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Nomination des magistrats au sein du judiciaire : remaniement, intégrité et transparence préconisés au niveau du recrutement

La nomination des magistrats fait débat.
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La controverse est relancée sur la nomination des magistrats. Dans le milieu  judiciaire, la valse des transferts de la magistrature aux bureaux du Directeur des Poursuites Publiques (DPP) et de l’Attorney General (AG) fait jaser. On parle également d’une refonte dans le système judiciaire. Voici ce qu’en pensent les juristes et découvrez leurs propositions.

« La nomination des magistrats est un débat qui date d’au moins de deux décennies. Nous avons un besoin chronique de changements », soutient Me Penny Hack. Ce dernier explique  que le système actuel sur les nominations est fait conformément à l'article 86 de la Constitution par la Judicial and Legal Services Commission (JLSC). Celle-ci est composée du Chef juge, du Senior Puisne Judge, du président de la Public Service Commission (PSC) et d’un autre membre nommé par le président de la fonction publique, agissant conformément sur l'avis du Chef juge et qui doit être une personne qui est ou a été juge. Cette composition, dit-il, est circulaire, trop restrictive et conservatrice.

Me Penny Hack.
Me Penny Hack.

Pour Me Penny Hack, le rapport Lord Mackay avait recommandé que la commission soit composée du Chef juge, du Senior Puisne Judge, du Solicitor General, un d’avocat avec au moins quinze ans de pratique et d’une autre personne du secteur privé nommée par le président de la fonction publique.

De son côté, Me Dev Ramano qualifie les débats sur la nomination des magistrats de salutaires et de nécessaires. Ils doivent être profonds en présence des protagonistes concernés et des citoyens. Cependant, il soutient que les actions doivent être basées sur des propositions justes, concrètes et clairvoyantes et adaptées sur la réalité de la justice mauricienne. Il cite plusieurs rapports concernant la refonte judiciaire, mais qui sont restés dans le tiroir sous les différents gouvernements. Ce sont notamment le rapport Lord Mackay, Law Reform Commission (LRC) et SACHS. Il fait aussi mention de la loi Police and Criminal Evidence (PACE) Bill en 2013, dont l’objectif était de revoir le fonctionnement de la poursuite, mais jusqu’à maintenant, elle est restée lettre morte. Plus récemment, on retrouve le discours du budget 2021/2022 sur la réforme du système judiciaire qui prétend apporter des changements en profondeur. 

Pour Me Dev Ramano, la refonte ne doit pas se limiter à l’aspect logistique et à de nouveaux bâtiments. Elle doit se focaliser davantage sur la formation afin de recruter des candidats avec les qualités et compétences requises.  Une opinion que partage Me Richard Rault. Ce dernier estime qu’il est mieux de recruter des personnes expérimentées et formées plutôt que de recruter celles qui ont uniquement deux ans d’expérience au barreau. Parfois, fait-il ressortir, on peut tomber sur un magistrat de district qui ne détient pas le calibre, le sens critique et le sens pragmatique. « Une formation spécialisée est souhaitée et appréciée », propose-t-il. 

Les problèmes

« L’article 119 du Courts Act permet qu’un avocat avec seulement deux ans de pratique soit nommé magistrat », explique Me Penny Hack. Cependant, pour lui, ce critère doit être revisité. « Il faut aussi comprendre que les officiers au bureau du DPP et ceux de l’Attorney General sont tous des officiers du State Law Office (SLO). Cependant, il est malheureux de constater qu’il y a une valse perpétuelle et monotone entre la magistrature et le SLO », indique-t-il. Le problème, selon lui, est que nous sommes piégés dans un film qui tourne en boucle. « Sans les changements nécessaires, il n’y aura pas d’évolution et c'est le contraire qui risque d’arriver », fait-il remarquer.

Me Dev Ramano.
Me Dev Ramano.

