Politique

Pravind Jugnauth : «Je ne peux me porter garant pour tout le monde»

Le Premier ministre, Pravind Jugnauth Le Premier ministre, Pravind Jugnauth, a animé une conférence de presse le vendredi 23 mars.

Le Premier ministre s’est décidé à instituer une commission d’enquête sur les circonstances ayant mené à l’institution d’une commission d’enquête par la présidence, la semaine dernière. Concernant la nomination du prochain président, Pravind Jugnauth soutient « qu’aucune décision n’a encore été prise ».

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Attributions de la commission d’enquête

  • Établir si l’ex-présidente de la République a oui ou non violé l’article 64 de la Constitution lorsqu’elle a annoncé l’institution d’une commission d’enquête, le vendredi 16 mars.
  • Déterminer les raisons pour lesquelles la présidence n’a pas consulté le Conseil des ministres et le bureau de l’Attorney General avant d’instituer une commission d’enquête.
  • Voir s’il y a eu usurpation du pouvoir.
  • Faire la lumière sur la participation de conseils légaux ou autres personnes dans la rédaction des attributions de la commission d’enquête (instituée par la présidence).
  • Établir les circonstances ayant mené à la nomination de sir Hamid Moollan comme président de la commission d’enquête et les circonstances ayant mené à la démission d’Ameenah Gurib-Fakim, tout en situant le déroulement des événements entre le 6 et le 17 mars.
  • Déterminer si le bureau de la présidence a été utilisé de manière inappropriée.
  • Déterminer si l’article 64 de la Banking Act a été violé.
  • Faire des recommandations sur les lois existantes. Par exemple, établir s’il y a eu usurpation de la loi publique. La commission devra aussi se pencher sur l’article 30 de la Constitution concernant les actes illégaux ou les mauvaises conduites d’un Président ou d’un vice-Président.

À l’heure des questions

« Il est bon de donner à l’ancienne Présidente le droit et l’occasion de s’expliquer. »

Qui présidera la commission d’enquête ?
Nous sommes en train de finaliser les Terms of Reference (attributions) de la commission. Nous n’avons pas encore arrêté notre choix.

Quand la commission démarrera-t-elle ses travaux ?
Nous souhaitons qu’elle siège au plus tôt. Ce n’est plus qu’une question de jours pour finaliser les Terms of Reference.

Pourquoi ne pas avoir inclus l’affaire Alvaro Sobrinho dans les attributions de cette commission d’enquête ?
J’ai fait mieux. Une commission d’enquête reçoit toutes les informations et fait des recommandations. Ce n’est qu’après qu’on détermine s’il y a matière à enquêter et qu’on envoie le tout à une autorité : l’Icac (Independent Commission against Corruption ; NdlR) ou la police. Beaucoup de gens disent qu’ils disposent d’éléments dans l’affaire Sobrinho. Qu’ils aillent à l’Icac, l’instance verra s’il y a matière à poursuite.

Les informations troublantes que vous affirmez disposer, vous les donnerez à l’Icac ou à la commission d’enquête ?
Je n’ai pas dit que j’avais des informations troublantes. J’ai dit que des informations ont été publiées dans les médias, mais que j’avais d’autres informations. C’est en me basant sur cela que j’ai fait des reproches à Madame Fakim. C’est pour cela que j’ai dit qu’il fallait qu’elle démissionne. L’enquête dira si cela est correct.

Une enquête de l’Icac suffira-t-elle ?
Nous avons choisi d’instituer cette commission d’enquête puisque l’ex-Présidente avait au départ initié une commission. Elle a dit qu’elle souhaitait que la vérité sorte. Il est bon de donner à l’ancienne Présidente le droit et l’occasion de s’expliquer. J’ai entendu dire qu’elle avait des révélations à faire sur certaines personnes.

