Recrutement : quand le physique impose ses diktats

Il n’y a pas que les qualifications et les années d’expérience qui comptent lors d’un entretien d’embauche. Souvent, le visage, la silhouette, la façon de s'habiller et de s'exprimer sont autant de critéres qui sont pris en considération lors d'un recrutement. Dans quels cas faut-il impérativement avoir le physique de l’emploi ?

Quand c’est dans la nature du poste

Pour certains métiers, l’apparence physique fait partie des critères de sélection. « C’est dans la nature même du poste, notamment pour le recrutement des mannequins, des danseurs (ses), des hôtesses de showroom, entre autres », explique Christophe Aucher, expert en solution emploi et créateur du site hellojob.mu à Maurice. Marc Marivel, consultant en ressources humaines et en formation, fait toutefois ressortir que ce n’est pas un « phénomène
nouveau ». « Le physique a toujours été un critère de recrutement dans certains secteurs. Les exemples ne manquent pas : la taille et le tour de poitrine pour les policiers et agents de sécurité, la petite taille des jockeys, la  force physique pour les chauffeurs de bulldozers, l’élégance physique pour les mannequins, etc. », souligne Marc Marivel.

Qu’en dit la législation ? La loi à Maurice, indique Marc Marivel, reconnaît le droit aux employeurs d’appliquer les critères physiques « là où ils le jugent absolument nécessaire sans être en contravention vis-à-vis de l’Equal OpportunitiesAct ». Axelle Clélie, Senior Recruiter chez My Web Ltd (myjob.mu), déclare : « La législation du travail condamne toutes formes de discrimination, directe ou indirecte. Ainsi, le recruteurdoit se baser non seulement sur l’image professionnelle du candidat (et non pas sur sa beauté physique), mais également sur les qualifications, compétences et aptitudes professionnelles d’un candidat. »

Quand il faut séduire la clientèle

Dans les secteurs qui impliquent un contact régulier avec la clientèle - les commerciaux, les hôtesses en magasin, ceux qui évoluent dans le domaine du marketing, de l’événementiel ou encore de la communication, entre autres -, les candidats qui ont un physique agréable ont plus de chance d’être recrutés. « Si l’emploi exige d’être élégant(e) et d'avoir une bonne présentation, par exemple pour un poste de relations publiques, les personnes avec ces caractéristiques seront privilégiées », avance Marc Marivel. « La personnalité, le physique et le charme de la personne sont, en effet, pris en compte », renchérit Christophe Aucher. Dans le secteur des services, principalement le tourisme et l’hôtellerie, ajoute Marc Marvel, l’apparence physique est aussi très importante car les employés sont les ambassadeurs de leurs entreprises. « Ils se doivent de présenter la meilleure image possible de leur entreprise. Car c’est lors de son contact avec les employés que le client se forge une image - positive ou négative - de l’entreprise », soutient Marc Marivel.

Axelle Clélie abonde dans le même sens. Outre les personnes dont l’activité professionnelle requiert un contact avec la clientèle, les personnes exposées médiatiquement se doivent aussi d’avoir « une présentation irréprochable car elles projettent l’image de la compagnie », insiste-t-elle. Toutefois, avance-t-elle, chaque entreprise détient son propre code vestimentaire.

« Le secteur bancaire, celui des assurances ou encore de la finance exige une présentation soigneuse, des vêtements de couleurs sobres et des motifs linéaires pour exprimer la rigueur et la structure. A contrario, les candidats évoluant dans la communication, le tourisme, l’événementiel et le marketing doivent miser sur des tenues et looks plus tendances, opter pour des couleurs plus vives et des accessoires plus expressifs », indique Axelle Clélie.

Quand la beauté est un atout non négligeable

Qu’advient-il quand le recruteur se retrouve avec deux candidats à compétences et qualifications égales ? La réponse est claire comme de l’eau de roche. « Le recruteur aura tendance à embaucher la personne qui est la plus agréable à regarder. Mais, bien souvent, c’est fait inconsciemment », souligne Christophe Aucher. En effet, comme nous vivons dans une société où l’apparence impose ses diktats, les personnes séduisantes ont un avantage certain.