Me Dev Ramano revient, lui, sur la tendance des valses entre le bureau du DPP, l’AG et la magistrature. « Je ne pense pas qu'il y a un manque de qualifications requises, mais plutôt de qualités et de dextérités », précise l’homme de loi. Ce dernier est d’avis que la façon dont la nomination d'un juge ou d’un  Senior Counsel se fait actuellement est restrictive. Concernant la nomination d'un juge, il explique que selon la section 77(4) de la Constitution, un avocat d’au moins cinq ans d’expérience au barreau et accoutumé aux procès devant la Cour suprême y est éligible. Bien sûr, l’entretien du postulant en relation avec ses compétences et qualités est de mise. Il évoque aussi la section 119 de la Courts Act pour le recrutement d’un magistrat. À ce niveau, un avocat ayant au moins deux ans d’expérience au barreau est éligible au poste de magistrat. Pour lui, il faut que l’appel à postuler soit plus ouvert et publique pour plus de transparence. Cela renforcera aussi la notion plus significative de la méritocratie. De plus, le public aura davantage confiance dans le système.  Ainsi, souligne Me Dev Ramano, les postulants qui ont les qualités requises seront équitablement et correctement considérés.

« Ce n’est pas vrai de dire que les magistrats nommés proviennent uniquement du bureau du DPP ou du bureau de l’AG. En effet, tout avocat dans le privé, avec un minimum de deux ans d’expérience au barreau, peut également postuler pour un poste de magistrat. Les recrutements dans le privé sont également effectués », constate Me Richard Rault. Il explique qu’une fois qu’ils sont sur « l’establishment » de la magistrature, ils montent en grade. « Cependant, le problème est qu’un magistrat ayant servi un certain temps se voit nommer ensuite au bureau du DPP et à l’AG. De l’autre côté, un avocat affecté à ces bureaux retourne au banc de la magistrature. Il aura un raisonnement partial et formaté, selon le point de vue du secteur public de par la carrière qu’il aura connue. Une situation qui est sujette à des critiques depuis des lustres » indique l’homme de loi. Pour lui, ce qui serait extrêmement souhaitable serait de séparer l’« establishment » du judiciaire de ceux du DPP et de l’AG pour plus d’indépendance vis-à-vis du grand public.

Les lacunes et conséquences 

 « Le système actuel est devenu un monopole pour les avocats du parquet. Il empêche les avocats du privé de postuler pour la magistrature », déplore Me Penny Hack. Il fait ressortir qu’il manque une séparation entre le SLO et la magistrature. Pour lui, soit on postule pour rejoindre le SLO ou la magistrature, mais pas les deux. Il est d'avis que cette danse incestueuse entre ces deux cheminements de carrière doit être découragée.   

Les lacunes, soutient Me Dev Ramano, sont conséquentes. Il y a un retard considérable dans les arrêts. Des procès sont renvoyés pour des points techniques futiles et parfois, on peut noter aussi l’arrogance et l’attitude cavalière du magistrat. Cependant, dit-il, il ne faut pas généraliser. Il estime que le magistrat n’a aucune perception au-delà des quatre murs d’une cour de justice. Il donne pour exemple le cas d’un suspect qui vient d’être arrêté et qui se présente devant une cour de justice avec des blessures. Le magistrat va ordonner que cet individu soit reconduit en cellule policière sans même oser lui poser des questions y relatifs, alors que le magistrat a le droit et le devoir de le faire. Cette audace est nécessaire, car souvent la personne se renferme sur elle-même, a peur des représailles ou ne connait pas ses droits.

Me Dev Ramano constate  aussi que dans certains cas, les victimes d’un accident attendent plus de dix ans avant d’obtenir justice dans leur procès au civil devant une cour de justice. Concernant la cour industrielle, il remarque que ceux qui siègent devant cette instance doivent avoir une connaissance plus ample du Code du travail. Autre fait noté par l’homme de loi est le cas où un employé poursuit son employeur pour licenciement injustifié. Ici, indique-t-il, c’est au défendeur, donc l’employeur, de démontrer que le licenciement était justifié. Il y a aussi des cas où le magistrat ne fait pas la différence entre licenciement et congédiement implicite. D’autre part, de nombreux jugements qui sont entendus en appel sont renvoyés à la cour de première instance pour être rejugés.

Me Richard Rault.
Me Richard Rault.

Par ailleurs, Me Richard Rault remarque que la part est faite un peu trop belle en faveur du secteur public. « On craint que le magistrat, quand il a fait un certain temps au parquet, n’ait développé une intimité avec les représentants du secteur public. Dès lors, on craint que les options qu’il prend dans son jugement ne soient formatées ou encadrées par les années qu’il a effectuées au contact de l’establishment », souligne-t-il. 

