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Naufrage du remorqueur Sir Gaëtan en 2020 : les familles des victimes entre soif de justice et désillusion

L’annonce est tombée jeudi. L’ex-Deputy Port Master Kavidev Newoor sera jugé pour homicide involontaire par imprudence dans l’affaire du naufrage du Sir Gaëtan, survenu le 31 août 2020. Il est accusé d’avoir causé la mort des employés Jimmy Sylvain Addison (60 ans), Lindsay Laval Plassan (60 ans), Sujit Kumar Seewoo (53 ans) et Moswadeck Bheenick (55 ans). Cependant, la décision d’intenter un procès à ce seul responsable de la Mauritius Ports Authority ne contente pas les familles des victimes dans leur souhait que justice soit rendue.

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Irfaan Bheenick, fils du capitaine Moswadeck Bheenick : «C’est injuste que Kavidev Newoor soit la seule personne poursuivie»

Pour la famille de Moswadeck Bheenick, l’attente est interminable. « Depuis deux ans, nous tournons en rond sans réponses. C’est inacceptable qu’à ce jour, le rapport de la Court of Investigation n’ait pas encore été rendu public. Le gouvernement avait parlé d’un comité ministériel... depuis, silence radio. On se fiche royalement de notre souffrance. Nous devons lutter, presque mendier pour que justice nous soit rendue », déplore Irfaan Bheenick, le fils aîné du capitaine, dont le corps a disparu en mer après le naufrage du Sir Gaëtan.  

L’annonce du procès intenté à l’ex-Deputy Port Master Kavidev Newoor, pour homicide involontaire par imprudence, est loin de le satisfaire. « J’estime qu’il est injuste que Kavidev Newoor soit la seule personne poursuivie dans cette affaire. Il n’est pas le seul à avoir du sang sur les mains. En tant que Port Master, le capitaine Louis Gervais Barbeau est tout aussi responsable », lâche-t-il.  

Ce drame lui a arraché son père, mais aussi deux ans de sa vie, poursuit-il. « J’ai personnellement payé le prix fort. J’aurais dû terminer mes études pour devenir pilote de ligne. Mais tout a été compromis. Comme nous, les autres familles attendent d’être soulagées. Je demande que justice soit faite. »   

Rudy Plassan, frère de Lindsay Laval Plassan : «Noun perdi konfians dan lazistis, nou met tou dan lame Bondie»

Leur vie a basculé du jour au lendemain. Depuis le décès du capitaine adjoint Lindsay Laval Plassan, les membres de sa famille peinent à se remettre de la disparition de cette figure paternelle. Son frère, Rudy Plassan, également marin à la Mauritius Ports Authority, se remémore les moments passés ensemble en mer. Deux ans après le drame, la souffrance est la même. « Li pa fasil pou mwa. Depi lanesans, nou ti kouma de ledwa enn lame. Kinz an noun fer ansam lor bato. Li ti konparab enn paster. Li ti pe fer nek bon zafer pou dimoun. Pa pou regagn sa kalite dimoun la », dit-il, la gorge nouée. « De frer pa kavav al lor enn bato. Si ariv enn maler, pou perdi de frer. » Cette dernière phrase de Lindsay Laval, avant d’embarquer sur le Sir Gaëtan, le hante encore. 

Au-delà de l’émotion, Rudy Plassan nourrit une profonde amertume à l’égard des autorités. « Finn fer dezan, nou res dan flou. Noun perdi konfians dan lazistis, nou met tou dan lame Bondie, limem pli gran. Nou prie pou lazistis. Mo espere ki Bondie pou soulaz nou e seki merit pinision pou konn so sor », confie-t-il. 


Alain Malherbe, expert en opérations maritimes : «Kavidev Newoor est un bouc émissaire»

alainÀ plusieurs reprises, vous avez dit que la Mauritius Ports Authority (MPA) était fautive dans cette affaire. La décision d’intenter un procès pour homicide involontaire à Kavidev Newoor conforte-t-elle vos propos ?
On intente un procès à la mauvaise personne. C’est vrai que Kavidev Newoor représente la MPA, mais le directeur général de l’organisme supervise ses employés. Le Director of Shipping Alain Donat a aussi une responsabilité dans cette affaire. Il savait que le Sir Gaëtan n’avait pas sa clearance. Ainsi, Kavidev Newoor est devenu un bouc émissaire.

