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Mon père, ce bourreau nazi

Le rapport du ciel triste

Le dernier roman du poète-écrivain Sylvestre Le Bon, intitulé « Le rapport du ciel triste », est pour le moins troublant, car à première vue, il dépeint avec une certaine ambivalence un de ses personnages, un SS gardien de camp où sont internés des Juifs. Mais, à deuxième vue, le livre semble plus complexe, nécessitant une boîte à outils pour suivre des personnages perdus dans un récit ample et labyrinthique dont seul l’auteur possède les clés.

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Plus habitué au genre poétique, le récipiendaire du prix Pierre Renaud, en 1996, s’était essayé non sans bonheur au roman, en 2011, avec « Une destinée bohémienne » (L’Harmattan, Paris, 2011). Avec ce deuxième roman, « Le rapport du ciel triste », sans rapport avec le premier et inspiré d’un voyage en Allemagne, il a voulu ‘mauricianiser’ l’histoire des déportés et des familles détruites durant le règne du nazisme en Allemagne. Une entreprise périlleuse, car Sylvestre Le Bon plante son histoire  à Maurice, où un Français, - le premier narrateur du livre - adopté par une famille mauricienne, veut retrouver son père, d’abord en France, puis en Allemagne. « Sa présence réhabilitera ma cause perdue et m’habillera sous un nouveau jour », dit-il, tourmenté par ce père engagé dans l’armée nazie et chargé de surveiller un camp d’internement.

Après lecture, le sentiment du lecteur reste mitigé, tant, certains passages semblent autobiographiques, d’autres relevant, eux, de la fiction, le reste appartenant à l’histoire. Comment trouver le fil conducteur parmi ces personnages, dont ce père nazi qui « vénérait Himmler presque comme un Dieu », mais  que l’auteur dépeint avec des mots empreints d’un certain humanisme, comme s’il ignorait les vrais motifs de la « solution finale », n’étant que le simple exécutant d’ordres venus d’en haut.

On en vient là, à la polémique suscitée après le procès des criminels nazis à Nuremberg, ou celui d’Adolf Eichmann, chargé de mettre sur pied les moyens pour la destruction des Juifs et qui s’était présenté comme un fonctionnaire durant son procès en Israël. Est-ce que l’auteur déniche-t-il une part d’humanité en ce membre de la ‘Schutzstaffel’, ceux-là mêmes qu’Hitler chargea de liquider les officiers de la SA, durant la « Nuit des longs couteaux » et dont l’aryanité se devrait d’être sans souillure.

Le livre de Sylvestre Le Bon, dans le fond par certains aspects, n’est pas sans rappeler « Les Bienveillantes », de Jonathan Littell (2006), écrit du point de vue du bourreau nazi. Il y a un certain souci esthétique de style, car Le Bon, est surtout poète, mais la forme – le basculement survient lorsque le père parle et l’écriture en italique le souligne – surprend le lecteur, qui ne s’attend pas à cette intrusion, suivie de la description de la vie quotidienne dans le camp nazi. Ici, l’historiographie prend le dessus, tant l’auteur réussit à rendre compte de la dureté des lieux. Mais la part de subjectivité de l’auteur vient mettre à mal cette description, car le narrateur, ici, n’est autre que le père recherché. Est-ce à cause de cette quête qu’il tend à dépeindre ce dernier sous des aspects ambivalents, comme un individu normalement constitué, à la fois sans état d’âme et serviteur zélé de la race pure ?

Esthétique de style

Quel rapport entre le camp de concentration de Dachau, où exerce le gardien, la vie quotidienne de ses détenus et l’île Maurice ? L’auteur s’explique : « Il existe un cimetière juif à Maurice, près de Saint-Martin et des Mauriciens ont participé à la Deuxième Guerre Mondiale. Nous avons un devoir de raconter cela aux jeunes, d’autant qu’un peu partout en Europe, il y a un regain de l’extrême-droite. Il ne faut pas banaliser le nazisme. »

Dates emblématiques

Grace à la magie de l’écriture et l’imagination qu’elle suscite, l’auteur nous restitue les références emblématiques dans l’histoire de la Deuxième Guerre Mondiale : la Solution finale, la Shoah, Dachau, la rafle du Vél d'Hiv, l’exil de certains dignitaires nazis en Amérique latine (Eichmann fut retrouvé à Buenos-Aires), Serge et Beate Klarsfeld, entre autres. Sans doute, ces quelques références parmi tant d’autres - on citerait le Mein Kampf, La nuit des longs couteaux, l’antisémitisme, le fascisme, le national-socialisme, les Protocoles des sages de Sion, la Gestapo, mais le roman de Sylvestre Le Bon ne se résume pas qu'au camp de Dachau, mais à une quête qui s’y rattache, au récit d’une rédemption, à un entremêlement compliqué de personnages piégés par le destin. Mais, pour mieux appréhender le récit dans son intégralité et comprendre la motivation de son principal personnage, il est essentiel de se documenter sur la deuxième grande guerre du XXe siècle et s’instruire de sa complexité, dont la vie dans les camps d’extermination, puis sur la traque des criminels de guerre nazis. Il faudrait d’autres lectures avant de plonger dans ce « nouveau roman » mauricien.

« Le rapport du ciel triste », de Sylvestre Le Bon,
(165 pages)
Éditions Assyelle
Disponible en librairies.

 

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