Live News

Pains des Îles : l’odeur du pain frais s’éteint

C’est une aventure de 35 ans qui prend fin à Vacoas, avec la fermeture de l’emblématique Pains des Îles Boulangerie et Pâtisserie. Une décision que le propriétaire, Ahmed Moossun, a prise non sans peine.

Publicité

Les caisses sont vides. Les fours sont éteints. Le comptoir est désert. L’effervescence qui régnait jadis à Pains des Îles Boulangerie et Pâtisserie n’est plus qu’un souvenir. Le rideau se ferme sur cette institution emblématique de la ville de Vacoas, qui n’est plus que l’ombre de ce qu’elle a été autrefois.

« L’heure est venue de tourner la page. Je n’ai plus la force de continuer et je n’ai personne pour reprendre le flambeau », dit le propriétaire Ahmed Moossun. Cette décision n’a pas été prise à la légère, ni n’a-t-elle été facile. Mais à 67 ans, il ressent le poids des années et la nécessité de prendre du recul.

Depuis le 1er février, Pains des Îles a définitivement mis la clé sous le paillasson. Lorsque nous arrivons devant la boulangerie-pâtisserie, nous constatons une note collée sur les volets qui en fait l’annonce. Ahmed Moossun, lui, se trouve à l’intérieur. Maniaque de la propreté, il s’affaire dans la boulangerie. « Je mets un peu d’ordre, avec l’aide de mes proches. J’aime beaucoup la propreté. Je nettoie les lieux ainsi que les machines que je vais mettre en vente », raconte-t-il.

La vie d’Ahmed Moossun a été dédiée à Pains des Iles, qui a été pour lui, comme un enfant. Il est la troisième génération de sa famille à avoir embrassé ce métier. « Mon grand-père était dans le domaine et par la suite, mon oncle lui a emboîté le pas. Je m’y suis intéressé également. J’ai suivi des cours en boulangerie car la fabrication du pain est complexe. Il y a des normes à respecter. Il faut bien mélanger les ingrédients, surveiller la température etc. C’est un long processus avant que le pain ne sorte du four », confie le boulanger.

Ce métier, souligne-t-il, demande beaucoup de patience et de sacrifices. Les journées de travail acharné débutaient à 5 heures du matin pour se terminer à 21 heures, faisant de cette boulangerie une entreprise exigeante et fatigante. « Il y avait même des fois où je devais me réveiller à 3 h 30 pour travailler la farine et en faire du pain pour la vente du matin. »

Il se souvient des moments difficiles, des heures passées à pétrir la pâte, à cuire le pain, et à servir la clientèle. « La satisfaction de mes clients était ma principale motivation. Je suis fier d’avoir contribué à offrir du pain de qualité pendant toutes ces années. Aujourd’hui, il est dommage que de nombreuses boulangeries ne fassent que respecter le poids pour le prix mais la qualité laisse à désirer », se désole-t-il.

Les moments de joie, Ahmed Moossun les a toujours en mémoire. « Quand je venais d’ouvrir la boulangerie, j’avais reçu le premier prix pour le meilleur pain. Je me souviens aussi que pendant la COVID-19, des gens se regroupaient dans ma cour pour acheter du pain. J’ai mis ma vie en danger mais j’ai fabriqué autant de pains que je pouvais pour les aider car il y avait vraiment beaucoup de personnes qui n’avaient rien à manger », révèle-t-il.

Le cœur lourd, Ahmed Moossun exprime sa gratitude envers la fidèle clientèle qui a soutenu l’établissement tout au long de ces années. « Cette aventure, qui a duré 35 ans, n’aurait pas été possible sans la loyauté et le soutien indéfectible de mes clients. »

C’est tout un pan de sa vie auquel le sexagénaire dit adieu aujourd’hui. « J’appréciais mon travail mais le moment est venu de prendre un repos bien mérité. » Il ne cache pas que ces 15 à 20 dernières années ont été difficiles pour les boulangeries. Il déplore que ce secteur ait toujours été le parent pauvre des considérations gouvernementales, livré en pâture à chaque annonce de hausse du prix du pain. « Je n’ai aucune affiliation politique, et je ne prends position ni pour ni contre le gouvernement. Mais je constate que tous les gouvernements au pouvoir n’ont pas eu de considération pour nous. Personne ne semble s’intéresser au sort des boulangeries, et peu de gens comprennent le fonctionnement complexe de notre industrie », regrette Ahmed Moossun.

Il souligne les défis constants auxquels sont confrontés les propriétaires de boulangeries, notamment le manque de main-d’œuvre. « Les gens ne veulent pas travailler à des heures indues. Ils savent que c’est un métier dur et n’en veulent pas. Pendant toutes ces années, j’ai pu survivre grâce à l’aide de ma famille qui m’épaulait et sept employés de longue date qui eux aussi sont fatigués tant c’est difficile », fait-il comprendre.

À un certain moment, Ahmed Moossun songeait à recruter de la main-d’œuvre étrangère. Il a finalement renoncé. « J’ai vu la façon de travailler des Bangladais mais je n’ai pas été satisfait. Ils ne connaissent rien à la fabrication du pain. J’ai aussi songé aux travailleurs malgaches mais j’ai été vite découragé par la paperasserie. Puis, il faut à chaque fois renouveler les permis », fait-il ressortir.

Aujourd’hui, alors qu’il prend sa retraite, Ahmed Moossun espère que le secteur de la boulangerie bénéficiera d’une meilleure considération. Si ce n’est pas le cas, d’autres établissements fermeront eux aussi leurs portes à l’avenir, prévient-il. Il insiste sur le fait qu’il est grand temps d’apporter un soulagement aux propriétaires de boulangeries qui sont multitâches. « Il est grand temps que les propriétaires de boulangeries, le ministère et les autres autorités se réunissent autour d’une table pour parler de l’avenir des boulangeries à Maurice. Il faut proposer des solutions. Sinon ce sera la mort de plusieurs autres boulangeries », dit-il.

Alors que Pains des Îles Boulangerie et Pâtisserie a fermé ses portes, laissant derrière elle une histoire longue de trois décennies, la communauté locale perd non seulement une boulangerie, mais aussi un morceau de son histoire et de sa tradition. Le paillasson est mis de côté, mais les souvenirs de l’odeur alléchante du pain frais resteront à jamais gravés dans les mémoires de ceux qui ont partagé ce voyage.

 

Notre service WhatsApp. Vous êtes témoins d`un événement d`actualité ou d`une scène insolite? Envoyez-nous vos photos ou vidéos sur le 5 259 82 00 !