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Parvèz Dookhy : «La politique n’est hélas qu’une affaire de palabres»

Parvèz Dookhy, avocat au barreau de Paris, revient sur le jugement victorieux de lundi dernier pour le Premier ministre, Pravind Jugnauth, au Privy Council. Il estime que le conseil légal de Suren Dayal a été « mal inspiré » et que des éléments importants n’ont pas été pris en compte. 

Lundi dernier, Pravind Jugnauth a remporté l’affaire intentée par Suren Dayal au Privy Council. Le candidat battu à Quartier-Militaire/Moka (8), demandait l’invalidation de l’élection de Pravind Jugnauth et de ses colistiers, Leela Devi Dookun-Luchoomun et de Yogida Sawmynaden . Quelle est votre lecture de cette affaire ?
Les chances de succès sont toujours de 10 % à 20 % devant le Conseil privé. Il y faut montrer qu’on a raison mais aussi que la Cour suprême a fait une grande erreur dans son jugement ou dans l’application de la loi ou encore que la Constitution n’a pas été respectée. Politiquement, l’opposition parlementaire avait beaucoup d’espoir. Peut-être aussi que c’était une tactique, pour elle, de faire croire qu’elle avait les moyens de faire tomber le gouvernement pour motiver ses troupes. Ceci dit, il y a eu des irrégularités manifestes dans l’organisation des dernières élections. 

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Comment expliquer que les Law Lords » ont été aussi catégoriques et succincts et qu’il n’y a même pas eu de « dissenting opinion » ?
Il y a une ou deux opinions dissidentes lorsque le jugement n’a pas été rendu à l’unanimité des cinq Law lords. Un ou deux Law lords rédigent une opinion dissidente ou chacun le fait. Dans le cas de de Dayal, le jugement a été adopté à l’unanimité. C’est ainsi qu’il faut l’interpréter : la position des juges est ferme.

L’affaire a-t-elle été mal présentée par l’équipe légale de Suren Dayal ? Certains l’affirment. Rappelons que Timothy Straker, l’avocat principal de Suren Dayal est un Kings’ Counsel rompu aux affaires devant le Privy Council. Il y a d’ailleurs déjà remporté plusieurs cas.

J’ai beaucoup de réserves quant au niveau de l’argumentation de l’avocat de Suren Dayal. On ne voit pas la valeur ajoutée d’un avocat pratiquant en Europe dans son argumentation. Il n’a fait que reprendre le narratif des profanes, je veux dire des non juristes. Il n’a pas apporté l’expertise d’un juriste. Il y a, de mon point de vue, plusieurs manquements dans sa plaidoirie. D’abord, il aurait dû faire une analyse de la démocratie mauricienne pour faire comprendre aux Law lords que notre démocratie a des failles, des insuffisances et qu’elle n’est pas au même niveau que celle qui existe en Angleterre ou ailleurs en Europe. 

Il aurait dû d’emblée dire qu’à Maurice, la télévision nationale (MBC) a le monopole sur l’information télévisée et qu’à 19 h 30 tous les jours, l’ensemble des Mauriciens, qui est en train de dîner en famille, est plus ou moins obligé de regarder le bulletin d’information de la MBC. Il aurait pu démontrer que la MBC est particulièrement politisée et n’est en réalité qu’une boîte de propagande du gouvernement. 

Ajouté à cela, un avocat bien investi dans sa plaidoirie aurait souligné qu’il n’y a pas de contrôle réel ou efficace des comptes de campagne à Maurice. L’argent reste un facteur déterminant dans la réussite électorale. Il aurait pu parler du « communautarisme » qui est d’ailleurs organisé constitutionnellement. Les partis n’ont pas de personnalité morale ni de structure juridique. Le tout sur le financement des partis se fait de manière opaque, sans contrôle. Il n’y a aucun cadre à Maurice. La démocratie est embryonnaire, il y a un semblant de démocratie et beaucoup de lacunes ou de zones de non-droit. Ensuite, il aurait aussi pu soutenir que l’électeur mauricien n’a pas la maturité nécessaire. 

Comment le faire ? 
Par exemple, en démontrant que l’électeur mauricien vote selon l’appartenance communautaire du candidat et non de ses idées. D’ailleurs, tous les candidats sont contraints de faire une déclaration d’appartenance communautaire. Il n’y a pas ni face-à-face, ni débats télévisés lors de la campagne électorale pour éclairer l’électeur. 

L’avocat aurait dû parler du mode de vie des Mauriciens, les revenus, les salaires, le nombre de personnes marginalisées ou en difficulté. Ce sont néanmoins des électeurs qui peuvent être facilement influencés grâce à des dons, des cadeaux ou de l’argent liquide. Une fois ces paramètres exposés, à ce moment-là, il aurait pu faire la démonstration qu’une assiette de biryani a des conséquences importantes dans le contexte mauricien. Ce qui ne pourrait pas être le cas en Angleterre, mais une réalité à Maurice. 

