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Professeur (Dr) Vinayagum Chinapah : «Nous avons un système éducatif trop centré sur la performance»

Le Professeur (Dr) Vinayagum Chinapah était en visite sur son île natale au début de cette année. Avant de repartir, il nous a livré ses impressions sur le système éducatif mauricien et n’a pas manqué de faire des propositions pour l’améliorer. 

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Professeur (Dr) Vinayagum Chinapah, vous avez un long parcours dans le domaine éducatif. Dites-nous ce qui vous a motivé pour arriver là où vous êtes aujourd’hui ?

C’est l’image de mon père qui m’a beaucoup aidé à comprendre comment une personne habitant dans un village (Moka) pouvait gérer ses responsabilités. Mon père travaillait comme messager à la banque, passant là-bas ses journées du matin au soir. Il était également secrétaire de la coopérative de boutiques de Moka et secrétaire de l’église tamoule de l’île Maurice, bien qu’il ait seulement fait quatre ans d’école. J’étais inspiré par sa capacité à concilier toutes ces responsabilités, y compris le nettoyage des champs de cannes à 3 heures du matin. Malgré ses 10 enfants, ma mère, femme au foyer, ne savait ni lire ni compter. Cependant, c’est à elle que nous devons d’être là où nous sommes aujourd’hui, grâce à l’amour d’une mère pour ses enfants. À l’époque, l’amour maternel comblait tout, même s’il y avait peu de ressources à la maison.

Mon père m’a inspiré, car il connaissait beaucoup de choses. Il était mon rôle modèle. Nous traversions des difficultés. Pour mes études secondaires, je devais vivre avec mon frère à Canal Dayot pour fréquenter le collège Trinity de Port-Louis. Toutes les données semblaient défavorables à la réussite dans la vie. Je n’étais pas lauréat, venant d’un village et d’une famille modeste. À mon arrivée à Port-Louis, on me considérait comme un villageois à cause de ma prononciation différente de celle des citadins. De plus, je redoublais ma (Form IV), mon père me surnommait « repeater ». J’étais mal dans ma peau, ma sœur me surnommait « zoulou » en raison de ma peau plus foncée au sein de la famille.

Après avoir obtenu mon HSC, je suis devenu enseignant à l’âge de 19 ans et principal de collège à 21 ans au collège Stradford de Port-Louis. En même temps, je suis devenu membre du parti politique Mauritius Youth Socialist Movement (MYSM), avant même l’existence du MMM. Il s’agissait d’enseignants offrant gratuitement des leçons aux enfants pauvres de Port-Louis. Puis, lassé du capitalisme, j’ai quitté le pays à  22 ans. Je ne voulais pas rester, mais j’y suis retourné et j’ai travaillé avec presque tous les ministres de l’Éducation en donnant mon point de vue. Aujourd’hui, je suis un professeur émérite à la retraite à Stockholm. J’ai également obtenu mon doctorat là-bas et travaillé à l’UNESCO. Tout au long de mon parcours, j’ai connu le succès, mais pas sans difficultés. Mon parcours démontre que je n’ai jamais abandonné mon pays natal. Grâce à mon expérience, j’ai aidé plusieurs ministres de l’Éducation à Maurice et mené des projets de recherche.

Attendre la fin d’un examen d’une heure pour réaliser qu’un enfant n’a rien appris n’est pas une pédagogie." 
 

Étant un professionnel de l’Éducation, quelles sont vos appréciations sur le Nine Year Continuous Basic Education ? 

