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Mathieu Dacruz : «Il sera plus difficile de convaincre les jeunes avec des incitations financières»

Mathieu Dacruz, un jeune dynamique, s’est impliqué dans plusieurs initiatives axées sur les enjeux sociaux, éducatifs et environnementaux. Il occupe une place prépondérante en tant que membre fondateur du NAFCO, la principale organisation d’étudiants à Maurice. Sa contribution s’étend au-delà des frontières, l’amenant à représenter fièrement Maurice lors de multiples conférences internationales liées au climat. Parmi celles-ci, on compte des événements tels que le Youth4Climate, Stockholm+50 et le COY17.

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Ces derniers temps, il y a eu un soudain intérêt du gouvernement pour la jeunesse mauricienne, avec le Premier ministre prônant une politique d’ouverture envers les jeunes. Quelle est votre réaction face à cela ?
Historiquement, à Maurice comme ailleurs, la voix des jeunes a été au centre de combats sociaux, éducatifs, environnementaux et autres. Un exemple concret est celui de mai 1975, une révolution estudiantine où plus de 20 000 jeunes sont descendus dans la rue pour se battre pour une éducation gratuite et plus juste. 

Plus récemment, à travers le monde, il y a eu une prise de conscience des décideurs par rapport à l’opinion des jeunes. Ceci fut suivi d’une formalisation de l’apport des jeunes à travers les youth constituencies de plusieurs agences de l’ONU, mais aussi à travers des youth consultations. 

À Maurice, il n’était donc qu’une question de temps avant que s’éveille un intérêt croissant de la classe politique pour la jeunesse. Cet intérêt est nécessaire et il faut qu’il dure. Cependant, il est primordial que le gouvernement, ou autre, ne transforme pas cela en tokénisme, où les jeunes sont inclus de façon superficielle. Il faut réellement écouter les jeunes et leur permettre d’aller au bout de leurs pensées avec des débats de fond. 

Pour cela, les jeunes doivent être équipés d’outils pour comprendre ce qu’est la politique : un projet de société pour l’avancement collectif. Nous, jeunes, devons avoir l’esprit affûté et faire preuve de discernement, car notre opinion seule ne sert pas à grand-chose... nous devons nous engager. L’inclusion des jeunes bénéficiera à l’intérêt général du pays, mais il est important que nous ne nous laissions pas devenir des outils de politiques partisanes.

Lors des deux dernières élections, les partis politiques traditionnels, en particulier le MSM, avaient axé leur campagne en faveur des retraités. Quel pourrait être le poids de la jeunesse mauricienne lors des prochaines élections, selon vous ?
Comme tous les citoyens mauriciens, les jeunes doivent être intéressés et impliqués dans la politique du pays. Après tout, les décisions politiques d’aujourd’hui auront un impact sur le long terme et forgeront l’île Maurice dont nous hériterons. Il ne faudra donc pas sous-estimer la force des jeunes lors des prochaines élections. 

La jeunesse mauricienne doit se réveiller politiquement avec de vraies convictions idéologiques, et non une ambition motivée par le carriérisme, l’opportunisme et le gain personnel. Les jeunes ont ce que certains appelleraient la naïveté, mais que j’appelle l’optimisme, de croire que tout est possible quand ils croient avec passion et conviction. La jeunesse a la capacité de mobiliser, de faire changer les esprits et de faire avancer les causes beaucoup plus que quiconque. Elle a donc la responsabilité d’être vectrice de nouvelles idées politiques et de les porter avec conviction. 

De plus, les jeunes pourront montrer la direction vers laquelle nous devons mettre le cap.

Pensez-vous que la classe politique parviendra à captiver la jeunesse mauricienne de la même manière qu’elle l’a fait avec les retraités, en proposant l’augmentation de la pension de vieillesse ? Il convient de noter que le gouvernement a annoncé qu’une somme de Rs 20 000 sera offerte aux jeunes de 18 ans à travers l’Independence Scheme…
Il sera indéniablement plus difficile de convaincre les jeunes avec des incitations financières que de convaincre les retraités. La majorité des jeunes ont la chance de dépendre de leurs parents financièrement, ce qui n’est pas le cas des retraités qui, légitimement, ne peuvent refuser un meilleur train de vie. 