Du coup, il aurait fallu poursuivre l’ex-capitaine Gervais Barbeau ?
Effectivement, car c’était lui le Port Master. D’ailleurs, pendant les travaux de la Court of Investigation, Alain Donat a dit que le Sir Gaëtan n’avait pas de certificat. Néanmoins, la loi lui donnait le pouvoir d’empêcher le remorqueur de quitter le port.

Le fait que le Sir Gaëtan est parti récupérer une barge à Pointe-d’Esny démontre qu’il y a eu une faille dans la prise de décision. Quelles sont les problèmes majeurs que vous avez constatés à la MPA ?
Depuis quelque temps, rien ne marche correctement à la MPA. Les décisions ne sont pas prises comme il le faudrait. Les cadres de l’administration de la MPA n’ont pas leur place dans ce bureau. Il faut les faire partir et les remplacer. On doit se demander ce qu’il s’est passé avec l’enquête interne de la MPA après le naufrage à Pointe-aux-Sables plus récemment. Laissez-moi vous dire que le directeur des ressources humaines a quitté l’organisme et que l’enquête est close.

Que faut-il faire pour remettre la MPA sur la bonne voie ?
Il faut mettre the right man in the right place. Le capitaine Gervais Barbeau, le directeur général Shekur Suntah et le directeur des ressources humaines sont partis. Kavidev Newoor était devenu l’Acting Port Master, mais maintenant Imran Dowlut va prendre le relais.


Les Faits

Le remorqueur Sir Gaëtan a coulé dans la soirée du 31 août 2020 au large de la côte nord-est de l’île. Ce bateau de la Mauritius Ports Authority (MPA) était parti à Pointe-d’Esny pour récupérer la barge L’Ami Constant, qui avait été utilisée dans le cadre des opérations de nettoyage après l’échouement du MV Wakashio, le mois précédent. C’est sur le chemin du retour vers Port-Louis que le drame s’est produit, à quelques centaines de mètres du récif de Poudre-d’Or. La mer était démontée et la barge a percuté le remorqueur. Endommagé, le Sir Gaëtan s’est rapidement enfoncé sous les flots. 

Sur les huit employés de la MPA se trouvant à bord, quatre ont pu être sauvés par la National Coast Guard et des volontaires. Les cadavres des marins Jimmy Sylvain Addison, Lindsay Laval Plassan et Sujit Kumar Seewoo ont été retrouvés, mais celui du capitaine Moswadeck Bheenick a disparu à jamais dans l’océan. Ce dernier a été déclaré mort en décembre 2020 par une ordonnance de la Cour suprême, à la demande de sa famille.  

Le Deputy Port Master Kavidev Newoor supervisait à distance l’opération de remorquage. Selon plusieurs témoignages, il aurait insisté pour que l’équipe du Sir Gaëtan poursuive la mission, alors que des membres de l’équipage l’avaient informé du danger que cela pouvait représenter. Arrêté par la police le 18 septembre 2020, il a d’abord fait l’objet d’une inculpation provisoire pour homicide involontaire par négligence. Cette semaine, le directeur des poursuites publiques a déposé une accusation formelle contre lui. Kavidev Newoor fera face à un procès. 

En 2021, une Court of Investigation avait été mise en place pour situer les responsabilités. Il est ressorti des nombreuses auditions (rescapés, responsables de la MPA, membres de la NCG et experts indépendants) que le Sir Gaëtan n’aurait pas dû prendre la mer, non seulement en raison des conditions météorologiques qui prévalaient ce soir-là sur la côte est, mais surtout parce que le bateau n’était pas conforme aux normes de sécurité. Le rapport de la commission d’enquête, transmis au gouvernement en mars 2022, n’a toutefois pas été rendu public.

 

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