Où lui conseillerez-vous de déposer ?
Je ne suis pas son conseiller. Mais puisque la commission d’enquête est là, ce sera la plateforme idéale où l’ancienne présidente pourra dire ce qu’elle souhaite. Mais si elle a des choses concrètes qui tombent sous la PoCA (Prevention of Corruption Act ; NdlR), elle peut toujours saisir l’Icac ou se tourner vers la police.

Vous avez pris soin de séparer les affaires Platinum Card et Sobrinho. Inclure l’affaire Sobrinho dans les attributions de la commission d’enquête pourrait-il déstabiliser votre gouvernement ?
On parle de déstabiliser le gouvernement depuis que nous avons gagné les élections. Je suis fatigué d’entendre cela. Ma conscience est claire. Lorsque je faute, j’assume mes responsabilités. Je l’ai démontré lorsque la cour intermédiaire a rendu son jugement : j’étais parti. Lorsque j’ai vu qu’il n’y avait aucun reproche contre moi, je suis retourné. Je n’ai peur de personne, je n’ai rien à me reprocher.

C’est devenu un passe-temps pour certaines personnes de dire des choses à gauche et à droite. S’il y a une chose que j’apprécie vraiment, c’est d’avancer des preuves contre moi lorsqu’on m’accuse. On a laissé entendre dans un journal, sans mentionner mon nom, que j’ai bénéficié de voitures. À ces personnes, je leur donne une occasion en or de faire leurs accusations devant les autorités.

Avez-vous la garantie que nul au sein de gouvernement n’a bénéficié de la moindre faveur ?
Je ne peux avoir d’assurance sur tout ce qui s’est passé. Comment puis-je donner ce genre d’assurance ? Je ne peux me porter garant pour tout le monde. Je peux parler pour moi. Mais valeur du jour, je n’ai aucune raison de suspecter quiconque. Si on me donne de la matière, j’agirai. Je ne peux me baser sur des généralités. Je ne peux mettre ma main au feu pour les autres.

Souhaiteriez-vous que l’Icac agisse vite ?
J’ai reçu une lettre le 20 mars. Un officier de mon bureau a remis cette lettre à l’Icac le 22 mars. Maintenant je n’ai aucun contrôle sur l’Icac.

Ne serait-il pas plus juste d’inclure l’affaire Sobrinho dans les attributions de la commission d’enquête ?
J’ai suivi cette affaire depuis le commencement. Je laisse l’enquête se faire dans les plus brefs délais. Nous verrons s’il y a matière à poursuivre en justice. Nous saurons si certains bluffent simplement.

Comptez-vous déposer ? Et  les auditions seront-elles publiques ?
Je ne vois pas pourquoi la commission ne siégerait pas en public. Peut-être que certaines parties des auditions seront à huis clos. Mais en principe, je n’y vois aucun problème. Tous les documents en notre possession et qui seront bénéfiques à l’enquête seront mis à la disposition de la commission. Et il est probable que j’irai déposer.

Envisagez-vous de modifier la loi concernant la démission de la Présidente ?
Mo pa get quoi que ce soit. Je laisse cela à la commission. Il faut voir si la loi est suffisante. La situation qui vient de se produire est unique. C’est à la lumière des observations de la commission que nous verrons s’il faut ou non modifier la loi.

Avez-vous conscience que l’image du pays a pris un sale coup avec cette affaire ? Quelle sera la stratégie du gouvernement pour rectifier le tir ?
L’image du pays a été affectée. Ce n’est pas joli. Nous avons eu droit à une situation où le Premier ministre et le Président n’étaient pas sur la même longueur d’onde. Le pire c’est ce qui s’est produit après ma dernière rencontre avec la Présidente. Précisons une chose : tous ces événements démontrent que nous ne nous cachons pas.  Lorsque la loi est bafouée, nous agissons.

Pensez-vous que votre autorité morale s’est renforcée dans cette affaire ?
Je ne vois pas les choses ainsi. Je suis un Premier ministre et j’agis selon mes responsabilités. Je suis très attristé pour mon pays. Lorsque nous assumons des responsabilités, il ne faut pas dépasser nos limites.

