Sentiment d’insécurité : il n’y a pas que la violence

SOCO

Nous appréhendons tous le danger à la suite des cas de violence enregistrés depuis peu. Les crimes liés à l’agressivité et aux vols reflètent le côté sombre de notre société, provoquant un sentiment d’insécurité. Les facteurs économique, familial et social y contribuent.

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Depuis début 2018, huit crimes ont été enregistrés à l’heure où nous mettons sous presse. Selon les derniers chiffres de  Statistics Mauritius, il y a eu une hausse de 6 % du taux de criminalité. Nul besoin de dramatiser, il faut surtout être plus prudents et prendre des précautions pour réduire le risque d’en être victimes. 

Ce sentiment d’insécurité est souvent palpable dans la société. Quand on quitte chez soi, on ferme la maison à double tour, les murs d’enceinte sont plus hauts et on vérifie à plusieurs reprises que la voiture est bien fermée. Des réflexes, voire une seconde nature, à force d’entendre des cas de vols répétitifs ou parce qu’on s’est fait déjà volé. Caméras de surveillance et alarmes de sécurité sont devenus un must dans certains quartiers.

Jacques René, 62 ans et habitant Ward 4, à Port-Louis, raconte : « Auparavant, on pouvait laisser sa porte ouverte et aller à la boutique sans craindre d’être cambriolé, mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Il faut tout verrouiller, fermer les fenêtres la nuit, mettre les cadenas, rien que pour ma porte d’entrée, j’en ai deux gros. Alors que mes voisins ont tous des alarmes et des caméras de surveillance. »

Le sexagénaire ajoute que les vols sont répétitifs dans le quartier. « Il y a quelques jours, ma voisine s’est fait attaquer à deux pas de chez elle. Des voyous à moto ont essayé de lui arracher son sac à main. Les voleurs n’ont même pas peur d’attaquer les gens en plein jour, lâche Jacques René. Chez moi, on est entré dans la cour et dépouillé mon manguier de tous ses fruits. Heureusement que les voisins sont solidaires. Quand nous détectons un comportement bizarre dans le quartier, nous nous passons le mot, afin de prendre des précautions. Nous avons aussi un Neigbourhood Watch. »

Des officiers de police sur un lieu du crime.

Comme notre intervenant, les Mauriciens, surtout les femmes, craignent pour leur sécurité. 89 % des victimes de violences sexuelles, en 2016, étaient des femmes et 56 % étaient âgées de moins de 16 ans, selon Statistics Mauritius. « En tant que femme, je ne me sens pas en sécurité dans les rues. Vous ne pouvez pas marcher sans vous faire siffler ou traiter de tous les noms. C’est insupportable ! Une fois dans le bus, un homme a essayé de me toucher. J’ai eu très peur. Je ne suis pas la seule à subir ces violences, toutes mes copines en ont fait ou font l’expérience. C’est révoltant ! » martèle Mira, 29 ans et habitant Grand-Baie.

étudiante à l’Université de Maurice, Mira termine ses cours très tard le soir. Prendre le bus pour rentrer est un gros stress, confie-t-elle. « En hiver, c’est pire car il fait nuit plus tôt et je crains de prendre l’autobus après 18 heures. C’est injuste pour une fille d’en être ainsi et de ne pas être libre de ses mouvements. »

Dr Pavi Ramhota, sociologue : « Crimes et violences sont plus médiatisés aujourd’hui »  

Pour le sociologue Pavi Ramhota, l’insécurité de nos jours est d’ordre socio-économique. « La violence a toujours existé dans notre société, la seule différence c’est que, de nos jours, les crimes et les violences sont plus médiatisés. » Ce problème de société, soutient-il, est plus profond. « Les gens ont peur pour leur avenir, leur travail, leur santé. Tout cela crée un sentiment d’insécurité grandissant. » 

Ces deux dernières décennies, les gens se sentent déstabilisés par l’incertitude, selon le Dr Ramhota. « Les emplois sont précaires, le coût de la vie augmente, les familles sont endettées et ne savent pas comment s’en sortir. La maladie, les accidents et le danger peuvent surgir de n’importe où. Par-dessus tout, les gens arrivent difficilement à faire confiance à leur gouvernement pour les protéger, ce qui n’aide pas à apaiser ce sentiment d’insécurité. à Maurice, aucun gouvernement n’a pu réaliser un projet concret de société. Il y a des projets routiers et d’infrastructures, mais qu’en est-il des projets de société ? »

Pour le sociologue, les mœurs qui évoluent et les valeurs qui s’effritent génèrent une hausse dans la criminalité. « Notre système académique a failli, nos enfants sont délaissés, les parents passent plus de temps au travail qu’en famille. Il nous faut revoir ce système. Les gens ont faim et ont besoin d’argent. Ils veulent une vie normale et souhaitent pouvoir accéder à une vie décente. Malheureusement, notre système ne peut satisfaire cette demande. »