Le rôle de la photo d’identité dans le recrutement

Si dans de nombreux pays, dont la France, il est interdit de demander une photo à un candidat, la pratique d’accompagner son curriculum vitae d’une photo se fait toujours à Maurice. « Un recruteur ne peut pas se fier à la photo d’un candidat. Elle ne sert qu’à identifier le candidat. C’est difficile de se faire une opinion rien qu’en regardant la photo. Par exemple, on a déjà eu un cas où la personne avait les cheveux courts sur la photo et une fois à l’entretien, il avait une queue de cheval. La photo n’est jamais un critère déterminant dans le recrutement », insiste Marc Marivel.

L’importance de soigner son look

Pour mettre toutes ses chances de son côté pour décrocher un emploi, il est essentiel de bien soigner son apparence lors d’un entretien. Tel est le conseil de Marc Marivel. Selon lui, aucun recruteur « ne prendra le risque de recruter une personne qui se présente à un entretien mal habillée et avec une hygiène corporelle douteuse, surtout si c’est pour un poste de contact avec les clients ».

Pour Axelle Clélie, si le physique, dans le contexte de la beauté, n’est pas un critère de sélection, le «personal branding» peut influencer grandement la décision d’embaucher un candidat. « La présentation est primordiale. L’image que nous véhiculons comporte de forts enjeux, notamment dans le milieu professionnel. Une excellente présentation montrera au recruteur que vous êtes quelqu’un de sérieux, soigneux, organisé et professionnel », insiste Axelle Clélie.

Les candidats soignent plus leur apparence et leur tenue vestimentaire lors des entretiens. « Ils sont conscients qu’il faut un minimum de présentation», souligne Christophe Aucher. S’ils le font, ajoute Areff Salauroo, président de l’Association of Human Resource Professionals of Mauritius, c’est tout à leur avantage. « Un candidat qui se présente à un entretien avec un jeans et un tee-shirt aura bien moins de chance qu’un candidat qui a soigné son apparence. Auparavant, on disait ‘montre-moi qui tu fréquentes, je te dirai qui tu es’. De nos jours, on dit plutôt ‘montre-moi à quoi tu ressembles, je te dirai qui tu es’. Et c’est pour cela que l’entretien reste la méthode préférée des recruteurs qui se disent : 'I know One when I see One' », soutient Areff Salauroo. Ce n’est pas Axelle Cléliequi dira le contraire. Selon elle, une personne qui a une tenue professionnelle et qui se montre courtoise fait meilleure impression qu’une autre qui n’a pas pris le temps de soigner sa tenue et qui se montre négligée. Et d'expliquer que d’autres facteurs comme les compétences professionnelles, l’expérience, l’assurance, l’attitude, l’aisance en communication et le sens de la répartie sont des éléments qui font la différence entre un candidat et un autre.

Pourquoi le physique compte-t-il autant ?

1. Nous vivons dans une société de l’image où règne la dictature des apparences. Avoir un physique agréable joue donc en votre faveur.
2. La société prête de nombreuses qualités à ceux qui sont beaux : ils sont plus intelligents, sociables, compétents, entre autres. D’où le stéréotype : « what is beautiful is good ».
3. Le physique n’est pas identifié comme un facteur de discrimination par les départements de ressources humaines. D’autant plus que la beauté est subjective. Ce qui est considéré comme beau chez quelqu’un ne l’est pas forcément chez une autre.

