Interview

Megh Pillay: «Air Mauritius avait besoin d’être gérée sans ingérence politique»

Le directeur général de la compagnie nationale d’aviation s’exprime cinq mois après en avoir pris les commandes. Il ne cache pas son aversion pour les compagnies low-cost et les Super Connectors. Il prévoit un modèle hybride avec un low-cost carrier pour évoluer comme transporteur régional. Vous êtes considéré comme le sauveur d’Air Mauritius. Qu’avez-vous entrepris durant ces cinq derniers mois pour améliorer sa rentabilité ? C’est une belle compagnie avec un historique de performance opérationnelle sans faille. Elle n’a certainement pas besoin d’un sauveur mais tout simplement d’être gérée de l’intérieur de manière professionnelle, sans ingérence politique. Une stratégie de transition a été mise en place en attendant une refonte de notre modèle de business qui demande à être alignée avec les nouvelles dynamiques du marché.
Quelles sont vos projections pour l’année financière 2016-2017 ? Elle sera une bonne année. Le cours du pétrole, principal élément de notre coût de production promet de rester stable autour de $50 le baril. Nous optimisons  notre réseau dont l’Europe reste  l’épine dorsale. À nos deux plaques tournantes que sont Paris et Londres, nous volerons sur l’aéroport de Schipol d’Amsterdam. Cela nous permettra de mieux desservir l’Europe du Nord, dont l’Allemagne, la Scandinavie et même le Royaume-Uni.
[blockquote]« Air Mauritius est le cordon ombilical reliant Maurice au reste du monde. Notre économie et notre survie en dépendent. » [/blockquote]
On prévoit une croissance sur la Chine, l’Inde et l’Extrême Orient et nous allons mettre la capacité additionnelle. Avec la nouvelle desserte sur Guangzhou et une nouvelle fréquence sur Shanghai, le nombre de sièges sur la Chine a augmenté de 31% avec 163 540 sièges. Sur la région de l’Afrique, on vient d’étendre les destinations à neuf points avec une capacité accrue. Depuis une semaine, Air Mauritius est reconnue avec Ethiopian Airlines et South African Airways parmi les premiers transporteurs africains offrant le plus grand nombre de sièges entre le continent noir et l’Asie. On va aussi mieux maîtriser la concurrence et affermir nos relations avec nos alliés et partenaires. Quand comptez-vous briser le record que vous avez établi en 2005 ? Ce n’est pas du tout dans mes priorités! L’important c’est d’assurer la connectivité internationale et régionale tout en rentabilisant nos opérations de manière ponctuelle, sûre et durable. Air Mauritius est le cordon ombilical reliant Maurice au reste du monde. Notre économie et notre survie en dépendent. Il est reconfortant de noter que presque tout le monde semble en être conscient aujourd’hui. MK s’est brisée les ailes à deux reprises à cause du hedging sur le carburant. Comment comptez-vous vous y prendre pour éviter un nouveau drame ? C’est la souplesse qui empêche les ailes d’un avion de se briser et qui lui permet de sortir des pires turbulences. Air Mauritius s’en est presque sortie et reste une compagnie très forte. Elle est résiliente. Cela dit, le hedging du carburant est une pratique nécessaire dans le monde de l’aviation. Après ces deux incidents qui nous ont coûté très cher, Air Mauritius a mis en place les structures et les processus appropriés pour éviter une telle répétition. Des administrateurs de renom siégent sur notre Risk Management Committee et les paramètres de décisions sont clairement définis pour limiter les risques du hedging. Que ce soit pour le Fuel Jet ou pour les devises.
La compagnie aurait davantage de managers que de départements. Quelle est votre solution pour ne pas les engraisser davantage ? La situation a été grossièrement caricaturée. Les titres de ces employés reflètent les pratiques courantes dans le secteur de l’aviation sur le plan mondial. D’autres opérateurs présentent un ratio de 1 manager pour 4 à 5 employés individuels. Air Mauritius ne présente pas d’anomalies particulières sur ce front. Tout le monde est expert sur tout à Maurice et on se permet de se prononcer sur des sujets qu’on ne maîtrise pas.