La réforme de l’éducation qui est arrivée en 2017 avait déjà été envisagée. Il était écrit dès le début des années 1980, au Mauritius Institute of Éducation (MIE), à l’époque, et c’est Suren Bissoondoyal qui avait présenté le premier papier sur les neuf années de scolarité. Mon sujet de thèse porte précisément sur la réforme de l’éducation en vue de résoudre les problèmes d’égalité des chances. Il n’y a rien d’inédit dans la réforme, mais qu’est-ce qui est nouveau ? Ce qui est le plus important pour le succès des neuf années de scolarité, c’est le suivi, comprendre pourquoi l’enfant n’arrive pas à maîtriser les compétences de base. Si un enfant ne peut pas écrire une phrase, il faut comprendre pourquoi. Attendre la fin d’un examen d’une heure pour réaliser qu’un enfant n’a rien appris n’est pas une pédagogie, ce n’est pas une méthode. La réforme des neuf années de scolarité signifie qu’à l’âge de 13 ou 14 ans, l’enfant doit maîtriser les compétences de base telles que la lecture, l’écriture, et le calcul sans examen, mais avec un suivi. Personne n’est obligé de subir la terreur des examens. La réforme d’aujourd’hui est nécessaire, mais il faut avoir un esprit ouvert.

Nous avons une pédagogie qui n’est pas centrée sur l’enfant, mais sur la connaissance."
 

Croyez-vous que chaque enfant peut réussir sa scolarisation ?

Bien sûr, je suis le modèle et j’ai rencontré beaucoup de mes amis mauriciens qui sont devenus ministres, CEO, entre autres. Chaque enfant a le potentiel de s’épanouir, mais s’il évolue dans un environnement peu favorable et manque de soutien, sa réussite pourrait être compromise. Un enfant qui n’a pas de livres à la maison pose un problème, car il ne pourra pas lire. Si vous n’apprenez pas dans votre langue maternelle, vous avez un handicap linguistique. Nous avons une pédagogie qui n’est pas centrée sur l’enfant, mais sur la connaissance. Pourquoi ne pas observer comment les choses se font ailleurs et les appliquer chez nous ?

Quelles sont donc les stratégies pédagogiques à mettre en œuvre pour favoriser la réussite de chaque élève ?

Il faut une approche holistique. La réussite de l’enfant ne se limite pas uniquement à la partie cognitive. Il y a également la dimension émotionnelle, relationnelle et l’engagement dans des activités sportives. C’est une combinaison de différentes caractéristiques qui permet à l’enfant de réussir. Malheureusement, on accorde souvent peu d’attention à l’enseignant. Il est essentiel d’avoir des programmes de formation continue pour les enseignants, afin qu’ils puissent persévérer dans leur apprentissage. La stratégie consiste à appliquer de nouvelles méthodes d’enseignement, basées sur la relation entre l’élève et l’éducateur. Toutes les études que j’ai consultées indiquent que les élèves parlent de leur relation avec leurs enseignants, mettant en lumière des aspects émotionnels. L’enseignant doit être avant tout un être humain, et cela est confirmé par les recherches. Ce phénomène est le même à Maurice et à l’étranger.

Notre pays a tout pour réussir et être un modèle."
 

Chaque élève a un potentiel académique, mais comment gérer les différences individuelles parmi les élèves ?

Être à l’écoute, observer, avoir des échanges et faire du travail en groupe encourage les élèves. Ainsi, ceux qui sont en retrait dans la classe seront incités à participer. Entre eux, ils vont montrer de l’intérêt et, à travers le partage, ils progresseront collectivement. Chacun apprend de l’autre, ce qui crée une communauté d’apprenants.

Quelles sont les mesures mises en place pour soutenir les élèves en difficulté et garantir leur réussite académique ?

Généralement parlant, on a fait très peu à Maurice et dans les pays en voie de développement, comparé à d’autres nations. Il faut instaurer une politique d’intégration, mais nous avons un système tellement centré sur la performance. Ceux qui rencontrent des obstacles ne bénéficient pas d’un soutien adéquat et la situation s’aggrave, alors que dans d’autres pays, il existe une intégration plus saine. Lorsqu’on parle d’enfants en difficulté, il ne s’agit pas uniquement d’enfants handicapés, car il existe d’autres sources de problèmes.

Comment abordez-vous les obstacles socio-économiques qui peuvent influencer la réussite scolaire des élèves ?

