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Pourquoi Maurice ne devrait pas sous-estimer la Chine ?

Quand, dans les années 70, Alain Peyrefitte écrivit son prophétique ouvrage « Quand la Chine s’éveillera … le monde tremblera », les sceptiques et anti-Chinois en général y trouvèrent une belle occasion de ricaner. Ceux-là doivent aujourd’hui rire jaune, même s’ils n’ont pas abandonné pour autant leurs préjugés tenaces.

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La Chine, fidèle à sa réputation millénaire de grand bâtisseur, bat à nouveau tous les records des superlatifs : première puissance économique mondiale en devenir, la Chine est le pays qui construit les plus gigantesques projets de la planète. Qu’il s’agisse du plus long pont sur mer – reliant Guangdong à Hong Kong et Macao, de réseaux ferroviaires transportant les trains les plus rapides au monde, de l’entreprise e-commerce la mieux cotée sur la Bourse de New York (Alibaba.com) ou encore des géants de l’économie digitale, à l’instar de Huawei et Tencent, – la Chine n’a pas fini d’étonner. Et ses admirateurs, comme ses détracteurs, n’ont encore rien vu. À travers la Belt and Road Initiative (BRI), soit la version moderne de « la route de la soie », la Chine entend engager l’Asie, l’Europe et l’Afrique dans « le plus grand chantier infrastructurel et de connectivité du siècle », dont le but avoué est de faciliter les échanges, à la fois économiques, commerciaux, culturels et populaires à une échelle « jamais encore atteinte dans l’histoire de l’humanité ».

Et les autorités chinoises entendent bien démontrer que la BRI n’est pas que de la rhétorique (voir plus loin : faits et chiffres). C’est dans ce contexte que s’est tenu le 19 septembre à Dunhuang, à l’invitation du Quotidien du Peuple, un Media Cooperation Forum on Belt and Road, regroupant quelque 300 journalistes, chercheurs et d’autres invités.

Dunhuang se trouve au Nord-Ouest de la Chine, aux confins de l’impitoyable désert du Gorbi. Il y a 2000 ans, cet endroit était le confluent de la route de la soie. Une voie de commerce de 3 000 miles de long, reliant la Chine à l’empire romain en passant par les mythiques cités de Samarkand et Bagdad. C’est la route empruntée par le Vénitien Marco Polo afin de faire découvrir aux Européens, à travers ses récits, les mille et une merveilles de l’Empire du Milieu – le pays qui a inventé, entre autres, le papier, l’imprimerie, le compas, la poudre à canon et la soie.

La Chine entend faire revivre la route de la soie, version globalisation 2.0, à travers la BRI.

Au Forum, Guy Zitter, Senior Adviser du Daily Mail, ne passe pas par quatre chemins. D’emblée, il s’affiche comme un « capitaliste enthousiaste » et affirme : « I am all for the Belt and Road Initiative ».

La raison : cette initiative encourage le commerce. Il en veut pour preuve le trajet ferroviaire qui relie la ville chinoise de Yiwu à Londres sur une distance de 12 000 kilomètres. Le transport des marchandises se fait en 16 jours, alors qu’il en faut 32 pour compléter le trajet par voie maritime. Zitter s’enthousiasme des projets infrastructurels entrepris par la Chine et déplore que ceux de longue haleine soient de moins en moins envisagés dans les démocraties occidentales en raison de la politicaille qui s’inscrit dans le court terme. Il note, non sans ironie, que les chantres du libéralisme économique (à la Trump ?) se réfugient derrière les barrières protectionnistes alors qu’il revient à la Chine socialiste de promouvoir le libre échange des biens et services, base de la prospérité globale.

Globalisation intégrante

Le développement infrastructurel et le libre-échange seront récurrents dans les débats. Avec un bémol de la part de Sylvie Matelly, directrice adjointe de l’Institut français de recherches internationales et stratégiques (IRIS). Elle rappelle les grands travaux d’infrastructures du plan Marshall qui ont permis à l’Europe d’après-guerre de se reconstruire. L’une des erreurs passées de la globalisation, dit-elle, a été l’exclusion. Aussi, pour faire face aux inégalités, il faut une globalisation intégrante qui prend soin des besoins des peuples et non des seuls intérêts des élites et des nations. Il faut une bonne gouvernance et des institutions régulatrices à la globalisation, sinon les déséquilibres risquent d’engendrer les mêmes crises financières, économiques et sociales. Il faut aussi diversifier les économies afin que les échanges ne soient pas à sens unique ou se limitent au commerce des matières premières.

La Chine entend faire revivre la route de la soie, version globalisation 2.0, à travers la BRI.

Le rédacteur en chef (international) du Monde, Christophe Ayad, abonde dans le même sens. Le projet de la route de la soie, c’est d’abord l’infrastructure. Qui contrôle
quoi ? Il y a des réactions xénophobes en Occident.  Certains pays doivent comprendre que la mondialisation n’est plus à leur service. Reste aussi des questions fondamentales : les populations locales sont-elles consultées dans le cadre des méga-projets ? Quel salaire paie-t-on en Éthiopie dans l’exécution des projets de coopération ? On peut lire Le Quotidien du Peuple à Paris mais on ne trouve pas Le Monde à Beijing. Le libre-échange de l’information doit aussi être à l’ordre du jour.