Ceci étant dit, avec la baisse de notre pouvoir d’achat, influencer les jeunes les plus démunis est possible, bien que je pense qu’il en faudra beaucoup plus pour convaincre les jeunes. Il faudra s’intéresser sincèrement aux problèmes des jeunes, les écouter et les accompagner. Il y a tant de problèmes sociaux et de fléaux qui touchent les jeunes à Maurice, que seule une approche sincère pourra nous convaincre. 

Actuellement, trois groupes s’affrontent au sein de la classe politique : les partis au pouvoir, l’opposition parlementaire et les partis extraparlementaires. Selon vous, quel est le groupe qui semble le plus préoccupé par les intérêts de la jeunesse mauricienne et comment cela se manifeste-t-il ?
Les intérêts des jeunes sont variés, mais tous aussi importants les uns que les autres. Je ne représente en aucun cas la totalité des jeunes mauriciens, je ne peux donc pas connaître tous leurs intérêts, et aucun ne doit être oublié ! Néanmoins, ce que je peux constater est que beaucoup de jeunes sont concernés par les causes écologiques, le bien-être psychique, l’égalité, le combat contre la drogue, entre autres. 

Beaucoup de partis politiques à Maurice sont issus de fragmentations des quatre principaux partis politiques. Il est donc difficile de retrouver une pluralité idéologique et de différentes idées dans une grande partie de la classe politique. Nous avons souvent l’impression que l’échiquier politique privilégie les querelles partisanes à la vraie politique, celle qui consiste à mettre de l’avant des idéaux. Bien que certains partis proposent des mesures prenant en compte la jeunesse, le plus important reste à faire : le manifester en vulgarisant les programmes des partis politiques. 

De plus, je pense que, jusqu’à présent, aucun groupe politique n’a réussi à démontrer un intérêt suffisant pour les jeunes. Il leur faut être actifs sur les réseaux comme sur le terrain pour écouter les jeunes de tous milieux sociaux et de toutes communautés. 

Nous constatons que le phénomène de l’émigration des Mauriciens, en particulier des jeunes, vers des destinations telles que l’Australie et le Canada, prend une ampleur considérable. Toutefois, au niveau du gouvernement, on a tendance à minimiser cela. Le ministre Lesjongard a récemment déclaré, dans une interview au Défi Plus, que ce phénomène n’est pas unique à Maurice et que ceux qui partent contribuent tout de même à l’économie en revenant à Maurice d’une manière ou d’une autre. Qu’en pensez-vous ?
Il est dangereux de minimiser le brain drain dont le pays souffre. Nous devons admettre que beaucoup de Mauriciens, dont de nombreux jeunes, préfèrent quitter le pays. Cela pose problème, car nous avons besoin de personnes qualifiées et compétentes pour aider au développement de notre mère patrie. 

Il faut remonter à la source du problème et comprendre ce qui les pousse à quitter le pays. Est-ce un manque d’opportunités lié à un manque de méritocratie ? Est-ce la baisse du pouvoir d’achat ? Tant que, au sommet de l’État, nous ne sommes pas prêts à admettre les effets néfastes de l’émigration, on ne se posera jamais ces questions fondamentales. 

J’ai moi-même côtoyé tant de jeunes qui ne souhaitent pas rentrer au pays après leurs études supérieures. Il nous faut des mesures pour inciter ces jeunes à revenir servir leur nation. Il nous faut créer une île Maurice où il fait mieux vivre, avec des chances égales. 

La représentativité des jeunes en politique est un sujet débattu de manière diversifiée. D’une part, certains affirment qu’il faut accorder davantage de confiance aux jeunes pour des postes de responsabilité. D’autre part, un autre courant soutient qu’il ne faut pas accorder une confiance aveugle aux jeunes lorsqu’il s’agit de postes à responsabilité. Quel est votre avis sur cette question ?
Il serait fou de penser que donner plusieurs postes de responsabilité aux jeunes va tout améliorer. Il faudrait que les jeunes évoluent aux côtés de personnes expérimentées avant de faire une passation à la suite de cette période d’apprentissage. 

