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Prostitution: quand les étrangers se laissent tenter

Près d’un million de touristes débarquent à Maurice chaque année. Une manne financière de plusieurs milliards de roupies par an. Le Trafficking in Persons Report 2016 publié par le département d’état américain affirme que Maurice serait une destination de tourisme sexuel. Qu’en est-il dans la réalité ?

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Destination plutôt familiale, Maurice attire des touristes en tout genre : tourisme haut de gamme, jet setters, globe-trotters… Cependant, à la nuit tombée, c’est un tout autre visage de Maurice qui séduit les visiteurs : la prostitution. C’est principalement dans des lieux touristiques que certaines femmes font le trottoir pour se faire plus d’argent. Le village de Grand-Baie est l’exemple d’une région où les habitants vivent la nuit. À la première intersection, un taxi approche une femme. Le client, étranger, entame la négociation. Cinq minutes plus tard, l’affaire est conclue, la femme monte à bord.

Sur le trottoir se trouve Sharone (prénom fictif). Elle n’habite pas le Nord, mais explique pourquoi elle a choisi cette région pour vendre ses charmes.« Les filles n’habitent pas toutes Grand-Baie, mais nous aimons venir ici, car la nuit est très mouvementée dans la région. Il y a tout ce qu’il faut pour passer une bonne soirée, en termes de musique, de nourriture ou de filles. »

Chiffres-clés

 

 

Selon la police, six personnes ont été arrêtées pour des cas de prostitution, de janvier à mai 2016, contre 12 en 2015. Maisons closes : trois personnes ont été arrêtées en 2015, et une seule depuis début 2016.

À Grand-Baie, les clients sont souvent des touristes. Sharone finira par avouer qu’elle préfère les étrangers aux Mauriciens. « Les clients mauriciens que nous rencontrons sont parfois violents et ne veulent pas payer. Les étrangers sont polis et nous traitent bien. On a rarement des problèmes avec eux. Je ne prétends pas que cela n’arrive jamais, car certaines filles ont vécu l’enfer avec des étrangers, ivres. » Sa voisine de trottoir, elle, se dit déçue du comportement de certaines filles… À cause de ces dernières, certains touristes préfèrent garder leurs distances. « Certains veulent nous connaître avant de retenir nos services. Les touristes ont également connu les pires situations. » La capitale aussi attire de plus en plus de visiteurs. Nous nous rendons au jardin de la Compagnie, qui s’est créé une réputation en matière de prostitution. Il est minuit et Karen vient de laisser partir un touriste français… Et ce n’était pas de gaieté de cœur.

Généreux étrangers

« Un Français vient de m’accoster pour me demander de le suivre à Grand-Baie pour passer la nuit avec lui. Le problème, c’est que je suis maman de deux enfants. Je dois être rentrée avant 5 heures du matin. Je préfère de loin les étrangers, car ils sont là uniquement pour le plaisir. Une fois la passe terminée, ils paient et partent sans faire d’histoire. Ils ne se laisseront jamais aller à insulter les filles », témoigne-t-elle. Les étrangers, ajoute la jeune femme, se montrent plus généreux. « Le prix d’une passe pour un étranger varie entre Rs 1 500 et Rs 10 000 la soirée ». Flic-en-Flac est une autre station balnéaire à la réputation sulfureuse. Nous y rencontrons John, un Tanzanien venu se détendre chez nous. Il nous confie que ses amis sortent souvent avec les prostituées de la région. « Avant de débarquer, j’avais compris qu’on pouvait trouver de belles filles chez vous. Cependant, je n’ai jamais retenu les services d’une prostituée. Des amis le font chaque fois qu’ils débarquent à Maurice. »

Forcées par des proches

Est-ce que Maurice serait, au bout du compte, une destination du sexe ? C’est ce que suggérerait le Trafficking in Persons Report 2016, publié par le département d’État américain début juillet. « Maurice est une source, une zone de transit et une destination pour les hommes, les femmes et les enfants soumis au travail forcé et à la prostitution », lit-on dans le document. Le rapport révèle aussi que des filles de toutes les régions sont forcées de se prostituer par des proches ou des hommes d’affaires.

Autre point soulevé : des chauffeurs de taxi agiraient comme intermédiaires pour pédophiles. Ainsi, les enfants des prostituées seraient souvent impliqués dans la prostitution à un très jeune âge. Une réalité confirmée par la ministre de l’Égalité des genres, Aurore Perraud.

C’était lors du lancement de l’Académie des parents à Roche-Bois, le dimanche 3 juillet. Elle avait profité de l’occasion pour affirmer que son ministère mènerait une lutte sans merci contre la prostitution infantile. « Ce problème existe à Maurice. Quand nous sommes avertis d’un cas, nous intervenons aussitôt. Le ministère a dégagé une vision d’ensemble de la lutte contre ce fléau… »

Qu’en pensent les acteurs du secteur touristique ? Ajay Jhuree, président de l’Association des tour-opérateurs, est catégorique : « Il ne faut pas qualifier Maurice de destination de prostitution. Ce phénomène existe dans plusieurs pays. Ce n’est certes pas le tourisme qui a encouragé la prostitution », dit-il (Voir hors-texte). Il est rejoint dans ses propos par le sociologue Ibrahim Kooduruth qui estime que le rapport américain « fait dans la manipulation de l’opinion publique ». « Quand vous examinez le rapport, il n’y a rien de nouveau. Le document vaut ce qu’il vaut, je n’y accorde aucune importance. Il n’y a pas que les touristes qui vont vers les prostituées : il y a aussi des Mauriciens. Il ne faut pas lier ce rapport au tourisme sexuel. Ce serait un amalgame dangereux. »