Les rédacteurs africains et arabes ont une perspective plus terre-à-terre, presque alimentaire. Mansour Abo Alazzm, Managing Editor d’Al-aharam, le mythique journal égyptien du monde arabe, intervient : « Je ne m’intéresse pas de savoir si la Chine va monopoliser ou conquérir l’Afrique (comme le veut une certaine propagande pro-occidentale). Mais quel profit nos peuples peuvent en tirer ? Les locaux ont des besoins concrets et urgents. Est-ce qu’une ligne ferroviaire qui aide à désenclaver des pays africains et leur donne la possibilité de s’ouvrir sur la mer pour commercer, tout en encourageant le développement économique sur les différents axes du tracé ferroviaire, est dans l’intérêt des peuples ? Ce sont les bénéfices tangibles qui intéressent nos populations ». Le Nigérien Abdul Gombe, Group Managing Director de Leadership, lui fait écho : « L’Afrique doit pouvoir saisir les opportunités offertes par la BRI, car cette initiative va de pair avec l’intégration économique de l’Afrique. »

Le Russe Alexander Lomanov, chef de recherches à l’Académie des sciences des études extrême-orientales, va encore plus loin. La BRI, c’est du concret. C’est un système ouvert, inclusif, auquel adhère la Russie. L’initiative cadre avec la globalisation de l’économie. Dans le fond, la BRI œuvre objectivement en faveur d’un ordre international plus équitable, martèle-t-il.

Certains think tanks occidentaux attribuent à la RBI l’objectif d’utiliser le surplus de capacités accumulées par la Chine afin de s’ouvrir des marchés, internationaliser la monnaie chinoise, le renminbi, et projeter sa soft-power. Les différents intervenants chinois, citant le président Xi Ping, parlent, eux, de développement accru axé sur les fondamentaux de la politique de coopération chinoise : partenariat, bénéfice mutuel et non-ingérence dans les affaires intérieures des pays. Ils soulignent aussi que la Chine n’a aucune base militaire à travers le monde… à l’exception de Djibouti.

Belt and Road Initiative

Faits et chiffres

  • La Belt and Road Initiative (BRI), lancée en 2013 par le président Xi Jinping, est constituée (i) d’une route de la soie maritime qui s’étend de la côte est de la Chine (la région la plus riche en raison du commerce) à la Méditerranée, en passant par Singapour (ii) de six espaces (corridors) économiques (voir illustration plus loin) qui s’étendent jusqu’à l’océan Indien.
  • La BRI vise à développer, en concertation avec les parties concernées, des infrastructures (routes, voies ferroviaires, ports, aéroports) afin d’améliorer la connectivité en vue d’encourager le commerce et les échanges, à moindre coût. Le montant des investissements se chiffre en trillions (mille milliards) de dollars.
  • Quelque 69 pays et une cinquantaine d’organisations internationales ont paraphé des accords de coopération avec la République populaire de Chine dans le cadre du projet BRI.
  • Pour notre région, l’Afrique du Sud et les Maldives sont parties prenantes du projet BRI, les deux étant membres fondateurs de l’AIIB (Asian Infrastructure Investment Bank), qui comprend quelque 57 États membres, dont plusieurs pays européens, l’Inde et l’Australie. La Chine y a fait une dotation de U$D 100 milliards, avec promesse de doubler la mise.
  • Outre des fonds publics et privés chinois, l’AIIB et le Silk Road Fund, lancé en 2014 avec une dotation chinoise de U$D 40 milliards, sont les moteurs financiers de la BRI.
  • Selon le Quotidien du Peuple, depuis le lancement de la BRI en 2013, un montant total de U$D 50 milliards a été investi dans divers projets. Le montant des transactions entre la Chine et les pays situés sur les routes commerciales de la BRI s’élève à U$D 3 trillions (trois mille milliards de dollars). Par ailleurs, de nouveaux contrats s’élevant à U$D 305 milliards ont été paraphés et sont en voie d’exécution.
  • À titre d’exemple, le China-Pakistan Economic Corridor, qui connecte Kashgar, ville située à l’ouest de la Chine, à la ville portuaire de Gwadar au Pakistan – quelque 2 000 miles plus loin – coûtera, à lui seul,U$D 46 milliards. À titre de comparaison, selon Times Magazine, les États-Unis ont dépensé U$D 33 milliards au Pakistan depuis 2002, dont les deux-tiers (en besoins militaires) au nom de la sécurité.
  • Les pays engagés dans la BRI, constituant 65 % de la population mondiale, possèdent les trois quarts des réserves énergétiques mondiales et constituent 60% du PNB de la planète.
  • Selon Rajiv Biswas, économiste en chef pour la région Asie-Pacifique de IHS Markit, « the scale of China’s Belt and Road Initiative could eclipse the role of the G-7 or G-20 Forums as a new framework for stimulating infrastructural development in low income developing countries ».
 

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