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Méthadone dès 15 ans : scepticisme face à l’inefficacité du traitement des adultes

Il a été constaté que des adultes sous traitement de la méthadone continuaient de prendre de la drogue.

Alors que le programme de réduction des risques à travers la méthadone n’a pas donné les résultats escomptés, le ministère de la Santé envisage de proposer ce produit aux usagers d’opiacés à partir de 15 ans. Les ONG sont mitigées. 

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L’annonce de l’extension du programme de substitution à la méthadone aux usagers d’opiacés à partir de 15 ans suscite des réactions diverses, depuis ces derniers jours. Les organisations non gouvernementales (ONG) qui s’occupent de la réhabilitation des usagers de drogues ne cachent pas leur « surprise » face à ce nouveau programme, dont les critères et protocoles sont encore en préparation. Elles déplorent le manque de consultations, alors qu’elles sont des partenaires du programme de méthadone pour les adultes à partir de 18 ans depuis son lancement en 2006.

Cette situation engendre des interrogations. D’autant plus que le programme des adultes n’a pas vraiment fonctionné comme prévu, des bénéficiaires continuant de prendre de la méthadone depuis plusieurs années, alors que l’induction avec ce produit devait être une étape transitoire pour sortir de la toxicomanie. Néanmoins, il a contribué à faire chuter les chiffres du VIH/sida.

Bien que le programme de substitution à la méthadone ait été initié en 2006, ce n’est que l’année dernière qu’un nouveau protocole de traitement a été établi. Cela fait suite à une évaluation et à des sessions de travail avec le Dr David Mété, addictologue à l’île de la Réunion. « Depuis quelques années, nous avions un gros souci au niveau du dosage de la méthadone. Beaucoup de patients n’étaient pas bien dosés, ce qui fait que le traitement n’était pas efficace », admet le Dr Luxmi Tauckoor, addictologue à la Harm Reduction Unit (HRU) du ministère de la Santé.

Selon diverses sources, les bénéficiaires devraient recevoir une dose de 60 à 120mg de méthadone pour ne plus ressentir le manque d’héroïne ou d’autres opiacés, et ainsi diminuer progressivement leur dépendance à ces substances. Cependant, il s’avère qu’ils n’en recevraient que 40 mg. Par conséquent, nombreux sont ceux qui ont continué à prendre des opiacés, se retrouvant en situation de « manque » dans l’après-midi.

Nouveau protocole 

Le nouveau protocole national mis en place en mars 2023, en ce qui concerne l’usage des drogues à Maurice, a entraîné un remaniement dans le programme de la méthadone, qui comprend aussi un réajustement du dosage de tous les patients afin de mieux les stabiliser. « Beaucoup de nos patients ne sont pas stabilisés. C’est pour cela qu’on ne peut pas parler de succès », explique le Dr Tauckoor. D’ajouter que comme cela fait bientôt un an que ce protocole est en place, il n’y a pas assez de recul pour évaluer les résultats dans le traitement d’une maladie chronique comme l’addiction aux opiacés. « L’addiction est une maladie chronique hautement récidivante, caractérisée par plusieurs rechutes. L’objectif de la méthadone est de prévenir les rechutes », dit-il. 

Du côté des ONG, on avance que c’est le manque d’éducation et d’encadrement des bénéficiaires qui aurait conduit à cette situation. Selon Jamie Cartick, directrice de l’ONG Collectif Urgence Toxida (CUT), l’insuffisance d’informations a fait que les bénéficiaires se sont présentés aux centres de distribution de la méthadone sans jamais faire savoir que la dose qui leur était donnée n’était pas suffisante pour les aider à s’en sortir. Elle évoque même des préjugés à leur égard. C’est ainsi que certains auraient continué à prendre des opiacés, tout en étant sous le programme de méthadone.

