sans emploi. Pour les entreprises, l’urgence est d’intégrer et de comprendre les tenants et les aboutissants de l’ensemble de ces outils. Cela consiste, pour les ressources humaines, à former tout le monde, y compris les cadres supérieurs. 

Je dis que c’est urgent, car nous n’avons pas idée de la vague déferlante qui arrive. En huit mois cette année, des milliers d’applications sont arrivées sur le marché. Il faudra se réveiller. Au cas contraire, les Indiens, les Américains, les Européens et les Chinois se détourneront largement de zones à faibles coûts – ce qu’est encore Maurice – pour aller vers des régions à forte valeur ajoutée. Maurice doit prendre ce virage pour éviter que la fuite des cerveaux ne se poursuive et que le « customer drain » n’arrive à un moment.