Interview

Rajiv Servansing, directeur de MindAfrica et observateur politique : «L’électeur vote le candidat de sa région  par rapport au PM présenté»

Ex-député du MMM en 1976, aujourd’hui  directeur de la société MindAfrica et observateur politique, Rajiv Servansing explique, dans les grandes lignes, les enjeux des prochaines élections générales. Il indique les facteurs qui seront déterminants dans le choix des électeurs.

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Le Dr Navin Ramgoolam est-il sorti réconforté à la suite de l’affaire Roches Noires, le cas devant la cour s’étant achevé sur un non-lieu ? 
Je crois que le jugement de vendredi va objectivement aider le Dr Navin Ramgoolam. Autrement, cela aurait été extrêmement dommageable pour lui dans le contexte de la prochaine campagne électorale. Cela dit, je crois que, dans l’atmosphère pré-électorale actuelle, ce facteur ne sera pas déterminant.

Les prochaines élections générales auront-elles un caractère particulier ?
Dans toute élection, il existe une multitude de facteurs qui s’entrecroisent dans la détermination du choix de l’électeur. La qualité des candidats, les programmes présentés par les partis concernés... mais dans notre système de démocratie parlementaire, le facteur le plus déterminant demeure le choix du prochain Premier ministre. Très souvent, l’électeur vote le candidat de sa circonscription en pensant plutôt au Premier ministre qu’il souhaite pour le pays. Dans la prochaine élection, il est clair que le facteur « communalo-castéiste » n’aura pas de grande influence, car les deux candidats au poste de Premier ministre sont issus de la même caste. La différence se fera sur les facteurs tels que la composition de l’équipe, le bilan des différents acteurs, ainsi que la confiance que l’électorat aura que le prochain Premier ministre va deliver en fonction de ses promesses électorales. 

Compte-tenu de cela, quel est le bilan de Pravind Jugnauth, Premier ministre sortant, et de Navin Ramgoolam, simple citoyen, mais qui semble reprendre des couleurs ?
Ce qui sera déterminant, ce sera essentiellement le bilan et la personnalité des deux prétendants. Dans une  élection, les partis ou alliances qui aspirent à prendre le pouvoir doivent projeter une image axée sur leur programme et l’idéologie qui sous-tend ce programme. Le MSM et le Ptr semblent souffrir d’un déficit à ce niveau, mais le MSM, ayant été au pouvoir pendant cinq ans, aura le gros avantage de pouvoir présenter son bilan en termes de mesures prises en faveur de la classe ouvrière, dont la Workers Rights Act, le salaire minimum et la Negative Income Tax. Il y a aussi eu l’augmentation de la pension de vieillesse. Ajoutons à ce bilan du gouvernement, le développement des infrastructures  publiques, incluant le démarrage du métro, qui constitue certainement un des points forts de la campagne électorale du gouvernement. 

Selon moi, il y a eu deux périodes distinctes pour ce gouvernement, dont celle des années scandales, avec des démissions et des critiques contre des ministres »

N’est-il pas vrai aussi que ce projet n’était pas inscrit au programme gouvernemental de la défunte Alliance Lepep ?
Selon moi, l’électorat ne tiendra pas rigueur à un gouvernement qui a  accompli plus que ce qui avait été promis dans un manifeste électoral. Il faut savoir si, effectivement, le MSM dans l’opposition avait rejeté le projet de métro. Or, j’ai entendu Pravind Jugnauth dire que le projet rejeté par le MSM n’avait rien à voir avec celui réalisé sous son gouvernement, en termes de financement et de technologie appliquée.

La construction du Metro Express n’a pas épargné les rares espaces verts qui existaient dans certaines villes. était-ce le prix à payer ?
Il est certain que l’écologie et l’environnement sont aujourd’hui des éléments extrêmement importants à considérer dans la fiabilité d’un projet d’une telle envergure. Il y a des choix qu’un gouvernement fait, mais il faut espérer que, dans chacun de ces cas, des mesures sont prises pour mitiger les aspects négatifs sur l’environnement. Je souhaite que ce ne soit pas le cas pour le projet de métro et que des espaces verts soient éventuellement créés pour les citadins affectés par ce développement.

