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Ravi Gutty : «La pénurie de main-d’œuvre locale s’intensifie»

Ravi Gutty, fraîchement réélu président de la Building and Civil Engineering Contractors Association (BACECA), se montre positif quant à la reprise de l’industrie de la construction. Après un recul noté dans le secteur en raison de la pandémie, il s’attend à une croissance positive par rapport à 2022 et au-delà de 5 % cette année.

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Quel est le rôle de la BACECA et dans quelle mesure l’association a-t-elle contribué au développement du secteur de la construction au fil des années ? 
Créée en 1996, la Building and Civil Engineering Contractors Association (BACECA) est une association rassemblant des entrepreneurs spécialisés dans les domaines du bâtiment et des travaux publics. C’est la toute première alliance de contracteurs de Maurice et  à ce jour, c’est le seul syndicat des employeurs pour le secteur de la construction. Dans le prolongement de toutes ses actions syndicales, c’est toute l’industrie (membres et non membres de l’Union) qui, au final, bénéficie des progrès sectoriels et économiques.  

La BACECA joue aussi pleinement son rôle en négociant le Collective Bargaining Agreement avec les syndicats de salariés représentés par la Construction, Metal & Furniture Employees Union (CMFEU) et la Private Enterprises Employees Union (PEEU). Chaque Sectoral Collective Agreement constitue la base d’une révision du Blockmaking, Construction, Stone Crushing and Related Industries (Remuneration Order) RO Regulations, qui fait force de loi pour l’industrie de la construction. Cet accord sectoriel réglemente et garantit l’uniformité des conditions d’emploi de base et constitue également la base de relations de travail saines, assurant des conditions de travail harmonieux et productif depuis plus de 25 ans.  

De plus, la BACECA a joué un rôle clé dans la mise en place du Construction Industry Development Board (CIDB). Elle a également siégé au conseil d’administration de la Mauritius Employers’ Federation. Elle est actuellement membre partenaire de Business Mauritius.

L’association est présente sur plusieurs autres comités nationaux et participe activement à tout projet national de développement, de la culture de la formation à la sécurité du secteur de la construction. Lors du premier confinement, la BACECA a offert gratuitement ses services pour l’obtention des Work Access Permits et a partagé son Guideline Procedure pour reprendre le travail pendant cette période difficile. L’association a aussi travaillé étroitement avec Business Mauritius et l’Economic Development Board pour l’exercice de vaccination des employés. La vision de la BACECA est de travailler avec le gouvernement pour sauver et créer des emplois, soutenir l’économie et fournir les infrastructures nécessaires à un excellent rapport qualité-prix au profit de la population.

Le coût d’une maison de 1 000 pieds carrés qui était d’environ Rs 2,1 millions à la fin de l’année 2019 est actuellement estimé à environ Rs 2,9 millions.»

Comment se porte le secteur de la construction depuis le début de l’année ? 
Les prix mondiaux élevés de l’énergie et des matières premières, en raison de l’escalade du taux d’inflation mondial ainsi que les perturbations de la chaîne d’approvisionnement, continuent d’affecter les projets et les marges. Les retards dans les livraisons de matériaux et la pénurie de main-d’œuvre devraient persister cette année. L’indice des prix à la construction (CPI) s’élevait à 128,8 en avril 2022 pour atteindre 130,8 en décembre. Elle a encore augmenté à 132,6 en janvier 2023, et en mars 2023, atteignant 132,8. L’année dernière a été marquée par la triste liquidation judiciaire de Building and Civil Engineering Co. Ltd (BCE), chute de la plus ancienne entreprise de construction locale, ex-membre actif de la BACECA. Cela met en avant le besoin urgent de revoir certaines des conditions de subsistance des entrepreneurs locaux dans l’écosystème de la construction et d’assurer un flux continu de travail qui favorise les compétences locales.

Quel est l’impact de la hausse des prix des matériaux sur les coûts de construction ?
Les prix des matériaux de construction ont été en 2022 au plus haut depuis la crise mondiale de 2007. En trois ans, l’industrie a connu une hausse de 25 à 35 % des coûts d’exploitation. À titre d’exemple concret, le coût d’une maison de 1 000 pieds carrés « fait et fourni » qui était d’environ Rs 2,1 millions à la fin de l’année 2019 est actuellement estimé à environ Rs 2,9 millions.  Depuis septembre dernier, les prix avaient amorcé une légère tendance à la baisse, cependant la tendance s’est inversée avec un CPI de 132,8 le mois dernier. Ainsi, les prix dans le secteur restent très élevés et instables.

Les contracteurs sont souvent les seuls à assumer la plupart des risques d’un projet.»

Comment accueillez-vous la décision du ministère du Commerce d’imposer un contrôle sur le prix du ciment ? Pensez-vous que cette mesure doit être étendue sur d’autres matériaux de construction ? 
C’est, en effet, l’une des mesures envisageables. Cependant, la stabilisation de la roupie et du coût du fret demeure primordiale pour contenir l’inflation. D’ailleurs c’est la solution à long terme, car nous importons beaucoup de produits pour la construction (barres de fer, ciment, aluminium, bitume) et nous effectuons des paiements en devises. Nous sommes fermement convaincus qu’il est nécessaire d’avoir un mécanisme transparent de réajustement des prix dans les contrats de construction. La majorité des projets à Maurice démarrent avec du retard par rapport au plan initial et à la date de soumission des prix pour diverses raisons. Ainsi, nous nous retrouvons sous pression avec l’inflation qui a augmenté entre-temps. Le gouvernement devrait légiférer sur la fluctuation des prix dans les contrats de durée au-delà de six mois dans le contexte actuel ou adopter un mécanisme de réajustement des prix des contrats en cours sur une base trimestrielle, comme c’est le cas dans d’autres pays. Cela permettra d’assurer la survie des entreprises de bâtiment et aussi d’éviter qu’elles soient obligées de majorer leur prix de vente afin d’atténuer les risques d’augmentation des coûts.