Autre son de cloche du côté de Rajesh Gutteea, président des Forces vives de Trou-aux-Biches. Il dit être témoin de beaucoup de choses louches qui se trament sur le littoral nord. « Il y a bien un problème de prostitution. Beaucoup de touristes viennent en famille à Maurice, d’autres viennent seuls. Ils connaissent les lieux de prostitution mieux que les Mauriciens : salons de massage, guest houses, entre autres. » Derrière les décors de rêve et les paysages paradisiaques se cache donc un trafic inquiétant. Un combat sans relâche contre le trafic humain, comme le prônent les Nations Unies, permettrait d’éliminer cette forme de tourisme.  


Shiva Coothen, du Police Press Office: « Quand cela concerne les touristes, les choses se compliquent »

 Shiva CoothenQue fait la police pour lutter contre le tourisme sexuel ?
La loi est la même pour tout le monde. Cependant, quand la prostitution concerne les touristes, les choses se compliquent. Nous ne devons pas oublier que le secteur du tourisme est un pilier de l’économie. Nous ne devons pas perturber la tranquillité des hôtels en menant des perquisitions. C’est parfois hors de notre contrôle. Si la prostitution se passe entre quatre murs, on ne le saura jamais. Bien sûr, lorsque nous avons des informations précises, nous agissons. Toutefois, quand des mineurs sont impliqués dans ce trafic humain, nous intervenons sans attendre.

Et la prostitution en général ?
Nous avons mis en place un système pour combattre la prostitution en général. Nous menons une campagne de « sanitization » dans certaines régions où la prostitution existe. Nous le faisons pour rétablir l’ordre et assurer la sécurité des gens. Il ne faut pas oublier que les cas de prostitution sont souvent associés aux fléaux de la drogue, du vol, entre autres.

Et quand des mineurs sont impliqués ?
Nous traquons les réseaux où des mineurs sont impliqués dans la prostitution. Récemment, nous avons démantelé un réseau dans la région Est. Dans ce genre de cas, la police agit sans attendre.  


Ajay Jhurry, président de l’Association des tour-opérateurs: « Le rapport du département d’État américain porte atteinte à la destination Maurice »

Pour Ajay Jhurry, président de l’Association des tour-opérateurs (ATO), la situation à Maurice ne diffère pas de celles d’autres pays, lorsqu’on évoque la prostitution. Il soutient qu’il serait faux de dire que Maurice est une destination de prostitution. « Il suffit d’examiner les arrivées touristiques : ce sont principalement des touristes en couple ou en famille qui viennent à Maurice pour profiter de nos plages et du soleil. Il y a peut-être des touristes qui viennent pour la prostitution, mais le nombre est moindre par rapport au nombre de touristes qui visitent l’île. Maurice n’a pas cette identité de tourisme sexuel. » Le rapport du département d’état américain, indique-t-il, porte gravement atteinte à la destination Maurice. « C’est très grave. Cela incitera les tour-opérateurs internationaux à réfléchir avant de vendre notre destination.»

Cependant, on aurait tort d’ignorer le contenu de ce rapport qui mentionne aussi les efforts (et les lacunes) des autorités pour lutter contre la prostitution. Il invite les tour-opérateurs à se remettre en question. « Comme opérateurs, nous devons être responsables en mettant en avant le Responsible Tourism. Nous devons mettre la main à la pâte pour éradiquer ce phénomène », qui existe bel et bien à Maurice et qui représente un défi. « C’est un problème lié à la morale et à l’éducation civique. Les autorités et autres parties prenantes doivent sensibiliser les gens qui se laissent tenter. »  


Sea, sun and sex

ProstitutionRajesh Gutteea, président des Forces vives de Trou-aux-Biches, est catégorique : « Le fléau du tourisme sexuel est bien présent sur nos côtes. Un fort pourcentage de touristes viennent pour le soleil, il y a aussi ceux qui viennent pour la prostitution. J’ai mené personnellement une enquête durant trois mois, dans les régions de Flic-en-Flac, Mahébourg, Grand-Baie et Trou-aux-Biches.Les filles de rue que j’ai rencontrées et qui disent se prostituer sont souvent approchées par des touristes. Durant mon enquête, j’ai découvert qu’un homme, condamné à la Réunion, a ouvert une guest house à Maurice. Il se passe des choses louches dans cette maison d’hôtes. Le tourisme sexuel est bien là. Il y a même une démocratisation de ce phénomène. »

Les filles qu’il aurait interrogées disent faire ce travail en raison du chômage, du travail précaire, de l’endettement et de la drogue. « Plusieurs filles m’ont dit qu’elles ne se prostituent pas par plaisir. Elles doivent nourrir leurs enfants et, pour la plupart, les maris sont en prison ».

Pour venir à bout de ce fléau, le président des Forces vives de Trou-aux-Biches estime qu’il est nécessaire d’installer des caméras CCTV dans des zones où prévalent prostitution et drogue. « Nous serons ainsi fixés sur le rôle des taxis. Quelles voitures véhiculent les filles et leurs clients ? Nous comprendrons aussi le rôle des proxénètes. »

 

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