Ce que dit la loi

Me Dev Ramano : «Le candidat doit dénoncer toute pratique insidieuse»

La loi ne permet pas qu’une entreprise fasse de la discrimination sur la base de la race, la couleur, le sexe, le handicap ou la religion, entre autres. La discrimination par rapport au physique tombe également dans ces catégories. « L’employeur ne peut se baser sur le physique d’une personne pour la recruter, même si dans la pratique, cela se fait. Il est donc impératif que ceux qui sont victimes de cette pratique insidieuse dénoncent l’employeurà l’Equal Opportunities Commission (EOC). Si l’EOC donne raison au candidat, la décision de l’employeur sur le recrutement ne sera pas enterinée. L’employeur devra alors respecter le verdict de la commission. Il peut même être poursuivi au pénal s’il ne respecte pas certaines clauses légales », explique l’avocat Dev Ramano.

Questions à… Areff Salauroo : «La personnalité a toujours fait partie du critère de sélection»

Areff Salauroo, président de l’Association of Human Resource Professionals of Mauritius, est catégorique. Si certains emplois requièrent des spécificités physiques, pour d’autres c’est le dégré de motivation, la personnalité et les arguments avancés par le (s) candidat (s) qui sont déterminants dans l’exercice de recrutement.

Est-ce que le physique est un critère de recrutement pour les employeurs ?
L’apparence physique est la partie non verbale de la communication. Elle comprend la façon de s’habiller, le langage corporel, la voix, l’intonation, etc. La première impression est très importante, d’où le fameux dicton : « First Impression, Lasting Impression ». Quel est donc le message aux demandeurs d’emploi? Il faut faire bonne impression dès la première rencontre. C’est comme faire son propre marketing, en mettant en avant les meilleurs arguments pour convaincre l’intervieweur.Et comme l’entretien reste la méthode préférée pour recruter, les demandeurs d’emploi doivent saisir cette chance pour faire bonne impression.

Être beau ou belle est-il un avantage certain de se faire recruter ?
Ceux qui ont plus de chance de se faire recruter sont ceux qui démontrent qu’ils savent se démarquer, connaissent leurs forces et faiblesses et ont une idée claire de leurs projets professionnels. C’est pour cela qu’il faut tout faire pour se mettre en valeur avec les meilleurs mots et les meilleurs arguments. La question n’est donc pas d’être beau ou pas, mais de démontrer sa préparation pour l’entretien et sa motivation.

Dans certains secteurs, l’apparence physique pèse davantage dans la décision d’embauche que dans d’autres industries. Pourquoi l’apparence compte-t-elle autant pour ces entreprises ?
Prenons l'exemple des policiers, des pompiers et des officiers de prison. Certains critères physiques doivent être respectés : une taille minimum,  une poitrine d’une certaine dimension et un Body Mass Index selon des données établies. Les raisons sont évidentes pour ce poste. Pour certains jobs, il est important d’avoir un certain physique. Dans d’autres cas, on parle de l'importance d’une outgoing personality. Que recherche-t-on ? Un candidat qui sera facilement accepté par ses collègues et ses clients. C’est pour cela que la chercheuse Helene Garner-Moyer évoque le fait que l’apparence physique d’un individu constitue, avec son identité sexuelle, sa caractéristique la plus accessible aux autres dans un processus d’interaction sociale.

N’est-ce pas, toutefois, discriminatoire de recruter une personne en la jugeant essentiellement sur son apparence physique ?
Recruter ou pas une personne en la jugeant essentiellement sur son apparence physique risque d’être considéré comme une discrimination si le poste à remplir n'est pas lié à l’apparence physique. Les directeurs des ressources humaines (DRH) ne peuvent accepter aucune sorte de discrimination. Il faut traiter tous les demandeurs avec la même attention. Nous cherchons des candidats compétents, capables et motivés et nous devons nous battre contre la dictature de l'apparence. Il nous faut nous appuyer sur des instruments d’évaluation objectifs pour juger la pertinence des candidats. Le cas de l’employée de Prada au Japon qui dit avoir été licenciée parcequ’elle est laide alimentera davantage le débat sur ce sujet. Les DRH doivent faire disparaitre ces discriminations.