Le bilan de ce gouvernement inclut aussi des scandales et des démissions. Comment Pravind Jugnauth compte-t-il répondre à cela ?
Les adversaires du gouverne-ment vont tout faire pour remettre ces événements sur le tapis. Selon moi, il y a eu deux périodes distinctes pour ce gouvernement, dont celle des années scandales, avec des démissions et des critiques contre des ministres. On a accusé le gouvernement d’avoir mal géré l’affaire BAI, par exemple. Cela découlait d’un manque de préparation, lorsque l’alliance Lepep a pris le pouvoir en 2014. Je note que Pravind Jugnauth prend actuellement grand soin de faire la distinction entre son premiership et ce qui s’est passé avant. Il parle souvent de ce qu’il a réalisé pendant ses deux ans et demi au pouvoir, essayant ainsi de se distinguer de ce que la presse avait dit. Il présentera ainsi ce qu’il pourra appeler un bilan personnel en termes de gouvernance.

Peut-il gagner ce pari ?
Cela relève plus d’une démarche politique que personnelle. Si Pravind Jugnauth est convaincu que ses deux ans et demi au pouvoir comme Premier ministre ont été bien plus productifs que les deux ans et demi précédents, il essaiera de faire cette distinction. Il voudra se démarquer de son père et affirmer son propre style et sa personnalité. Les Mauriciens, peu importe leur appartenance politique, considèrent que, sur ce plan, les deux sont diamétralement opposés.

L’objectif de devenir une économie à hauts revenus est réalisable »

Cette distinction signifie-t-elle que le MSM de Pravind Jugnauth souhaite clore l’ère Sir Anerood Jugnauth ?
Il y a une volonté de démarcation, mais les éléments positifs du gouvernement de SAJ après 2014 et son image positive auprès d’une partie de la population seront mis en exergue. Ainsi, personne ne pourra enlever à SAJ le combat qu’il a poursuivi avec succès sur la question de Diego Garcia, qui occupera certainement une part importante dans le bilan du gouvernement actuel.

À quels défis Maurice sera-t-il confronté dans les prochaines années ?
Maurice fait déjà face aux défis de nature économique et de gouvernance. Une croissance autour de 3,8 % ces quelques années a toutefois démontré la résilience de l’économie dans une situation de crise économique mondiale, mais aussi le fait que les problèmes sont de nature structurelle et méritent justement une transformation de notre système de gouvernance. Cela devra mobiliser tous les acteurs économiques, aussi bien que la population, pour implémenter les mesures qui s’imposent lors de cette transition. 
Les difficultés dans les secteurs de l’hôtellerie, du textile et du sucre reflètent la nature profondément structurelle de ces défis. Le prochain gouvernement, quel qu’il soit, devra s’attacher à faire des choix économiques pénibles, mais absolument nécessaires, afin que notre pays puisse passer une nouvelle étape de développement. L’objectif de devenir une économie à hauts revenus est réalisable. Encore faut-il que nous investissions prioritairement dans la formation et l’éducation, aussi bien que dans la modernisation de nos équipements, et que nous revoyions notre manière de travailler.

Certains font valoir que le pays devrait profiter des problèmes que connaît le secteur sucrier pour mettre ses terres sous cultures de fruits et légumes, pour notre sécurité alimentaire…
Le développement de l’agriculture,  afin de consolider la sécurité alimentaire tout en se substituant à l’importation, est l’un des éléments cruciaux de la transformation structurelle de notre économie. Pas question de retour en arrière, dans les conditions vécues par nos grands-parents. Nous parlons de l’introduction de méthodes de culture modernes, dont le recours à l’intelligence artificielle dans les champs. Si de telles conditions sont réunies, nul doute que bien des jeunes seront intéressés par les belles perspectives.

 

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