Interview

Ranjit Jokhoo : «Les avocats font des spéculations»

Ranjit Jokhoo

L’inspecteur de police à la retraite, Ranjit Jokhoo, vient apporter sa propre lecture de l’affaire David Gaiqui qui soulève les passions depuis le week-end dernier. Il préfère calmer le jeu et est d’avis que ce sera à une cour de justice de décider du dénouement de cette affaire.

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« Il faut aussi savoir que la police a un mandat pour ‘search’ un suspect. »

Qu’est ce que l’affaire David Gaiqui vous inspire ?
Jusqu’ici, nous avons entendu différentes versions de cette affaire suite à la publication de cette photo sur Facebook. Depuis, il y a eu un tollé contre les méthodes utilisées par la force policière et cela a causée des débats dans différents milieux. Mais jusqu’à l'heure, nous n’avons pas encore entendu la version de la police. Les gens se sont empressés de dénoncer la brutalité policière après avoir vu cette photo. Mais on ne peut pas déterminer s’il y a eu ou non brutalité policière par des exercices d’équation.

C’est comme dire qu’il y a eu un assassinat en voyant un cadavre. Mais dans les faits, c’est une pratique courante pour les officiers des prisons ou les officiers de police de procéder à des fouilles corporelles. C’est monnaie courante de tomber sur des prisonniers qui tentent de dissimuler de la drogue ou d’autres objets dangereux dans leurs parties intimes. Dans  ce genre de cas, comment parvenir à détecter cela ? Les postes de police aussi bien que les prisons ne sont pas pourvus de scanners. La solution est donc la fouille. Les fouilles ne sont pas effectuées dans le but d’humilier qui que ce soit mais pour protéger le suspect et les autres personnes avec qui il peut être en contact.

Vous approuvez donc ce genre de méthodes ?
Plusieurs personnes se sont exprimées sur cette affaire et bien que je n’approuve pas que les droits humains soient bafoués, je pense que la personne la mieux renseignée sur cette affaire est le Commissaire de police (CP), Mario Nobin ainsi que Ivan Collendavelloo (NdlR : ce dernier assurait l’intérim du poste de Premier ministre pendant l’absence du pays de Pravind Jugnauth).

Lorsque vous étiez dans la police, avez-vous appliqué ce genre de pratique sur des suspects ?
Je ne l’ai jamais fait mais je suis au courant de ce genre de pratique. Pour en revenir au cas Gaiqui, il faut savoir qu’il a été impliqué dans un cas de meurtre et de vol avec violence. (Le DPP a rayé les charges contre David Gaiqui). Et ses vêtements ont pu être utilisés à des fins scientifiques comme pièce à conviction pour les besoins de l’enquête. Mais cela ne veut pas dire qu'on peut justifier tout cela. Il faut aussi savoir que la police a un mandat pour «search» un suspect. Vous imaginez si un policier n’a pas procédé à des fouilles sur un suspect et que ce dernier parvient à mettre sa vie et la vie d’autrui en danger grâce à un objet dissimulé qui a échappé à la vigilance des forces de l’ordre? On jettera immédiatement le blâme sur le policier pour ne pas avoir bien fait son travail.

Les fouilles corporelles donnent-elles des résultats concluants ?
Les fouilles ont, en tout cas, aidé à éviter beaucoup de situations catastrophiques, que ce soit en cellule ou en prison.

Si la police avait plus de moyens et de logistiques, cela leur éviterait-il de pratiquer des fouilles corporelles ?
Ecoutez, la fouille corporelle est une pratique autorisée dans les «standings orders» de la police. C’est une chose qui se passe tous les jours.

Cette histoire est en train de confronter deux écoles de pensée : les avocats qui estiment que les droits de l’homme ont été bafoués et ceux qui sont d’avis qu’un délinquant mérite ce genre de traitement. Où vous situez-vous ?
Nous vivons dans une démocratie où tout le monde a le droit de s’exprimer. Ce que je retiens c’est que peu de gens sont au courant des faits réels. Je pense que le CP a été satisfait des explications  donnés par les policiers impliqués dans cette affaire et il estime qu’il n’y a donc aucune raison de sanctionner ces agents. En revanche, je condamne les menaces qui ont été proférées contre le CP.

Vous semblez partager l’avis d’Ivan Collendavelloo qui a affirmé que le CP a bien géré cette affaire…
Je le répète, seuls le CP et Ivan Collendavelloo savent ce qui c’est réellement passé. Les avocats font des spéculations. L’on est par exemple en train de dénoncer le fait que David Gaiqui était menotté mais encore une fois, c’est une pratique normale. Les avocats qui assistent leurs clients lors des interrogatoires le savent très bien.

D’autres courants de pensées sont aussi d’avis que ce genre de traitement n'est réservé qu’à une catégorie de personnes, alors que les «high profile» sont, eux, épargnés…
Cela dépend de la nature du cas. Si une personne a utilisé un «grinder» par exemple pour défoncer un coffre, il y a de fortes chances que les vêtements de ces délinquants contiennent des preuves importantes pour l’enquête. Il faut, de ce fait, «secure» ces vêtements.

L’on reproche aussi souvent à la police de ne pas être suffisamment scientifique et méthodique dans la conduite de ses enquêtes. Une modernisation n’est-elle pas nécessaire ?
L’aspect scientifique n’est pas quelque chose d’absolu. Laissez-moi prendre en exemple l’affaire Michaela Harte où les deux suspects qui ont été jugés en cour d’assises ont pu s’en sortir car il n'y avait pas de traces de leurs ADN dans la chambre où Michaela Harte avait été retrouvée morte. Et pourtant, ces deux suspects ont reconnu avoir travaillé dans cette chambre. Je tiens toutefois à souligner que ce ne sont pas les aveux uniquement qui déterminent l’issue d’une enquête. L’on procède également à des reconstitutions.

Mais toujours est-il que les méthodes de la police sont souvent décriées dans des cours de justice…
C’est tout à fait normal que la cour tire la sonnette d’alarme lorsqu’il y a des manquements. Le dernier rempart à Maurice, c’est la justice. Je trouve d’ailleurs cela ironique que certains avocats, qui ont pris position dans cette affaire, aient oublié ce détail. Ils sont en train de condamner certaines personnes alors qu’une enquête est en cours. Ils oublient aussi que c’est la justice qui aura le dernier mot dans tout cela.

Une enquête a également été ouverte concernant la diffusion de la photo du détenu Gaiqui. Est-ce le véritable «issue» dans cette affaire ?
Ce n’est pas le véritable «issue» mais la loi s’applique à tout le monde. Si l'on estime qu’il y a eu «breach of ICTA», il faut enquêter, tout comme il faut enquêter lorsqu’on considère qu’il y a eu brutalité policière.

 

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