[blockquote]« On ne va pas opérer des routes non-rentables parce que nous ne sommes pas mandatés to burn cash ? » [/blockquote]
À un moment donné, vous prêchiez pour une refonte de la représentation statutaire du gouvernement au sein du conseil d’administration. Est-ce toujours d’actualité? En tant qu’observateur averti indépendant je me permettais d’articuler librement mes opinions. Le directeur-général que je suis aujourd’hui m’impose un devoir de réserve sur les questions relevant des actionnaires de la compagnie. Il n’est pas un secret que le code de conduite pour la bonne gouvernance prescrit un conseil d’administration composé d’une balance équilibrée d’administrateurs nominés, indépendants et exécutifs. Quel serait le chairman idéal pour Air Mauritius ? Celui qui gère les réunions, incite, anime et dirige les délibérations du conseil d’administration pour développer les options stratégiques les mieux adaptées à assurer les missions de l’entreprise afin de répondre aux attentes des actionnaires, du marché et des employés, en particulier sur le plan de la profitabilité et de la pérennité. Et cela sans s’ingérer dans la gestion des affaires courantes qui ne relèvent que du management… À chacun son métier et les vaches seront bien gardées. Quel est votre avis sur les Super-Connectors du Golfe et les opérateurs low-cost qui nous viennent d’Asie du Sud-Est et de l’Europe de l’Est ? Tous les opérateurs historiques comme Air Mauritius doivent composer avec eux  à divers degrés sur leur home base. Ce sont des opportunistes du marché du transport aérien. Contrairement aux premiers, ils sont jeunes et répondent mieux à la demande du marché pour des prix bas même si le trajet est plus long avec les Super-Connectors et inconfortable dans le cas des opérateurs low-cost. Ces sociétés promettent d’augmenter le trafic local mais détournent le trafic vers leurs pays d’origine. Et cassent l’image de destination premium que Maurice s’est construite ? N’est-ce pas ? Tout le monde le sait. Ils ne font que dévier le trafic existant et n’en stimule que très peu. Ils n’arrivent plus à cacher leur jeu car les systèmes d’informations permettent de tracer l’origine des passagers qu’ils débarquent à Maurice. Les droits d’accès aérien promulgués par la Convention de Chicago depuis 1944 ont été conçus précisément pour ne pas déstabiliser le marché d’un pays par du dumping d’un tiers. Avec la déstabilisation, ils éliminent la concurrence pour ensuite s’imposer comme monopole. Ils ne doivent pas abuser des droits de trafic aérien qu’ils ont obtenu même s’ils ne les méritent nullement. Cela dit, nous avons pris l’habitude de composer avec eux. Pourvu qu’on ne leur donne pas davantage de moyens. Ce sera suicidaire. Une telle situation occasionnera une concurrence déloyale. Le n° 2 du gouvernement, Xavier-Luc Duval invite Air Mauritius à revoir son fonctionnement pour être plus compétitive face à cette concurrence. MK peut-il faire le poids face aux compagnies low-cost ? Le Premier ministre adjoint a raison. Il connaît bien Air Mauritius. Elle doit se réinventer constamment avec les changements du marché qui sont hors de son contrôle. Maurice, notre home base, n’est pas au centre du monde mais une destination excentrée. Nous ne serons jamais un Super Connector et il n’est pas de notre intention d’aller défier les big boys sur leur terrain. Par contre, on peut envisager un modèle hybride  incluant une flotte low cost pour répondre à la diversité de la nouvelle clientèle. On a évolué dans un secteur touristique qui se voulait haut de gamme et exclusif. Maintenant qu’on baisse en gamme, je pense qu’il nous faut concurrencer les leisure carriers d’Europe. Le modèle hybride répondrait à cette nouvelle donne. J’y pense sérieusement. MK a décidé de s’offrir six A350-900 malgré ses mauvais résultats? Cette acquisition tient-elle toujours la route? On va améliorer la performance et nos résultats pour pouvoir payer cette nouvelle flotte. Vous y croyiez vous à l’alliance Vanille ? Qu’en est-il du projet de compagnie régionale pour couvrir l’Afrique ? Je crois fortement dans la collaboration entre les opérateurs de la région. Nous avons des intérêts ainsi que des menaces communs. Unis nous allons mieux nous battre contre les envahisseurs qui viennent de loin. J’entretiens de très bonnes relations personnelles avec les directeurs-généraux d’Air Madagascar, d’Air Austral, d’Air Seychelles et d’Inter-Iles Air des Comores. Ce sont les lignes aériennes régionales constituant l’alliance Vanille. Nous n'avons pas évoqué la couverture de l’ensemble du continent africain. L’étude de faisibilité des consultants britaniques LEK confirme notre penchant pour un modèle hybride avec un low-cost carrier pour évoluer comme transporteur régional. Nous y refléchissons activement. Avec la diversification du marché touristique, quelles routes paraissent mieux rentables pour MK ? Elles seront toutes rentables car nous allons faire ce que le business exige : moduler l’offre à la demande. Opérer des vols avec des sièges vides n’est pas sur mon agenda. Plus de vols en période de pointe, moins de vols en basse saison. On ne va pas opérer des routes non-rentables parce que nous ne sommes pas mandatés to burn cash. La Chine et l’Inde deviennent profitables. Le concept novateur du corridor Afrique-Asie sera modulé, adapté et affiné par rapport à la demande. Et les changements seront effectués très rapidement là et quand il le faudra.
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