Ivan Collendavalloo approuve-t-il l’institution de cette commission ?
Je rappelle que sa mission à l’île de La Réunion avait été planifiée depuis longtemps. J’avais également été invité, mais mon calendrier chargé ne me permettait pas de faire ce déplacement. J’ai eu une conversation avec Ivan Collendavelloo avant qu’il ne prenne l’avion. Oui, nous sommes sur la même longueur d’onde.

Le Muvman Liberater (ML) participera-t-il au choix du Président ?
Tout le monde sait que c’est le ML qui a proposé le nom d’Ameenah Gurib-Fakim à la présidence. Nous en avions discuté et nous sommes tombés d’accord. Mais nous verrons…

Y a-t-il eu une désillusion concernant Ameenah Gurib-Fakim ?
J’appréciais bien Madame Fakim. Mais je dois admettre que j’ai été déçu par son comportement. Je ne m’attendais pas à ce type de comportement.

Quand comptez-vous nommer le prochain Président ?
Nous verrons, il faut en discuter.

Le prochain Président sera-t-il une femme ?
Je ne sais pas. Je suis franc : je n’en ai pas encore discuté avec mon partenaire.

Nommerez-vous le prochain Président en fonction de vos options politiques ?
Je peux comprendre qu’il y ait des spéculations. Rien n’a encore été discuté au niveau du gouvernement.

Le MSM aura-t-il le dernier mot concernant le choix du prochain Président ?
Pour moi, ce n’est pas une question de dernier mot pour le MSM. La dernière fois, nous avions dit au ML de choisir. Dans le fonctionnement du gouvernement, ce n’est pas une question de MSM ou du ML.

Le prochain Président sera-t-il musulman ?
Je ne peux prendre ce genre d’engagement tant que cela n’a pas été discuté.

Devra-t-il avoir un bagage intellectuel et légal ?
Le prochain Président devra avoir un certain niveau. Tous les anciens Présidents avaient un niveau. Un Président doit connaître ses attributions selon la Constitution. Tout le monde doit connaître ses responsabilités.

Les déclarations d’Ivan Collendavelloo concernant Ameenah Gurib-Fakim n’ont-elles pas embarrassé le gouvernement ?
Il y a deux choses : Ivan Collendavelloo s’est exprimé sur les compétences d’Ameenah Gurib-Fakim. Mais il a aussi reconnu qu’elle avait fauté.

Que considérez-vous le plus grave, les allégations sur Alvaro Sobrinho ou la polémique autour de la présidence ?
Tout est grave. Vous imaginez un membre du gouvernement ou un de ses proches bénéficier de faveurs ? C’est extrêmement grave.

Maurice et ses commissions d’enquête

L’institution d’une commission d’enquête pour faire la lumière sur des malversations ou la mauvaise gestion d’institutions gouvernementales est une pratique à laquelle le gouvernement a souvent recours. On se souvient de la commission Rault instituée en 1986 après l’arrestation de quatre parlementaires mauriciens à l’aéroport de Schiphol, à Amsterdam, le 29 décembre 1985, avec de la drogue dans les bagages de l’un d’eux.

D’autres commissions d’enquête ont ensuite été instituées, notamment sur le Sale By Levy et la mort de deux enfants au Waterpark de Belle-Mare. Mais celle qui aura suscité le plus de passion fut celle instituée pour faire la lumière sur les émeutes qui ont éclaté après la mort en cellule de Kaya, en février  1999. Cette commission, présidée par Keshoe Parsad Matadeen, avait émis des critiques contre l’ancien Premier ministre, Navin Ramgoolam et l’ancien Attorney General, Rama Valayden.

Avec l’institution de la commission d’enquête annoncée vendredi, il s’agit de la troisième depuis 2014. Il y a eu une commission sur la drogue présidée par l’ancien juge Paul Lam Shan Leen, qui vient de boucler ses travaux, ainsi que celle sur Britam, présidée par l’ancien juge Bhushan Domah qui siège encore.


