Faits Divers

Opération commando à Petite-Rivière : arrêté en sous-vêtements et ses ‘dreadlocks’ déracinés

Une trentaine de policiers encagoulés et en civil ont investi la demeure de la famille Iranah, aux petites heures, lundi matin.

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Ils recherchaient trois frères, suspectés d’avoir dérobé des bijoux d’un montant de Rs 400 000. Les membres de la famille se disent « dévastés » par la nature musclée de l’opération. Karishma, l’épouse d’un des suspects, avance que son époux a été menotté et transporté au poste de police en caleçon. Ses ‘dreadlocks’ ont été arrachés.

« Les policiers ont frappé à la porte après avoir enfoncé le portail. Au même moment, certains ont grimpé du haut d’une clôture en béton pour avoir accès à l’étage »

Selon des voisins qui ont assisté à la scène, les images qui défilaient devant leurs yeux étaient dignes de films d’actions américains. Armes à feu, matraques, gourdins, gaz lacrymogène et policiers encagoulés. Selon eux, certains policiers s’étaient également parés à toute éventualité. Ils ont ainsi établi un cordon sur la route Royale menant vers l’Ouest, avec leurs véhicules. Au cas où il y aurait tentative de fuite.

L’opération musclée, expliquent des voisins, s’est déroulée aux alentours de 3h16 du matin en ce lundi. Ils racontent que des policiers armés de fusils ont pénétré les lieux par le biais d’une clôture en dur et la porte d’entrée en tôle cannelée. Trois frères (à savoir Aljojah Iranah, Kelly Février et Benny Iranah), dont l’un est connu des services de la police pour meurtre allégué sur un boutiquier, ont été appréhendés suite au raid.

Ces frères sont soupçonnés d’avoir dérobé des bijoux dans une maison située dans la région de Coromandel. Selon des recoupements, les enquêteurs de la Criminal Investigation Division (CID) de Camp-Levieux tentent de faire « la connexion entre le vol de bijoux de Rs 400 000 et les autres cas de vols survenus autrefois dans la même région et dans les alentours ».

Maison saccagée, injures et ‘dreadlocks’ déracinés

La bande sonore remise à Le Dimanche/L’Hebdo démontrerait que la police n’a pas fait de cadeau ce jour-là aux Iranah. Karishma, l’épouse d’un des suspects, s’est confiée : « Les policiers ont frappé à la porte après avoir enfoncé le portail. Au même moment, certains ont grimpé du haut d’une clôture en béton pour avoir accès à l’étage. Ils cherchaient mon époux Benny et n’ont pas tardé à nous le faire comprendre. En un éclair, ils ont assiégé la demeure.

Ils ont mis les lieux sens dessus-dessous et ont immobilisé mon époux et mes deux beaux-frères. C’est ainsi qu’en étant dans la chambre d’à côté, je pouvais entendre des cris et des gifles qui raisonnaient entre les quatre murs des diverses chambres. Les gars ont une fois de plus été roués de coups dans le salon tout en étant menottés. Dans le feu de l’action, les policiers ont déraciné les tresses de mon mari Benny », se remémore cette mère de 22 ans.

Cette dernière précise qu’elle a également reçu des coups ainsi que des gifles par « un policier encagoulé » du GIPM durant l’opération : « Mo donn twa 5 minit pou dir kot la senn la ete, m’a lancée une policière en civil ». Toute la scène, dit-elle, s’est déroulée devant son fils d’un an et demi qui pleurait à chaudes larmes.

Après avoir « reçu des coups », les trois suspects ont ensuite été conduits au poste de police. Si Aljojah Iranah et Kelly Février étaient vêtus, Benny Iranah n’a pu enfiler ne serait-ce qu’un T-shirt. Selon son épouse, « il a été conduit au poste de police en sous-vêtements ».

