Interview

Rajiv Servansing directeur de 'MindAfrica' : «Pas de croissance sans une ouverture sur l’économie mondiale»

Rajiv Servansing

Des conditions favorables à la croissance à Maurice, mais tributaires de facteurs internes comme la productivité, liée au paiement du salaire minimal. Rajiv Servansing, directeur de la société 'MindAfrica', pose un regard lucide sur l’état de notre économie.

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Est-ce que la révision à la baisse de notre croissance est-elle un mauvais signe pour les projets de ce gouvernement ?
Mon analyse à cette question est la suivante : pour la première fois depuis la crise de 2007-2008, les institutions internationales, dont le FMI, la BM et l’OCDE et les différents gouvernements concernés en Europe et les États-Unis sont très confiants dans une reprise soutenue de leurs économies, qui devrait, en moyenne dépasser les 2 %, à la fin de 2018. Ce qui fait que les États-Unis et l’Europe affichent un tel optimisme, tandis que les deux économies motrices de la croissance pendant ces dix dernières années, la Chine et l’Inde, affichent eux-mêmes des taux de croissance au-dessus de 6 %. Ce qui fait que l’environnement économique mondial est favorable aux pays exportateurs de produits manufacturés. Sur le plan interne, les investissements dans les infrastructures publiques ont commencé par le Metro Express, mais aussi les autoponts au Caudan et à Phoenix, programmés pour 2018. La croissance continue de l’investissement privé dans la construction et le bâtiment est aussi favorable à une croissance économique soutenue. Le secteur touristique, qui a affiché une croissance de presque 10 %, en 2017, continuera sur sa lancée, soutenue par la croissance économique en Europe, aussi bien que par les problèmes auxquels continueront à faire face, nos principaux concurrents, dont le Maroc et l’Égypte.

D’autre part, selon les dernières analyses, il semblerait que l’augmentation des prix pétroliers sera limitée autour de 60 à 65 USD sur la période de 2018. Les facteurs extérieurs sont, donc, favorables à une croissance, à une période qui devrait tourner autour de 3,8 % à 3,9 %. Cependant, les facteurs internes qui permettraient au pays de tirer le maximum d’avantages de cet environnement économique favorable, demeurent encore problématiques.

Quels sont ces facteurs ?
Le premier qui me vient en tête est l’instabilité politique, ce qui s’est passé durant des trois dernières années. On ne peut nier le fait que les scandales à répétition, des ministres qui démissionnent et des dérapages verbaux de certains responsables du gouvernement sont extrêmement nuisibles à la visibilité nécessaire pour favoriser l’investissement privé. Il faut absolument que le gouvernement, comme dirait l’Anglais ''pulls its acts together''. Les trois secteurs importants de notre économie, nommément le tourisme, le développement foncier et le secteur financier continueront sur leur lancée, en 2018. On peut s’attendre à un accroissement de l’industrie du bâtiment et de la construction, tandis que le tourisme devrait afficher un taux de croissance similaire à 2017.

Existe-t-il, malgré cette perspective optimiste, des zones d’ombre à ce tableau ?
Le seul hic demeurera le secteur de l’exportation manufacturière, même si la croissance en Europe devrait favoriser nos exportations. Et, il nous reste quelques sérieux problèmes internes liés à la productivité de nos entreprises.

Quels sont ces problèmes ?
Le plus gros challenge auquel fera face le secteur manufacturier est l’introduction du salaire minimal, même si quelques aménagements sont prévus dans la loi pour tenter de mitiger l’effet immédiat de cette augmentation de salaire. La question de productivité dans nos entreprises se pose depuis quelque temps déjà et il est clair que notre compétitivité sur le plan international ne peut être assurée que grâce à une amélioration de notre productivité. Nous savons tous dans quelles circonstances les entreprises, de ce que l'on appelait la zone franche, ont pris naissance : il y avait une abondance de main-d’œuvre éduquée, mais pas chère. Or, l’évolution de l’économie mauricienne fait qu’aujourd’hui l’aspiration des jeunes est de retrouver des emplois qui respectent la dignité interne des conditions de travail, aussi bien que celle de salaires. Il y a, donc, un gros effort à accomplir, afin que le secteur manufacturier puisse répondre à ces attentes, ceci impliquant évidemment une modernisation des équipements et par conséquent la formation continue des employés. La solution demeure bien sûr la montée en gamme des produits manufacturés à Maurice.  Depuis des années, on en parle, mais nous n’arrivons toujours pas à l’accomplir.