Cependant, la question de représentativité des jeunes en politique est absolument légitime. Pour cela, je pense qu’il faut un meilleur engagement politique. Mais qu’est-ce qu’un engagement politique ? Est-ce aller au congrès de tel ou tel parti ? Est-ce placarder un soutien indéfectible au leader de tel ou tel parti ? Absolument pas ! 

Pour moi, un engagement politique commence par une éducation sur la politique et surtout sur l’histoire de notre pays. C’est ce qui permettra aux jeunes de faire des choix politiques de façon impartiale et indépendante. Malheureusement, nous n’avons pas cela à l’école et très peu de jeunes l’ont chez eux. 

Il n’est cependant pas impossible de contribuer à l’arène politique du pays. L’histoire l’a démontré : quand la condition socio-économique des jeunes est mise en cause, nous avons pu nous mobiliser, afin de protéger l’avenir de notre pays ensemble. 

Le dossier de l’écologie semble être pris plus au sérieux par les partis extraparlementaires tels que Rezistans ek Alternativ, tandis qu’au niveau des partis traditionnels, il semble être largement négligé. Comment aurait dû être traité ce dossier, selon vous ?
Par mon parcours personnel, l’écologie est une de mes priorités. C’est un dossier qui nécessite beaucoup d’attention, car Maurice est un pays particulièrement vulnérable aux dérèglements climatiques. L’impact socio-économique que peut avoir la crise climatique est sans précédent. 

Je constate effectivement que les partis traditionnels n’y accordent pas grande importance et que Rezistans ek Alternativ place l’écologie au centre de plusieurs mesures. Cependant, je reste un fervent défenseur de l’idée qu’aucun parti politique ne peut s’approprier une cause quelconque. Néanmoins, je pense que les partis traditionnels doivent prendre exemple et proposer des mesures novatrices pour faire face aux défis climatiques. 

Mais soyons clairs, il faut traiter le fond du sujet et proposer des mesures pragmatiques. Nous en avons marre du greenwashing dont le corporate mauricien est si fan. Il nous faut de vraies mesures de protection, d’adaptation et de conservation qui surpassent le banal « reduce, reuse, recycle ».

Nous observons une augmentation croissante de la consommation de drogue chez les jeunes, ainsi que du trafic impliquant de plus en plus de mineurs, avec des arrestations en hausse. Que pensez-vous de cette situation et comment faudrait-il aborder ce phénomène ?
Le Premier ministre a récemment lancé la campagne « unis contre la drogue », avec des billboards aux quatre coins de l’île. C’était très bien de sensibiliser les jeunes filles d’une académie aux effets néfastes de la drogue, mais je crains que le problème soit plus profond. 

La politique de drogue est très complexe et requiert des experts. Cependant, il est connu que Maurice est une plaque tournante de la drogue, avec beaucoup de blanchiment d’argent aussi. Il nous faut donc être mieux équipés pour protéger nos côtes et réduire l’importation de drogues. 

Quant à la consommation des jeunes, les experts de l’ONU se sont prononcés là-dessus. La répression ne marche pas. On ne peut pas traiter les jeunes sous l’emprise de la drogue comme des criminels. Ce sont des victimes et ils doivent impérativement être encadrés et suivis au niveau régional de façon efficace. Il y a tant d’exemples de pays avec des politiques de drogues progressistes qui viennent en aide aux victimes de la drogue, comme le Portugal. 

Pour conclure cette interview, pouvez-vous nous faire part de votre vision du Premier ministre idéal pour Maurice ? Quel devrait être son engagement et quelles sont les caractéristiques que vous souhaiteriez ne plus voir chez un Premier ministre ?
Il n’existe pas de Premier ministre idéal. Du moins, un Premier ministre seul ne fera pas Maurice devenir un paradis sur terre. Cependant, je rêve que mon pays soit une nation unie, débarrassée de ces cages qui nous catégorisent constitutionnellement en groupes représentant tantôt notre foi, tantôt notre pays d’origine, ou même ce fourre-tout qui regroupe tant les descendants d’esclavagistes que les descendants d’esclaves. 

Je rêve d’une société multiculturelle et multi-religieuse, où il fait bon vivre et où chaque Mauricien a un sourire au visage. Là où certains diraient utopiste, je dis optimiste.

 

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