S’agissant des propositions électorales, l’avocat aurait dû, dans sa plaidoirie, inviter les juges à faire une distinction entre les propositions normales et les propositions alléchantes. Les propositions normales sont celles qui sont soutenues dans les débats et que l’homme politique est capable de justifier en termes de financement par l’État. Les propositions alléchantes, qui sont en réalité une pure escroquerie électorale et, par conséquent, une corruption, sont celles que l’homme politique balancent sans chiffrage. Sans pouvoir expliquer d’où il trouve le financement, ni comment il pourrait assurer la mesure dans la durée. C’est juste pour attirer l’électeur le plus faible ou le plus sensible. Une fois ces grilles d’analyse posées, l’avocat aurait alors pu faire sa démonstration en invoquant ou se référant, bien entendu, aux lois existantes et applicables en la matière. Or, il est resté dans le narratif. Il n’a même pas invité les juges à faire œuvre d’évolution jurisprudentielle, à mieux préciser le droit vu les manquements dans notre législation en la matière. C’est en tout cas peut être de cette manière que j’aurais plaidé le dossier. Peut-être aussi si j’avais à le défendre, j’aurais encore trouvé d’autres argumentations en me penchant en profondeur dans le dossier. Ce que je n’ai pas fait, n’ayant pas été sollicité.

Le gouvernement se targue que toutes les pétitions électorales par rapport aux élections du 7 novembre 2019 sont tombées l’une après l’autre. Faut-il en conclure que ces élections-là étaient finalement « free & fair », contrairement à ce que l’opposition veut faire croire ?
Les actions n’aboutissent pas aussi en raison des lacunes, des insuffisances dans nos lois. Celles-ci sont d’une autre époque, des années 40. Tout a changé et on n’a pas réussi à faire évoluer notre législation. C’est juste embryonnaire. D’où la nécessité pour les juges de faire œuvre de précisions jurisprudentielles. Les juges l’ont toujours fait lorsqu’il y a un vide juridique. D’ailleurs, c’est ainsi que la Common Law a pris naissance. 

Il a fallu attendre quatre ans pour connaître l’issue d’une pétition électorale logée fin 2019. Au début de ce mois, un autre pétitionnaire, à savoir Cader Sayed-Hossen, a retiré sa pétition électorale après avoir appris qu’il fallait reprendre l’affaire depuis le début en raison du départ d’un des juges. Un mécanisme pour traiter des affaires qui touchent aux élections générales n’était-il pas nécessaire ?
Les actions en contestation ont perdu, avec le temps, de leur intérêt. Plus le temps passe, plus il devient difficile pour un juge d’annuler une élection. Cela l’est encore plus lorsqu’il s’agit de l’élection du Premier ministre. L’annulation de l’élection du Premier ministre pourrait entraîner la chute du gouvernement. Techniquement, il aurait fallu aussi diriger l’action principale non pas contre le Premier ministre mais contre un simple député. Une fois la jurisprudence fixée, on l’aurait appliqué à tous. 

En parlant du système légal, à Maurice, les procès durent souvent des années et des années avant d’arriver à une conclusion. Comment résoudre le problème ? Maurice est-il une exception en la matière ?
Le contentieux électoral doit être tranché rapidement. Sinon, c’est un non-sens. Ce n’est pas un accès effectif à la justice comme notre Constitution le prévoit. Le problème encore une fois, nous avons plusieurs décennies de retard. Nos lois ne sont pas mises à jour pour être conformes à l’évolution, à la modernité. La politique n’est hélas qu’une affaire de palabres. Il faut de véritables débats de fond portant sur de véritables choix de société. Il faut pour cela du courage et la capacité à parler un langage de vérité, à avoir une conversation entre adultes, avec l’électeur. 

Outre sur le plan légal, ce jugement du Privy Council aura-t-il un impact politique positif sur Pravind Jugnauth et son gouvernement ? Si oui, lequel ?
Une réussite judiciaire est nettement mieux qu’une défaite. C’est sûr ! Pravind Jugnauth peut se sentir requinqué, mais il est vite rattrapé par l’usure du pouvoir et l’ensemble de scandales à n’en pas finir. Il ne tire pas un réel profit aussi dans le sens où personne n’avait de doute sur l’issue du jugement au vu de la prestation du conseil légal de Suren Dayal. Il n’y avait aucune surprise.