Les confidences des suspects

Dans leurs confidences à leur avocate, Me. Jenny Moteealloo, les trois suspects ont expliqué avec moult détails sur le fil des événements. Selon eux, la police a frappé à la porte en guise d’avertissement, mais n’ont pas donné le temps aux maîtres des lieux d’ouvrir. « C’est lorsque les policiers ont enfoncé la porte d’entrée que nous nous sommes réveillés en sursaut », ont raconté les frères. Dans sa conversation avec son avocate, Benny Iranah dit avoir eu le temps d’alerter sa femme et son fils (Ndlr : qui dormaient à l’étage) de la présence de policiers dans la maison. « Où sont les bijoux ? », criaient à tue-tête les policiers durant l’opération.

« J’ai essayé de me protéger, mais les policiers m’ont passé à tabac pendant que je hurlais de douleur. J’ai reçu des coups sur divers endroits de mon corps. Mes deux autres frères ont également subi le même sort avant d’être transportés menottés dans des véhicules de la police. Nous avons été conduits sur un terrain boisé se situant dans la région de Belle-Étoile, puis à Canot, Albion, où nous avons une fois de plus été brutalisés. Nous avons été ensuite conduits au poste de police pour être interrogés », a relaté Benny Iranah à Me Jenny Moteealloo.

Les trois frères comparaîtront en justice lundi matin sous une charge de vol. Une motion de remise en liberté provisoire des trois suspects sera déposée par leur avocate.

La victime « disposée » à donner des détails du vol

C’est une habitante de Coromandel qui, selon la police, a consigné une déposition pour vol. La plainte faite au poste de police de la région, a mené à l’arrestation des trois frères Aljojah Iranah, Benny Iranah et Kelly Bontemps, tôt lundi matin.

Sollicitée au téléphone par Le Dimanche/L’Hebdo pour donner des précisions, la victime s’est dit « disposée » à donner des éclaircissements sur le vol qui serait survenu à son domicile où, selon la police, des bijoux d’une valeur de Rs 400 000 ont été dérobés. « C’est promis. Je reviendrai vers vous une fois libre. J’ai un emploi du temps chargé en ce moment… », dit-elle.

Opérations policières : « La police se réserve le droit de ne pas présenter de mandat »

La maison des Iranah après le raid de la police.

La cellule de presse de la police explique que toute opération policière nécessite un mandat de perquisition (« search warrant »). Le document, souligne le caporal Bernard Samynaden, doit impérativement contenir la signature d’un haut gradé de la force policière, d’un magistrat ou d’un juge.

« Le responsable de l’opération policière doit toujours avoir un mandat lors d’une perquisition. Au cas contraire, il n’y a pas de raid. Mais la police se réserve le droit de ne pas présenter de mandat lors de la perquisition », avance le caporal Samynaden. Mais que se passe-t-il si les propriétaires de la maison n’ouvrent pas la porte ?

« La police n’est pas autorisée à faire irruption chez un suspect sans un mandat adéquat. Avant toute incursion, les policiers sont obligés de frapper à la porte, à diverses reprises si nécessaire. Cette manœuvre vise à informer que la police est présente sur les lieux. Mais si l’action est vaine, la porte est alors enfoncée à l’aide d’équipements et la demeure est investie », précise le « Press Officer ».

Les hauts gradés qui peuvent apposer leurs signatures sur les mandats de perquisition/mandats d’arrêt sont les assistants-superintendants de police, les superintendants de police, les assistants-commissaires de police, l’adjoint au commissaire de police et le commissaire de police.

La police :  « Il y a eu résistance… »

Sollicité par Le Dimanche/L’Hebdo, la cellule de presse de la force policière livre une autre version des faits. Selon le caporal Bernard Mootoosamy, l’un des responsables de communication, « il y a eu résistance de la part des présumés voleurs » et la police a dû employer la force.

« Les policiers qui ont mené le raid survenu lundi matin avaient frappé à la porte des suspects, munis d’un mandat de perquisition. Au même moment, des éléments du Groupe d’intervention de la police mauricienne et de la Special Support Unit avaient investi les lieux. Cela en vue d’éviter que les suspects ne prennent la fuite. Ce n’est qu’après avoir frappé la porte à plusieurs reprises que celle-ci a été enfoncée. À leur grande surprise, les policiers sont tombés nez à nez avec les suspects qui étaient armés de gourdins. Les agents de police ont alors employé la force… », déclare le caporal Bernard Samynaden.