Les conditions contractuelles injustes et non équilibrées pour les projets de construction demeurent un vrai casse-tête pour les opérateurs du secteur.»

Quels sont les défis majeurs actuels des opérateurs du secteur ?
En premier lieu, les conditions contractuelles injustes et non équilibrées pour les projets de construction demeurent un vrai casse-tête pour les opérateurs dans le secteur. L’industrie de la construction est caractérisée comme étant à haut risque et à faible marge. Les contracteurs sont souvent les seuls à assumer la plupart des risques d’un projet à Maurice, alors que nous pensons que tout contrat devrait favoriser un partage raisonnable des responsabilités et des risques. De tels contrats déséquilibrés et injustes peuvent avoir de graves répercussions sur les constructeurs et forcer certains à fermer leurs entreprises. 

Le BTP, qui regroupe les activités de conception, de construction et de rénovation de bâtiments publics et privés, industriels et d’infrastructures (routes, réseaux, canalisations), est un secteur très vaste dans lequel plusieurs corps de métier interviennent pour la réussite d’un projet. Pour un secteur sain et durable, des conditions contractuelles justes et équilibrées sont essentielles. Il y va de la survie et de la pérennité des entreprises de construction. Les contrats à prix fixe, un autre défi majeur particulièrement dans le contexte économique actuel, doivent ainsi être revus pour être justes et équilibrés. Par ailleurs, très souvent, les contracteurs font face à des retards de paiement, ce qui mène à des problèmes de trésorerie. Parmi les autres défis, on retrouve la concurrence déloyale avec des entreprises de construction étrangères et surtout une pénurie aiguë de main-d’œuvre et de compétences pour répondre aux besoins du marché.  

Le Construction Industry Development Board (CIDB) note un nombre grandissant de plaintes contre les contracteurs qui ne sont pas enregistrés et qui opèrent ainsi de manière illégale. Faites-vous le même constat ? 
Il y a effectivement toujours des contracteurs non enregistrés, malgré le fait que le CIDB a fait une bonne sensibilisation sur l’obligation et la nécessité de s’enregistrer. Il a même accordé des périodes de grâce et des délais pour les permettre de se régulariser. Beaucoup de ces contracteurs travaillent à faible marge ou même à perte. En outre, ils ont des problèmes de trésorerie et sont sujets à plusieurs défis. Ils peinent donc à payer les frais d’enregistrement annuels. Dans le contexte actuel, nous pensons que ces frais devraient être revus. Le CIDB devrait offrir davantage d’incitations aux adhérents, telles que l’assistance pour la gestion de contrats, l’évaluation des risques de projet et des travaux, le contrôle de la qualité et des bonnes pratiques, la gestion de projet et la résolution des litiges, entre autres.

… les jeunes ne considèrent pas les métiers de la construction comme attrayants ou pertinents.»

Vous parlez d’un manque de main-d’œuvre dans la construction. Qu’est-ce qui explique cette pénurie ?
La construction est actuellement le deuxième secteur employant le plus de main-d’œuvre étrangère, alors que la pénurie de main-d’œuvre locale s’intensifie. D’un côté, il y a une main-d’œuvre vieillissante sans relève, et de l’autre, une génération de jeunes qui ne considèrent pas les métiers de la construction comme attrayants ou pertinents. Il est donc urgent de valoriser ces métiers pour attirer de nouveaux talents. Les avancées numériques et technologiques peuvent révolutionner l’industrie de la construction en réduisant la pénibilité et en favorisant la mécanisation et la digitalisation des métiers. Il est donc crucial d’encourager les entreprises à revoir leurs méthodes de travail en proposant des carrières plus attrayantes. Pour ce faire, le gouvernement devrait prévoir des mesures incitatives dans le prochain budget afin de cultiver et développer cette industrie et de transformer son image.

Quelles sont vos perspectives du secteur de la construction pour cette année ?
La contribution de la construction à l’économie devrait croître de  Rs 25,9 milliards en 2022 à environ  Rs  28,9 milliards  d’ici fin 2023, selon Statistics Mauritius  avec des investissements privés importants et de nombreux projets à forte valeur ajoutée en préparation. Nous espérons que le levier politique favorable et l’intervention gouvernementale pour stimuler l’économie continueront cette année dans l’exercice du budget national. Nous sommes d’avis que la croissance du secteur de la construction devrait dépasser les 5 %, contrairement à la faible croissance de 1,3 % enregistrée en 2022. Cela est possible grâce aux projets publics en cours et à venir tels que le Métro Express, les infrastructures routières en construction et les 8 000 logements sociaux NSLD qui devraient bientôt être lancés. Par ailleurs, il faut compter les projets de construction privés  tels que les Smart Cities, les projets de morcellement ou encore la  rénovation d’hôtels.

 

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