Interview

Rajen Narsinghen, Senior Lecturer À l’Université de Maurice : «La Task Force risque d’être anticonstitutionnelle»

Rajen Narsinghen Rajen Narsinghen

Pour lui, il n’y avait pas lieu de nommer une ‘’Task Force’’ pour se pencher sur les recommandations de la commission sur la drogue. Car, pour Rajen Narsinghen, Senior Lecturer à l’Université de Maurice, c’est la police, la FIU, la MRA et l’Icac qui devraient enquêter sur ceux pointés du doigt par l’ex-juge Lam Shang Leen. Sinon, c’est une farce qu’on nous sert.

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À quoi cela sert-il d’avoir une ‘’Task Force’’ sur les recommandations de la commission sur la drogue ?
Il faut voir l’origine du concept d’une « Task Force ». Elle est souvent utilisée par le gouvernement pour faire un travail spécifique et assurer une concertation et une coordination et vient avec des recommandations pour de nouvelles politiques. Mais, la commission d’enquête a déjà fait des recommandations et a trouvé des « prima facie cases »’ et demande aux autorités judiciaires et quasi-judiciaires et surtout à la police de faire des enquêtes plus approfondies. Ainsi, la section 71 de la Constitution permet au Commissaire de police de faire du ‘’operational policing’’ d’une façon indépendante et d’enquêter sur tous ceux mentionnés dans le rapport et personne ne peut s’immiscer dans ses enquêtes, ni le Premier ministre ni le président et encore moins un nominé politique comme le directeur de l'Icac. Avec cette Task Force, le président sera le directeur de l’Icac qui a été nommé par le Premier ministre après consultation avec le chef de l’opposition en vertu d’une loi ordinaire, la FIAMLA.

Cependant, le poste de CP est constitutionnel et il devrait être indépendant. Il y a un problème d’ordre constitutionnel, car le CP va travailler sous le directeur de l’Icac qui est nommé par le PM et qui est comptable vis-à-vis du « monitoring parliamentary committee » composé de cinq membres du gouvernement et de quatre de l’opposition. Donc, c’est un problème systémique. Une « Task Force » avec à la tête un nominé politique ne peut usurper les pouvoirs du CP et même pas ceux de la MRA ou de la FIU. On va tourner en rond. Pire un citoyen peut contester la constitutionnalité de cette « Task Force », en vertu de l’article 83 de la Constitution. Les attributions de la « Task Force » sont floues et mal définies. La perception est que c’est une farce.

En sus d’une «Constitutional Review», on pourra aussi demander une « Judicial Review » qui est une procédure différente.

Cette « Task Force » est donc inutile ?
Si les conclusions d’une commission d’enquête sont inadmissibles en cour, comment celles d’une « Task Force » le pourront, basant ses travaux sur ces mêmes conclusions de la commission d’enquête initiale. Cette « Task Force » peut être contestée et peut être trouvée illégale ou anticonstitutionnelle car on va à l’encontre de la loi-cadre, le FIAMLA et l’« Income Tax Act » et, pire, cela pourrait être une entorse aux dispositions constitutionnelles.

N’est-ce pas une « delaying tactic » du gouvernement pour faire traîner les choses ?
La perception veut que ce soit une « delaying tactic ». The facts speak for themselves. Le gouvernement donne l’impression de ‘buy time’.

L’ex-juge a démontré qu’il y a des ‘prima facie cases’ après avoir enquêté»

La DDA prévoit que l’Adsu et le CP peuvent mener des enquêtes et mettre à l’écoute des personnes douteuses liées au blanchiment d’argent et au commerce de la drogue. Pourquoi ne pas avoir utilisé ces moyens ?
Ce n’est pas seulement la DDA qui prévoit la possibilité pour que la police fasse des enquêtes, mais également la Constitution et la Police Act. L’ex-juge a démontré qu’il y a des « prima facie cases » après avoir enquêté sous la section 12 de la loi qui régit la « Commission of Inquiry Act ». La police a l’obligation, en vertu de la DDA et d’autres lois et surtout en vertu de la Constitution de mener des enquêtes indépendantes.

C’est pour cela que je suis pour la création d’une nouvelle institution, comme le recommande l’ex-juge Lam Shang Leen. On peut mettre en place une Commission permanente présidée par un juge ou un avocat ou un magistrat qui a suffisamment d’expérience, épaulé par des policiers compétents, mais surtout intègres, tirés sur le volet. C’est dommage qu’une certaine manipulation politicienne place les brebis galeuses au détriment des personnes qualifiées et compétentes et Dieu sait qu’il y a en a beaucoup. Mais l’essentiel, c’est de garantir l’indépendance et la «security of tenure» des gens de cette commission, avec des nominations faites par la «Judicial and Legal Service Commission». Le public a la perception d’une politique d’enquête à deux vitesses. Une pour les consommateurs et petits trafiquants et une autre pour les grands trafiquants bénéficiant de protections occultes et les «Politically Exposed Persons», les PEPS. 

La commission réclame le démantèlement de l’Adsu, alors que le PM loue cette unité. Paradoxe ?
C’est choquant la position du PM. Il se base sur quoi ? C’est le réflexe d’un monarque élu qui peut dire des choses comme un oracle sans aucune base scientifique et objective. Par contre, ce n’est pas sur un coup de tête que l’ex-juge Lam Shang Leen a recommandé le démantèlement de l’Adsu pour combattre plus efficacement la drogue. Il a dû être en présence de suffisamment de preuves pour le faire. Il a raison de demander la création d’une institution permanente pour combattre la drogue avec des enquêteurs triés sur le volet et qui vont bénéficier d’une indépendance et une «security of tenure» pour son président.

Un député a sévèrement critiqué l’ex-juge Lam Shang Leen. Est-ce un «contempt  commission» ?
La section 11 de la Commission «of Enquiry Act» prévoit qu’on ne peut critiquer ou insulter cette instance que durant « its sitting ». Il faut, selon moi, apporter des amendements pour l’étendre même après la fin de son travail, car sinon c’est trop facile de descendre en flèche une telle commission et diffamer les ex commissaires. Critiquer de façon gratuite et lancer des injures est grave et offensante. On peut avoir des opinions différentes, mais accuser un ex- juge comme Lam Shang Leen d’être à la solde d’un parti politique ou ayant un manque d’équité ou qui n’a pas de compétence comme avocat de la poursuite est méchant et sans fondement. Ainsi, il se pourrait qu’il y ait des remarques faites par des politiciens qui constituent une diffamation criminelle, même s’il n’y a pas «Contempt» au vu d’une lacune de la loi actuelle. Les simples citoyens sont souvent arrêtés pour allégation de diffamation criminelle et même des syndicalistes, mais les politiciens au pouvoir bénéficient parfois d’une immunité. Il faut que la police enquête et que le «Rule of Law» puisse être une réalité et ancre dans le droit positif et non pas rester un simple principe philosophique.  C’est à la police de dissiper les doutes et prouver que les enquêtes à deux vitesses ne sont pas vraies.

 

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