Jamie Cartick et Élodie Sanassee, coordinatrice plaidoyer et communication de Prévention information lutte contre le Sida (Pils), plaident pour un renforcement de la prise en charge. Elles rappellent que la méthadone, bien qu’étant une drogue, est un produit de substitution. Son induction doit être accompagnée d’une prise en charge solide, surtout lorsqu’elle sera étendue aux adolescents à partir de 15 ans.

Or, c’est justement là où le bât blesse, que ce soit au niveau du ministère de la Santé ou des ONG, notamment en raison du manque de ressources humaines. L’accompagnement psychosocial et le suivi par les professionnels de santé sont, en effet, des points forts de ce programme. Cet exercice s’avère difficile quand le pays compte 8 000 bénéficiaires de la méthadone, selon les estimations, en l’absence d’un nombre suffisant de personnel, relève Jamie Cartick. Elle est d’avis qu’il y a toute une éducation à faire afin que ces bénéficiaires ne soient plus seulement sous traitement à la méthadone, mais osent également évoquer leurs autres problèmes de santé.

Elles espèrent que cela va arriver avec l’exercice de décentralisation du traitement vers les centres de santé du service public, au lieu de passer par des caravanes installées dans la cour des postes de police, qui ne sont pas des lieux appropriés pour un traitement médical. Cependant, en raison d’un manque de ressources, ce projet avance « lentement », regrette Élodie Sanassee. Mais, selon le Dr Tauckoor, progressivement tous les patients devraient avoir leur traitement dans les divers centres de santé de l’île.

Implication des ONG 

Les ONG espèrent être impliquées dans le programme d’induction de la méthadone à partir de 15 ans. Selon Élodie Sanassee, il y a effectivement un rajeunissement de la toxicomanie à Maurice, et ce service sera bénéfique à ceux qui veulent s’en sortir. 

Cependant, la prise en charge devra être nettement plus solide que celle proposée aux adultes jusqu’ici, insiste-t-elle. « Si la méthadone est bien un traitement médical, elle demeure une drogue malgré tout. Il faut un protocole en béton afin de pouvoir assurer une bonne prise en charge des bénéficiaires », souligne-t-elle. Les critères doivent être bien définis également, avec une réhabilitation qui doit passer par une étape de désintoxication au préalable, ajoute-t-elle.

Selon Jamie Cartick, des rendez-vous fixes seront proposés aux adolescents usagers de drogue, mais elle attend d’avoir plus de détails sur le protocole, qui en est encore au stade embryonnaire, avant de pouvoir se prononcer davantage. Mais eu égard au programme proposé aux adultes, elle ne cache pas son scepticisme. 

Pour elle, le manque de ressources pourrait être un « frein » au projet, ainsi que les lacunes à divers niveaux qu’il faudrait régler au préalable, soutient-elle. Parmi elles, il y a le suivi des patients. La directrice de CUT ajoute que la méthadone peut s’avérer efficace contre les opiacés, mais elle questionne son efficacité pour les drogues synthétiques, dont la composition est souvent douteuse.

Ainsi, les ONG sont dans l’attente de plus d’informations sur le nouveau programme pour savoir s’il pourrait fonctionner ou non.

Attaquer le problème en amont

Il est nécessaire d’attaquer le problème en amont, affirme le Dr Luxmi Tauckoor. Il explique que la phase de l’adolescence est celle du développement et de la maturation cérébrale, qui se poursuit jusqu’à l’âge de 25 ou 26 ans. « Si ces personnes s’injectent de l’héroïne pendant la maturation cérébrale, qui se termine à l’âge de 25 ans, du coup le pronostic est plus mauvais à l’âge adulte », précise-t-il. Il évoque aussi les problèmes de déscolarisation, de désocialisation et d’isolement, ainsi que les troubles psychiatriques, qui sont beaucoup plus importants.

Avec le rajeunissement de la toxicomanie, il a été noté que certains patients qui se présentent pour le programme de méthadone à 18 ans ont déjà des complications psychiatriques ou sociales. Ainsi, le programme de méthadone dès l’âge de 15 ans vise à essayer d’attaquer le problème en amont, explique-t-il. 

 

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