Interview

Rajen Suntoo: « Je pense que 10 % des adolescents commettent des délits »

Pour Rajen Suntoo, Senior Lecturer en sociologie à l’université de Maurice, il ne faut pas céder à la paranoïa malgré le nombre de crimes commis. Il estime que « nous sommes témoins de tous les maux qui accompagnent la modernisation d’une société » et qu’il incombe à chacun de prendre ses responsabilités.

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« Nous vivons dans un monde très érotisé, où l’image de la femme sert souvent d’argument publicitaire. » La population est horrifiée par le nombre de crimes commis ces derniers temps, qu’on attribue  l’érosion des valeurs traditionnelles, alors qu’il y a aussi une recrudescence de la petite délinquance. Faut-il s’en inquiéter ? Il faut suivre de près la situation sans céder à la paranoïa. Nous sommes témoins de tous les maux qui accompagnent la modernisation d’une société qui était cimentée par les valeurs traditionnelles nées au sein de la famille. Mais ces valeurs existent encore dans beaucoup de familles où les parents consacrent du temps à l’éducation civique de leurs enfants. Il faut bien mettre l’accent sur cet aspect-là, car ce sont les parents qui sont les premiers role models, avant que les enseignants ne prennent le relais. Il faut maintenir cette chaîne de transmission des valeurs. Les parents doivent prendre leurs responsabilités, même si on sait que l’influence du style de vie occidental n’est pas étrangère à un certain type de comportement social, économique et culturel chez des adolescents et des jeunes couples. Faut-il, à ce compte, se méfier de la publicité qui affirme qu’à 40 ans, une femme est encore jeune et ne doit pas se cantonner à son rôle de mère de famille ? Il n’y a pas de mal à vouloir se montrer jeune, mais encore faut-il ne pas entrer en compétition avec sa propre fille, encore collégienne, et oublier ses responsabilités familiales. À cause de ce discours débridé sur le jeunisme, certaines femmes dépensent des fortunes en soins de beauté, vivent au-dessus de leurs moyens et négligent leurs devoirs d’épouse et de mère de famille. Après les parents, vous citez les enseignants. Sont-ils aptes à prendre le relais ? Oui, la jeune génération d’enseignants est formée à la psychologie, mais à eux-seuls, ils ne peuvent  accomplir des miracles. Ce n’est pas à eux seuls de veiller à la tenue vestimentaire des collégiens et au contenu des cartables. Cette tâche incombe en premier lieu aux parents, au moment où les enfants partent au collège et à leur retour. C’est vrai aussi qu’une bonne partie de la journée des jeunes se passe durant le trajet au collège, dans les salles de classe et dans les rues. Dans ces espaces, ce sont les directeurs des collèges et les autorités qui ont la charge des élèves. Le rapport de Statistics Mauritius de 2014 indique que les délits sexuels impliquent de nombreuses jeunes filles mineures… Parce que c’est une tranche d’âge vulnérable et transitionnelle. Entre 13 et 15 ans, les jeunes sont curieux de tout ce qui relève du tabou, de l’interdit, la sexualité figurant en tête de liste. C’est un phénomène mondial qu’il importe de traiter avec beaucoup de tact. Il ne faut pas oublier que nous vivons dans un monde très érotisé, où l’image de la femme sert souvent d’argument publicitaire. Aujourd’hui, on se sert de jeunes filles inscrites dans des agences de mannequinat pour des soirées et autres présentations de produits dits hi-tech. À quoi servent-elles ? À se rincer l’œil ? En fait, ce sont des filles souvent issues de milieux modestes dont on se sert parfois comme serveuses durant ces soirées. à ce titre, c’est l’image de la femme qui s’en trouve ainsi galvaudée, détournée à des fins mercantilistes. Connaît-on le profil des collégiens(ne)s qui sont considéré(e)s comme « turbulents » ? Il n’existe aucune étude à ce sujet, mais en général, ce sont des jeunes adolescents issus de familles à problèmes, très modestes, parfois monoparentales ou recomposées. Mais cela ne signifie pas que ce problème n’affecte pas les familles dites aisées, ou qui ont des revenus confortables. On n’a qu’à voir le profil des consommateurs des drogues de synthèse : ils sont de toutes les couches sociales. Cela veut dire que la drogue n’épargne aucune communauté ou tranche sociale. Est-ce que le milieu rural est à l’abri de ces fléaux sociaux ? Les valeurs morales y sont-elles mieux protégées ? Nullement. Je dirais même que certains jeunes issus du milieu rural en rajoutent, par contraste à ceux du milieu urbain. N’oubliez pas que les drogues synthétiques sont déjà présentes chez les jeunes en milieu rural. Les disparités en termes vestimentaires, de comportements culturels et d’attentes n’existent plus entre les villes et les villages depuis que les galeries commerciales ont vu le jour dans toutes les régions de Maurice. J’ai observé que dans le milieu urbain, il y a davantage d’efforts afin de préserver les valeurs traditionnelles. Lors d’une récente fonction, le vice-président de la République en a appelé à nos aînés afin qu’ils transmettent ces valeurs autour d’eux. Sera-t-il entendu ? Barlen Vyapooree est un ancien universitaire, un homme sincère et de convictions. à ce titre, il peut avoir une certaine influence. L’île Maurice moderne a besoin de role models. Le vice-président de la République, à l’instar de leaders politiques et d’autres personnes qui ont accompli des prouesses dans leurs domaines respectifs, est un produit de notre éducation et des valeurs traditionnelles de l’île Maurice. Il faut se dire que tout n’est pas perdu, car la grande majorité des adolescents éprouvent encore du respect pour nos aînés, les institutions telles que la police, le judiciaire, les parlementaires. Ici même, à l’université de Maurice, je vois des jeunes qui veulent passer leurs examens afin de réussir leur vie, tant professionnelle que sentimentale. Je pense qu’il n’y a que 10 % des adolescents qui commettent des délits. Mais si on ne fait pas attention à leurs attentes, ils peuvent commencer par la petite délinquance pour passer à la grande criminalité. Lorsqu’un jeune commet un vol aujourd’hui, c’est souvent pour acheter un smartphone. Si c’est son premier délit, il peut être récupérable, mais il faut s’y prendre tôt pour l’empêcher de sombrer dans la grande délinquance qui est souvent associée aux crimes de sang. Ce qui inquiète, c’est cette tranche d’âge de 14-15 ans, qui est un âge où on défie toute forme d’autorité. Lorsque vous mettez un smartphone entre leurs mains, on peut s’attendre à tous les excès s’ils ne sont pas sous contrôle.

 

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