Pour quelle raison ?
Je pense que là où le bât blesse, c’est que les responsables publics et privés mauriciens manquent de vision en ce qui concerne les besoins de l’industrie manufacturière pour l’avenir. Le recours, par exemple, à l’embauche de la main-d’œuvre étrangère est un palliatif nécessaire pour la survie de l’industrie dans sa forme actuelle. Mais, encore faut-il que, parallèlement, on arrive à former les ouvriers mauriciens pour participer à plus de création de valeurs, à travers l’utilisation de la technologie de pointe, l’innovation et la créativité. Ce n’est qu’à ce prix que nous pourrons maintenir une industrie d’exportation de vêtements et autres produits manufacturés, l’alternative étant une délocalisation massive de notre industrie vers d’autres pays.

Est-ce qu’on serait à un tournant dans ce secteur, dans le monde du travail ?
Nous sommes confrontés aux commentaires suivants : comment se fait-il que, d’une  part, on parle d’un taux de chômage qui frôle les 8 à 9 %, alors que, d’autre part,  des entreprises sont à la recherche de main-d’œuvre, mais n’arrivent pas à en trouver ? Cette inadéquation, entre l’offre d’emplois et la demande, soulève certainement une des problématiques des plus graves à laquelle fait face le pays. Aujourd’hui, employeurs, employés et gouvernements actuels et passés, semblent incapables de résoudre ce paradoxe. Il est évident que le pays fait face aujourd’hui à ce que l'on appelle dans la littérature économique un ‘middle income trap',  c’est-à-dire l’incapacité de dépasser nos contradictions internes pour arriver à un palier de développement supérieur, c’est-à-dire une ‘high income economy’. Or, à la base d’une économie de haut salaire, il nous faut investir dans l’innovation, la formation et la prise de risques dans des secteurs nouveaux et à forte valeur ajoutée, que ce soit dans le secteur industriel ou celui des services. La mondialisation fait aussi que le marché mauricien est devenu extrêmement limité et nous ne pouvons envisager une croissance, sans une ouverture sur l’économie mondiale.

Est-ce que le continent africain peut-il aider Maurice dans cette perspective d’ouverture ?
Comme vous le savez, je suis un partisan convaincu de l’idée que l’avenir de Maurice est lié au développement en Afrique. Malgré les difficultés qui sont inhérentes à des économies qui, longtemps, ont souffert de la décolonisation, le potentiel en Afrique, au vu, ce qui se passe actuellement, demeure flatteur. Ce qui se passe en Angola, au Zimbabwe et en Afrique du Sud, qui ont vu des changements de régime, suite à des excès insupportables de leurs dirigeants, est un facteur extrêmement positif pour la bonne gouvernance.

Que faut-il pour que le gouvernement prenne avantage de cette nouvelle configuration ?
J’ai toujours soutenu que la meilleure chose qui puisse arriver à Maurice, c’est que l’Afrique profite des avantages compétitifs que nous avons dans les domaines des services, que soit celui de la finance, de l’éducation ou de la médecine. Le gouvernement mauricien a la responsabilité de développer les rapports nécessaires avec les gouvernements africains dans le cadre des accords régionaux tels que la SADC ou le COMESA, afin de faciliter le mouvement des professionnels mauriciens qui veulent offrir leurs services à ces États africains.

Est-ce les Mauriciens connaissent-ils bien l’Afrique ?
Je suis désolé de répondre que, selon mon expérience, la majorité des Mauriciens ont toujours une vision déformée de l’Afrique par les grands médias internationaux qui continuent à ne parler de l’Afrique que lorsqu’il y a des catastrophes humanitaires ou naturelles. Or, des pays comme le Botswana, le Rwanda ou la Tanzanie sont aujourd’hui engagés dans une croissance économique très prometteuse. Très peu de Mauriciens semblent être informés de ces développements positifs.

 

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