Le PM sur l’affaire Sobrinho : « Avec l’enquête de l’Icac, nous saurons qui bluffe »

À la suite des diverses allégations faites autour de l’homme d’affaires angolais Alvaro Sobrinho et suivant une lettre de dénonciation qui a atterri au Prime Minister’s Office (PMO), Pravind Jugnauth a décidé de confier tout le volet ayant trait à Alvaro Sobrinho à l’Independent Commission against Corruption (Icac).

C’est le 20 mars que cette lettre a été transmise au Premier ministre. Un officier du PMO l’a remise à l’Icac pour l’ouverture d’une enquête. « Je souhaite que la lumière soit faite sur les accusations et allégations parues dans la presse. Avec l’enquête de l’Icac,

nous saurons qui bluffe », a déclaré Pravind Jugnauth. Le PMO a demandé à l’Icac de s’intéresser à l’utilisation de la Platinum Card par l’ancienne Présidente et les faveurs qui auraient été accordées par Alvaro Sobrinho à certaines personnalités mauriciennes.

Les circonstances entourant l’allocation de licences bancaires à Alvaro Sobrinho feront aussi l’objet d’une enquête. Le chef du gouvernement indique que les dénonciations qui lui sont parvenues font état de biens immobiliers dont auraient bénéficié des hommes politiques à Maurice comme à l’étranger. « J’invite tous les Mauriciens disposant d’éléments d’information à déposer devant l’Icac », exhorte Pravind Jugnauth.


Commission d’enquête sur Gurib-Fakim - Ramgoolam : « Le PM dévie l’attention »

Navin Ramgoolam n’a pas été tendre envers Pravind Jugnauth. Il accuse le chef du gouvernement de vouloir dévier l’attention sur l’ex-Présidente de la République Ameenah Gurib-Fakim en instituant une commission d’enquête sur sa décision de nommer une commission d’enquête sur les liens entre l’homme d’affaires angolais Alvaro Sobrinho et des membres du pouvoir.

Intervenant à l’issue d’une cérémonie en mémoire à sir Satcam Boolell à Cipaye Brûlée, Vallée-des-Prêtres, dans l’après-midi du vendredi 23 mars, l’ancien Premier ministre a déclaré que le « Premier ministre semble avoir peur » de connaître toute la vérité sur les cercles d’influence d’Alvaro Sobrinho.

« Méga-scandale »

« Il est en train d’instituer une commission d’enquête sur une commission d’enquête mais pas sur Alvaro Sobrinho. La société civile et les ONG doivent demander à ce que la lumière soit faite sur ce méga-scandale. Li pe divert attention », a lancé le leader du Parti travailliste. 

Navin Ramgoolam s’interroge aussi sur les menaces de Pravind Jugnauth contre Ameenah Gurib-Fakim la semaine dernière lorsque celle-ci avait laissé comprendre qu’elle s’accrocherait à son poste. « Linn dir li konn zafer lor prezidan. Kifer li pa dir ? Li pe divert attention… Est-ce aujourd’hui qu’il est au courant qu’elle enfreignait la Constitution ? Il l’a toléré. Il aurait pu mettre sur pied un tribunal spécial contre elle. Pourquoi avoir attendu qu’elle parte ? Il a peur d’une commission d’enquête sur Alvaro Sobrinho », soutient l’ancien Premier ministre.

De l’avis de Navin Ramgoolam, la commission d’enquête que Pravind Jugnauth instituera « pa pou amenn gran soz ». « Il essaie de démontrer qu’Ameenah Gurib-Fakim a tenté de déstabiliser son gouvernement. Les Mauriciens, eux, souhaitent toute la vérité sur l’affaire Sobrinho. Seule une commission d’enquête est en mesure de les éclairer car des preuves auraient pu être mises en avant », a-t-il dit, en se montrant peu convaincu que l’Independent Commission against Corruption pourra apporter des résultats sur l’homme d’affaires. « Nou bizin kone kifer li per », a conclu Navin Ramgoolam.

 

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