Selon Me Richard Rault, on peut aussi appréhender que les perspectives de carrière à son retour au parquet n’influent sur les décisions qu’il envisage de prendre et qu’il ne veuille pas déplaire à des éléments qui auront un pouvoir de décision sur sa future carrière. Ce sont là des questions qui militent en faveur d’une séparation de l’establishment du parquet et la magistrature. 

Les changements à apporter

Me Penny Hack dit avoir une nette préférence pour le système anglais actuel. Il y a une commission composée de cinq membres, de deux membres professionnels du privé, de cinq autres membres non professionnels du privé, d’un juge et d’un membre du judiciaire, non-juriste. Le but de cette commission, soutient-il, est de rendre les nominations plus apolitiques, inclusives et représentatives de la société.

Me Dev Ramano prône des formations appropriées afin d’avoir des personnes expérimentées et qualifiées. Il s'est, lui aussi, référé aux propositions de Lord Mackay. Ce dernier, indique-t-il, avait recommandé de revoir la composition de la JLSC pour le recrutement d’un juge en ajoutant à la composition un avocat avec moins de 15 ans d'expérience et nommé par le Bar Council. Pour l’homme de loi, il faut aussi avoir au sein de la JLSC, des membres d’une plateforme citoyenne qui a une connaissance de la justice mauricienne. Pour lui, le postulant doit être une personne qualifiée et  compétente avec des qualités requises.

Me Dev Ramano constate qu’il y a une absence de l’activiste judiciaire dans le système. Il évoque que la Cour peut aller au-delà des provisions légales applicables en considérant les implications sociétales plus vastes pour prononcer leurs décisions. À ce niveau, il y a ce manque de courage et d’audace pour aller de l’avant, car notre système se recroqueville parfois dans un conservatisme aberrant. L’homme de loi suggère aussi d’avoir plus de transparence dans le recrutement d’un magistrat afin que le public fasse confiance à la justice. Il opte aussi pour une école de magistrature et pour des formations adéquates afin de former des personnes de qualité et d’expérience avant même de siéger devant une cour de justice. 

Comme dit l’adage, « justice delayed is justice denied ». Et pour cette raison, explique-t-il, que notre système de justice doit être rapide et adéquat. « Tout ce qui accroit l’indépendance de la magistrature est souhaitable. D’ailleurs, la séparation des deux « establishment » est réclamée par la profession légale depuis longtemps. » 

« Une formation spécialisée et en même temps pragmatique pour répondre aux besoins spécifiques de la magistrature est également à souhaiter », suggère Me Richard Rault. Pour lui, il faut que nos futurs magistrats maitrisent des outils qui vont être mis à leurs dispositions et qu’ils soient aptes à siéger dès le premier jour sur la panoplie des sujets auxquels ils seront confrontés. « N’oublions pas », dit-il, « que même un junior magistrate va s’occuper de questions qui concernent la liberté du citoyen, de par les pouvoirs dont il est investi en matière de caution. Il peut aussi s’occuper exclusivement des litiges sur les actions possessoires sous la Landlord and Tenant Act ». 

De surcroit, d’après Me Richard Rault, un magistrat de la cour de district siège sur des questions très sérieuses comme les enquêtes préliminaires qui débouchent vers les assises ou les enquêtes judiciaires qui s’occupent de morts suspectes. « L’affaire Kistnen est là pour nous rappeler à quel point il peut s’agir de questions d’importance », ajoute l’homme de loi. « Tout cela démontre l’importance du rôle d’un magistrat, même débutant et du soin nécessaire qu’il faut apporter à l’encadrement et à la formation de nos magistrats », fait-il remarquer. Me Richard Rault affirme que les magistrats sont notoirement sous-payés par rapport à l’importance des fonctions dont ils sont investis. « Nous ne pouvons pas nous attendre à ce que les meilleurs éléments soient attirés par cette carrière avec les salaires proposés actuellement », confie-t-il. L’homme de loi suggère que le Pay Research Bureau (PRB) remette les diverses postes de la magistrature sur un piédestal, financièrement parlant.  

Nomination des magistrats


 

 

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