Interview

Questions à Soumitra Dutta : «Le classement de Maurice au Global Index, un avertissement à considérer»

Soumitra Dutta

La conférence Innovationmauritius.com débute ce matin à l’hôtel Le Méridien. L’indice mondial de l’innovation pour l’Afrique y sera lancé par son auteur, le professeur Soumitra Dutta. Il  nous explique l’importance de l’innovation pour des pays tels que Maurice. Rencontre.

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Quel résultat peut-on s’attendre avec la tenue de cette conférence sur l’innovation ?
Dans le concret, il s’agit de voir comment enrichir la compétitivité de Maurice et de la région dans cette nouvelle ère mondiale. Une partie de cette notion centrale de préparation est l’innovation. C’est l’élément clé pour toute économie pour faire face à la concurrence. Lors de la conférence, je partagerai les principales conclusions du Global Innovation Index que j’élabore chaque année. C’est l’indice d’innovation le plus largement accepté au monde, avec les méthodologies les plus approuvées pour l’évaluation du rendement de l’innovation. 

En quelques années, Maurice a chuté dans le classement, passant de la 49e place mondiale en 2014 à la 75e cette année. Cela ne veut pas dire que Maurice n’a pas progressé. Cela indique surtout que, par rapport aux autres pays, Maurice ne s’est pas amélioré assez rapidement. D’autres pays ont évolué beaucoup plus vite. Dans ce contexte, cela doit être interprété comme un avertissement pour Maurice, notamment pour les dirigeants locaux, qu’ils soient du gouvernement et du secteur privé. Maurice doit, une fois de plus, faire preuve de leadership dans le domaine de l’innovation. Il faut voir l’étude que nous avons menée de près, en laissant de côté l’émotif, et la prendre comme une sonnette d’alarme. 

Quels enseignements peut-on tirer des pays les plus performants en matière d’innovation ?
L’innovation requiert une multitude de facteurs. Il faut le voir comme les maillons d’une chaine où chaque maille doit être solide. Pour commencer, il faut développer une vision nationale par rapport à l’importance de l’innovation. La Chine, l’Inde, le Brésil, tous ces pays ont chacun une ambition d’envergure nationale. Il est crucial qu’un gouvernement puisse coordonner le développement de cette vision. Cela n’est pas une vision basée sur la science ou la technologie, il s’agit d’une aspiration qui se met en place dans l’ensemble de l’économie.

L’autre condition repose sur l’investissement dans le capital humain : l’éducation, la formation, des réformes pédagogiques et éducatives à l’école jusqu’au cycle tertiaire. Il vous faut aussi créer des liens entre les universités et les industries. Sans cela, il n’y aura pas de connexions productives. Il faut aussi stimuler une culture au sein de la société qui favorise l’innovation et l’entrepreneuriat. Un exemple : si l’État décide de réduire l’usage du papier alors que de nombreuses entreprises ne fonctionnent qu’à partir des documents-papier, il y a dissonance. C’est pourquoi, il faut une culture intégrée en accord avec l’objectif fixé.

Dans quelle mesure est-il important pour Maurice d’adopter l’innovation comme vous le préconisez ?
C’est crucial. Pour illustrer ce que j’avance, prenons l’exemple de Singapour qui partage avec Maurice un point commun : les ressources humaines. Maurice peut devenir la capitale de l’innovation pour l’Afrique, tout comme Singapour est devenu la capitale pour l’Asie du sud-est. Maurice doit s’inspirer de Singapour. Étant un pays insulaire, il est difficile de faire face à la concurrence des autres pays qui ont davantage de ressources que vous. 
L’approche de l’innovation doit être inculquée sur les bancs de l’école. Aux États-Unis, mon université met en place à New York, un espace dédié à l’innovation, Cornell Tech. En Inde, l’État a mis en place des laboratoires de bricolage (Tinkering  labs) au sein des écoles, afin que les jeunes puissent bricoler et innover. 

D’après vos observations ces dernières années, quels sont les véritables défis pour Maurice dans le domaine de l’innovation ?
Par rapport au continent africain, Maurice faisait très bien, même mieux que l’Afrique du Sud. Parfois,  le succès peut représenter des risques. Il y a eu probablement un sentiment de complaisance, un manque de leadership au niveau de l’État. C’est pourquoi, j’insiste que le gouvernement doit prendre la barre et coordonner les actions des uns et des autres. Je constate que beaucoup est fait, mais chacun dans son coin retranché. Il vous faut une coordination. 
De nos jours, la moitié des discours des grands dirigeants du monde est consacrée à l’innovation. Ils savent que l’innovation et les technologies sont essentielles au développement de leur pays. 
Est-ce aussi clair à Maurice ? Je n’en suis pas sûr. 

En matière d’innovation, y a-t-il des moyens pour sauter les étapes ?
Il existe des technologies qui engendrent des ruptures nettes avec des pratiques antécédentes. Grâce à ces technologies, certains pays qui avaient accusé du retard peuvent sauter des étapes. On constate qu’avec l’intelligence artificielle, plusieurs pays se positionnent pour sauter les étapes. Six mois de cela, les Émirats arabes unis ont nommé pour la première fois un ministre chargé du développement de l’intelligence artificielle (IA). Ce n’est pas une mascarade (gimmick). Leur but est de voir à quel point cette technologie peut changer tous les secteurs de l’économie et voir comment rendre cette économie la plus intelligente du siècle. La Chine a lancé sa stratégie nationale IA ainsi que l’Inde, la France… On constate ainsi que cette technologie de rupture offre une chance aux pays de brûler les étapes.

 

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