Tout d’abord, une éducation de qualité pour tous les enfants, afin que l’école devienne le garant d’une société libre et équilibrée. Les difficultés socio-économiques existent, car il y a des enfants qui n’ont rien et qui dorment par terre, qui vont se coucher le ventre vide. Il est nécessaire de régler ce problème fondamental. Avant de proposer toute réforme, il faut identifier les difficultés et comprendre quelles en sont les causes. Cela ne peut pas se faire tout seul. Il faut impliquer la voix de toute la communauté : parents, élèves, enseignants, gestionnaires et tous les partenaires.

Comment mesurez-vous le succès éducatif de vos élèves, et quelles mesures spécifiques mettez-vous en place pour garantir un suivi continu de leur progression ?
 

Il faut garantir un suivi de près de l’enfant, identifier les difficultés au fur et à mesure et apporter des solutions. Il ne faut pas faire l’erreur de penser que c’est un examen qui juge le succès d’un enfant. Ce n’est pas cela, c’est la totalité de son parcours, de ce qu’il a appris. La partie essentielle est bonne pour la suite de ses études, mais il faut aussi viser la réussite individuelle. Il faut également faire confiance à l’enfant.

Le mot de la fin

Avant de proposer toute réforme, il faut identifier les problèmes et comprendre quelles en sont les causes."
 

Je souhaite pour mon île que les gens arrêtent de rêver et cessent de blâmer leurs camarades pour ce qu’ils ne font pas eux-mêmes. Dans le système éducatif et dans son ensemble, beaucoup accusent les autres. Il faut arrêter et faire ce que vous pouvez à votre niveau, chercher à trouver l’amour pour l’éducation, la tolérance et le respect de l’autre, ce sont des valeurs humaines importantes. Notre pays a tout pour réussir et être un modèle. Posons-nous la question : si l’ego n’a pas pris le dessus ? C’est ça le gros problème. Si nous pensons que tous les enfants sont aussi nos enfants, nous allons avancer.


PROFIL : Professeur (Dr) Vinayagum Chinapah

Vinayagum Chinapah est professeur émérite, ancien titulaire de la chaire et directeur de l’Institute of International Éducation (IIE) au sein du Département d’éducation de l’Université de Stockholm, Suède, jusqu’à sa retraite en 2017. Il a également occupé le poste de directeur du Programme inter-agences conjoint UNESCO-UNICEF pour le suivi de la qualité de l’éducation et des réalisations d’apprentissage au siège de l’UNESCO à Paris, couvrant environ 80 pays dans le monde entre 1992 et 2006. En outre, le professeur Chinapah a travaillé en tant que conseiller éducatif régional de l’UNESCO pour les États arabes au bureau régional de l’UNESCO à Beyrouth, Liban (2007-2008), avant de revenir pour diriger l’IIE-Université de Stockholm en janvier 2009.

Au cours de ses 45 années de carrière, il a mené des recherches, des formations, des renforcements de capacités et des consultations pour plusieurs organismes des Nations Unies (UNESCO, UNICEF, PNUD, FAO), des organisations internationales (Banque mondiale, OCDE), des organismes bilatéraux (SIDA, Finnish CIMO, CIDA, Secrétariat du Commonwealth) et plusieurs gouvernements et institutions nationales dans environ 145 pays du monde. Il a joué un rôle clé en tant que conseiller spécial pour les réformes éducatives à Maurice (Mauritius Master Plan of Eduation), en Chine (récente stratégie éducative en faveur des pauvres avec les ODD), en Égypte, au Sultanat d’Oman, en Jordanie et dans l’ancienne République de Yougoslavie, entre autres.

En tant qu’académicien, le professeur Chinapah a supervisé plus de 70 doctorants et près de 600 étudiants en maîtrise avec succès depuis 1981 jusqu’à aujourd’hui. Il a également écrit et publié abondamment au cours de ses 45 années de carrière professionnelle et universitaire. En 2023, le professeur Chinapah a été récompensé par le prix MINGUYAN Éducation pour ses travaux dans le domaine de l’éducation internationale et comparative, tant en Chine qu’à l’échelle mondiale.
 







 

 

 

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