Ce dernier confirme, dans la foulée, la présence de la trentaine de policiers en civil et en uniforme qui étaient présents lors de l’opération. « Une opération policière n’est pas une tasse de thé. Certains policiers ont déjà perdu la vie lors des raids.

Pour parer à toute éventualité, nous déployons les ressources humaines nécessaires, car nous ne savons pas à quoi nous attendre. Il est vrai qu’une trentaine d’éléments de l’Emergency Response Team, de la Criminal Investigation Division, du Groupe d’intervention de la police mauricienne et de la Special Support Unit étaient présents sur les lieux. On devait assurer nos arrières, car toute opération de la police provoque l’hostilité des proches et du voisinage », ajoute le chargé de communication.

Questions à Jenny Moteealloo, avocate des suspects : « Une motion pour une enquête interne »

L’avocate Jenny Moteealloo, qui défend les trois suspects, se dit « choquée » par la nature de l’opération policière menée lundi matin au domicile des Iranah. L’avocate soutient qu’elle présentera, lundi, une motion pour qu’une enquête interne soit initiée, car les suspects se disent victimes de brutalité policière.

Dans leurs aveux, les victimes se sont plaintes de brutalités policières…
J’ai été choquée en remarquant que les victimes portaient des traces de violences physiques. Les blessures de Kelly Février font peine à voir. Il a du mal à marcher et a le visage meurtri. Il ne comprend pas ce qui lui est arrivé et il ne cesse de clamer son innocence. Le comble est qu’il a un casier judiciaire vierge. Benny Iranah, le cadet des frères, clame également son innocence. Il dit avoir subi une humiliation indescriptible lorsqu’il a eu ses ‘dreadlocks’ déracinés. Les tresses de rastafari dérangeaient-elles les policiers ? Ceux qui ont participé à cette opération sont inhumains.

Quelle est leur défense ?
L’un d’eux, à savoir Benny Iranah, a un alibi. Au moment du vol, il était sur son lieu de travail. L’un de ses collègues est disposé à témoigner. Quant aux deux autres, à savoir Kelly Février et Aljojah Iranah, le premier mène une vie paisible sans casier judiciaire, tandis que le second a déjà eu des démêlés avec la justice pour une affaire de meurtre. Il est sous traitement à l’hôpital psychiatrique. Une charge provisoire de ‘Larceny more than two in numbers’ a été logée contre les trois.

Vos sentiments par rapport aux ‘dreadlocks’ déracinés d’un des suspects ?
Je suis peinée, car pour la communauté rastafari, les ‘dreadlocks’ ont une importance significative. Du reste, les policiers qui ont commis cet acte sont des sadiques.

La police agit-elle toujours ainsi lors d’un raid ?
C’est une infraction à la ‘Police Act’ et une violation aux droits humains et autres droits constitutionnels des accusés. Par manque de preuves, ils rouent les suspects de coups afin qu’ils avouent afin que l’enquête soit bouclée au plus vite. C’est une pratique courante.

Pourquoi un tel dispositif de policiers pour cette arrestation ?
C’est la question qu’on doit se poser. Pourquoi autant de policiers armés pour une affaire de vol ? Cette arrestation, survenue aux petites heures du martin, a bouleversé toute une famille et un enfant en bas âge présent. La fin justifie-t-elle les moyens ?

What next ?
En cour, le magistrat ne devrait même pas demander aux policiers qu’est ce qui s’est passé, car il y a des signes de violences visibles. Je vais présenter une motion pour une enquête interne.

La police dit qu’elle « se réserve le droit de ne pas présenter de mandat lors des perquisitions »…
Un mandat de perquisition n’est pas souvent obligatoire lors d’une perquisition ou lors d’une arrestation imminente. Mais l’arrestation des trois frères dépasse certaines limites. Les suspects n’étaient pas en fuite.

 

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