Krishna Seebaluck, psychologue : « Nous avons peur d’être des victimes »

Pour le psychologue, le sentiment d’insécurité est un état psychologique. « Ce sentiment démontre l’état d’esprit des gens. Nous constatons qu’ils sont de plus en plus sensibles à l’insécurité, que ce soit chez eux ou dans la société. Cette sensibilité varie d’une personne à l’autre et c’est un sentiment qui se construit, dépendant de notre environnement et de nos perceptions. Nous n’avons pas tous la même notion du danger et les causes des sentiments sont difficiles à déterminer d’une façon certaine. »

Conscient des chiffres de la criminalité et des délits qui sont en hausse, le psychologue Krishna Seebaluck affirme que la criminalité à elle seule ne peut expliquer ce sentiment d’insécurité.

« Ces violences, qui surviennent dans la sphère publique et privée, alimentent ce sentiment et les craintes, mais elles n’en sont pas les principales moteurs. Le crime est un élément parmi d’autres. Beaucoup de personnes peuvent ne pas se sentir en sécurité sans jamais avoir été victime ou témoin. Mais nous connaissons tous quelqu’un, un ami ou un proche qui a été victime d’un vol ou d’un accident de la route, qui a perdu son emploi ou qui est dans une situation difficile. De plus, à travers les médias, nous avons tendance à intérioriser le vécu des autres et nous craignons d’être, à notre tour, des victimes. » D’autres facteurs clés à considérer, selon lui, sont l’exposition aux situations de danger et la vulnérabilité de la personne.


Questions à Komal Boodhun, lecturer en Criminology and Criminal Justice de l’Université de Maurice : « Trouver un équilibre entre punition et réadaptation »

Il fait peur de circuler la nuit à la Place Victoria, Port-Louis.

Qu’est-ce qui explique la criminalité ?
De nombreux facteurs influencent la vie d’un individu. Les facteurs de protection réduisent le risque d’avoir un comportement criminel. Les exemples incluent la résilience, les parents attentionnés, de bonnes opportunités éducatives, un quartier sain, un enseignant attentionné et des modèles positifs. D’un autre côté, il existe d’autres facteurs de risque qui pourraient contribuer à la violence. Ils peuvent être classés en trois catégories : individuelle (impulsivité, faible QI), familiale (violence, abus, chômage, addiction, pauvreté) et communautaire (vivre dans une communauté défavorisée, faire partie d’un gang, disponibilité d’une arme).

La criminalité serait une des conséquences de la pauvreté et des disparités sociales. Votre avis ?
Nous avons tendance à stéréotyper les individus. Il est important de reconnaître que beaucoup de gens travaillent dur chaque jour pour améliorer leur condition de vie. Malgré les difficultés à joindre les deux bouts, de nombreux « pauvres » n’ont pas recours à des activités criminelles pour améliorer leur situation financière. En outre, lorsque nous pensons au crime, nous parlons souvent de meurtre, vol, agression, viol, mais les crimes en col blanc, comme la fraude, l’usurpation d’identité et le détournement de fonds, ne sont pas nécessairement commis par les « pauvres ».

Néanmoins, la recherche a trouvé une relation positive entre les disparités économiques et sociales croissantes et l’instabilité sociale – y compris la criminalité – dans un pays. Puisque les gens ont de plus en plus de mal à réaliser leurs rêves, ils peuvent se sentir frustrés et céder à l’attrait de l’argent facile gagné illégalement.

Pourrions-nous mieux combattre la criminalité (violence, délinquance, etc.) à travers des services sociaux et la redistribution des richesses que par la répression ?
Les sanctions contre les activités illégales sont importantes pour leur effet dissuasif (sur celui qui a commis une offense ou d’autres qui seraient tentés). Toutefois, ne punir que la personne sans tenir compte de ses conditions sociales, économiques et familiales, ne sera pas efficace. Par exemple, si quelqu’un est condamné et envoyé en prison et qu’il n’a plus de certificat de caractère, sa réintégration dans la société sera difficile et ses possibilités limitées. Il pourrait alors avoir recours à une activité criminelle pour survivre et subvenir à ses besoins. Certains finissent dans une vie de criminalité et rester en prison, c’est le seul moyen d’avoir un toit sous la tête et un repas décent.

Dans de nombreux cas, l’adoption d’une approche punitive est limitée à long terme pour réduire le niveau de criminalité dans un pays. Les décideurs doivent trouver un équilibre entre le besoin de punition et la nécessité de réadapter les délinquants. Ceux qui ont un désir sincère de vivre une vie meilleure doivent avoir la possibilité de le faire

Pouvons-nous venir à bout de cette violence ?
Une approche holistique est cruciale pour permettre à ceux qui ont transgressé la loi de revenir sur la bonne voie, de bénéficier du soutien psychologique et d’être aidés pour être autonomes afin qu’ils puissent devenir financièrement indépendants.

 

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