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Raj Bappoo : le pionnier du miel à Rodrigues

Raj Bappoo

Durant des années, Raj Bappoo a vécu dans l’ombre de Sheila, son épouse, mairesse, députée et ministre. Pourtant, il n’était pas bien loin : à Rodrigues, où il était apiculteur. C’est grâce à lui que l’île s’est taillé une réputation sans égale dans la production de miel pur. Rencontre.

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À la rue Père-Laval, Coignet, Raj Bappoo, malgré ses 75 ans, affiche une forme splendide. Il explique qu’il s’entretient avec un jogging quotidien et en surveillant son alimentation. Il a conservé son profil de jeune premier des années 70-80, pendant que son épouse parcourait Maurice pour animer meetings et réunions politiques. S’il a toujours été discret à Maurice, à Rodrigues, en revanche, il est devenu un household name au sein de la génération des années 80-90, grâce aux abeilles.

« On était arrivé à presque 75 000 dans une ruche. Les abeilles étaient partout à Rodrigues : dans les maisons, les varangues, les garde-manger. Les Rodriguais étaient contents »

« Dans les années 65-70, j’étais un animateur de l’Agricultural Youth Club et c’était la grande période de l’association des Young Farmers, qui avait formé une génération entière de jeunes au travail de la terre, avec l’objectif de rendre Maurice autosuffisant en produits alimentaires. C’était aussi des années de chômage. Le gouvernement voulait que les jeunes s’intéressent à la culture et à l’élevage. C’est ainsi que des enclos sont apparus à travers Maurice », raconte-t-il.

Raj Bappoo, lui, s’intéresse à l’apiculture, une activité peu connue à l’époque. Pour bien faire les choses, il va s’initier chez un certain Rouillard, chez Jean Brouard et la famille Wiehé. « Ils étaient tous des pionniers en apiculture. Rouillard avait apporté des abeilles par bateau. C’est avec des personnes comme elles que j’ai appris l’apiculture moderne », indique-t-il.
Après cette initiation locale, Raj Bappoo va se spécialiser à Brisbane, en Australie, à la faveur d’une bourse offerte par la Food and Agricultural Organisation (FAO). « Ma formation était axée sur l’élevage des reines », ajoute-t-il, avant de se référer à l’histoire de Maurice.

« Les abeilles n’existaient pas à Maurice avant l’arrivée de Français. Ceux-ci ont apporté chez nous les abeilles noires, du sud de Madagascar. Ils s’en servaient pour la fabrication de l’hydromel ».

Comment s’est-il retrouvé à Rodrigues ? « En 1983, un enseignant du Rodrigues College, Marc Édouard, avait lu un reportage dans la presse qui faisait état de mon engagement en faveur de l’apiculture. Il a pris contact avec pour moi pour me demander de venir dans l’île.

À cette époque, l’abeille n’existait pas à Rodrigues et je voulais aider au lancement de l’apiculture dans l’île. Les procédures administratives ont été un obstacle à mon projet, lorsque j’ai fait une requête aux autorités. C’est grâce au Dr Sydney Moutia, qui était Principal Agricultural Officer et au commissaire de l’île à l’époque, que mon projet a été accepté ».

Sponsor

Mais le plus dur a été de trouver un sponsor pour la création des ruches ? Là, Raj Bappoo s’est souvenu que, durant sa campagne pour la promotion de l’apiculture à Maurice, Lady Burrenchobay, dont l’époux était gouverneur général, lui avait acheté quelques ruches. « Je suis allé vers elle pour lui expliquer que c’était pour une bonne cause, qui allait bénéficier aux Rodriguaises. Elle a accepté de m’aider. »

Pour bien faire les choses, il s’est rendu chez Jean Brouard, qui importait des reines des États-Unis. « C’était des reines jaunes, de l’espèce apis mellifera lugistica, très douces et très productrices. Je lui ai acheté cinq ruches pour apporter à Rodrigues avec une reine italienne, mais il fallait d’abord attendre la mort des abeilles noires afin d’obtenir une espèce pure. »
Lady Burrenchobay paya pour le coût du passage de Marc Édouard, tandis que le gouvernement se chargea des frais de Raj Bappoo. La grande aventure du miel rodriguais pouvait commencer.

À Rodriques, les ruches sont déposées dans la cour d’un monastère. C’était l’époque de la floraison des eucalyptus et dès que l’essaimage a commencé, se souvient-il encore, cela été une véritable explosion. « On était arrivé à presque 75 000 dans une ruche. Les abeilles étaient partout à Rodrigues : dans les maisons, les varangues, les garde-manger. Les Rodriguais étaient contents. Ils faisaient leurs élevages dans de petits caissons, avec des ruches à cadre ».

Campagne à Rodrigues

Toutes les conditions étaient réunies pour qu’il lance sa campagne à Rodrigues, comme le souhaitait Marc Édouard. « Je suis allé dans les clubs de jeunesse, les collèges, les paroisses. J’ai fait des diapos, des films. C’était une grande aventure pour moi, car j’avais le profond sentiment de participer au développement de Rodrigues. »

Au vu du succès de la production de miel, l’administration rodriguaise décidera d’importer des extracteurs de miel. « Au final, tous les Rodriguais voulaient faire le miel », fait-il observer en plaisantant, en se remémorant ces années-là.

À Rodrigues, deux facteurs ont permis d’obtenir un miel de très bonne qualité : la présence d’abeilles jaunes, ainsi que des plantes mellifères, telles que le campêche et l’eucalyptus. Quatre récoltes pouvaient produire 80 kg de miel.

« Il faut aussi citer la volonté des Rodriguais. Je me souviens d’un Rodriguais qui, en 1987, avait réussi à fabriquer une tonne de miel, qu’il avait vendue à Rs 25 000, ce qui était une belle somme à l’époque. L’apiculture a permis aux Rodriguais de faire des progrès. Ils ont agrandi leurs maisons et ont acheté des produits électroménagers, entre autres », poursuit-il.
Il fait observer que l’essor de l’apiculture à Rodrigues a eu un effet multiplicateur sur la culture, grâce à la pollinisation. « Lorsque l’abeille nous rapporte Re 1, ce sont Rs 14 qu’elle rapporte pour les fruits et les légumes », relate-t-il.

Miel de qualité

À l’évocation de Rodrigues et de son miel, Raj Bappoo se rappelle les bons souvenirs d’une île où la flore permettait déjà de fabriquer un miel de meilleure qualité que celui de Maurice. « À Maurice, il y a l’abeille noire, qui n’est pas aussi productrice que sa consœur jaune. Puis, nos forêts, notre flore, les petites plantes à fleurs sont en train de céder devant le béton. Sans abeille, comment se fera la pollinisation ? Mais il reste encore quelques endroits où l’écosystème est propice à la survie des abeilles, comme Rivière-Noire, L’Aventure ou encore Roches-Noires », note-t-il

Il possède quelques ruches dans le sud-est de l’île, à Rivière-Noire « Pas beaucoup, précise-t-il. Je n’en fais pas pour le commerce, je partage. Ce sont des abeilles hybrides. C’est la production de miel, avec ses abeilles, ses reines, bref leur organisation en colonies qui me fascinent », explique-t-il.

 

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