L’opposition, plus particulièrement le PTr, a axé sa campagne depuis les dernières élections générales sur des élections truquées. Le fait d’avoir perdu l’affaire Dayal porte-t-il atteinte à la crédibilité du PTr ? Peut-il encore continuer avec ses allégations qui aujourd’hui n’ont plus de fondement légal ?
Il y a eu des irrégularités flagrantes et le Commissaire électoral a fait preuve d’un amateurisme déconcertant. Comme par exemple cette affaire de T-Square. Il y a un principe. Les urnes sont inviolables jusqu’au dépouillement. L’urne ne peut subir aucune, absolument aucune manipulation jusqu’au début du dépouillement. Or, peut-être en pensant bien faire, il a manipulé les urnes. C’est inacceptable. Un Commissaire électoral doit connaître les principes régissant l’organisation d’une élection dans une démocratie. Ceci dit, ce qui pourrait évoluer, c’est la vigilance des uns et des autres lors des prochaines élections. J’ose espérer que les mêmes erreurs ne se répéteront pas. 

Outre être avocat, vous êtes aussi un des dirigeants de Linion Moris, que proposez-vous pour améliorer le processus électoral ?
On a beaucoup de réformes à apporter. Sur le processus électoral, il faut d’abord un encadrement des partis. Que les partis puissent légalement, d’un point de vue juridique, exister, avoir une personnalité morale. Sans personnalité morale, un parti, en tant que tel, ne peut avoir de compte bancaire. Pour l’instant, il faut contourner la loi pour avoir un compte bancaire. Il faut légiférer sur le financement des partis politiques. Qui peut financer et à quelle hauteur ! Personne ne finance gratuitement ou sans avoir quelque chose en retour. Lorsqu’une entreprise « arrose » un parti, c’est pour être privilégiée par le gouvernement une fois ce parti au pouvoir. Nous avons des exemples. Il faut limiter le montant qu’une entreprise peut offrir à un parti. Il faut contrôler strictement les dépenses électorales. Chaque candidat doit avoir un compte de campagne dans lequel toutes les dépenses sont comptabilisées même les dépenses effectuées par son parti et dont il est le bénéficiaire. En cas de dépassement du montant autorisé, le juge (électoral) pourrait alors invalider l’élection et aussi prononcer l’inéligibilité du candidat qui a dépassé le montant autorisé. 

Parallèlement, il faudrait un encadrement plus global de notre démocratie : davantage de pouvoir à la Commission électorale, moins de pouvoir au Premier ministre notamment pour la fixation de la date des élections. Il faudrait adopter des dispositions pour que le juge puisse trancher le contentieux électoral dans un délai très court. 

On parle depuis plusieurs décennies de rendre plus transparent le financement politique. Jusqu’où devrait aller cette transparence ?
Il faut trancher la question du financement de l’étranger, des autorités étrangères. C’est quelque chose qui peut porter atteinte à notre souveraineté. Comme les entreprises, la puissance étrangère qui soutient un candidat ou un parti, c’est pour avoir des faveurs en retour au détriment de l’intérêt général. C’est aller à l’encontre de nos intérêts. Il faut absolument l’interdire. 

Par ailleurs, si on encadre le financement comme je l’ai indiqué, effectivement chaque parti doit avoir un véritable compte. Aujourd’hui, c’est sans comptabilité. Pour les partis habituels, ce sont des enveloppes d’argent qui circulent. En réalité, les dirigeants habituels n’ont pas trop envie qu’on ait un encadrement du financement des partis. Parce qu’avec le vide juridique actuel, c’est une véritable économie parallèle.

Le chef du parti se sert des dons remis au parti. C’est lui qui reçoit l’argent et il en fait ce qu’il veut. Le trésorier, dans les partis habituels, ne sont là que pour faire des appels aux dons, mais ils ne reçoivent pas les dons. Enfin, ce système légalise la corruption. L’entreprise favorisée pour avoir un contrat, un marché public, peut aisément faire une rétrocommission sous forme d’un don au parti. C’est de la corruption pure, mais déguisée en don au parti. C’est inacceptable. 

Il y a quelques mois, Pravind Jugnauth a affirmé qu’il compte revenir à la Chambre avec un texte de loi sur le financement politique. Un texte de loi avait déjà été présenté en 2019, quelques mois avant les élections générales, mais n’avait pas été passé au vote, faute d’une majorité de trois-quarts. Pensez-vous que les choses pourraient être différentes cette fois ?
Ce sont des réformes qu’on doit réaliser en tout début de législature, au début de l’ouverture du Parlement. Le faire à la veille des élections, c’est le moyen le plus sûr pour qu’elles ne soient pas adoptées. C’est fait exprès. C’est un moyen pour le gouvernement de de se dédouaner auprès des organisations internationales. Il dira qu’il a tenté la réforme, mais, faute de majorité, il n’a pas réussi. Ce n’est ainsi ni sa faute ni son manque de volonté. Non, en réalité, les partis habituels, que je qualifie de l’establishment, ont juste envie et l’intérêt de maintenir le statu quo. Ça les arrange.

 

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