Société

Survivre avec un salaire de misère…

Elles ont 30 et 59 ans et font partie de ces 100 000 travailleurs qui touchent un salaire de misère. Si les autres personnes dans la même catégorie touchent jusqu’à Rs 6 000, ces « cleaners » ne perçoivent que Rs 1 500. Leur cri du cœur mérite d’être entendu… Reshma a 59 ans. Ce petit bout de femme frêle aux cheveux grisonnants paraît avoir dix ans de plus. Elle peine à marcher, mais c’est avec détermination qu’elle accomplit ses tâches quotidiennes. Cela fait neuf ans qu’elle est cleaner dans une école. « Avant, je nettoyais la cour et les toilettes, désormais je m’occupe que des toilettes », dit-elle. Si elle choisit de témoigner de manière anonyme, ce n’est pas parce qu’elle a « honte de ce métier ». « Bien au contraire, je suis fière de travailler à la sueur de mon front. Me bizin pez nene bwar delwil ! On attend que je fasse mon travail et que je me taise. Nous sommes des femmes soumises, non à nos maris, mais aux patrons, aux dirigeants du pays, aux politiciens qui semblent bien plus intéressés à dépenser des milliards en infrastructures pour plaire aux étrangers au lieu de se soucier de leur peuple », lance-t-elle aigrie.

Menaces

Elle raconte avoir reçu des menaces de ses supérieurs. « Si to koze nou rass kontra la ek twa, to mor san manze », se rappelle Reshma. « Mais un jour, je témoignerai à visage découvert quand je n’aurai plus besoin de ce travail. Je raconterai toutes les misères qu’on nous fait subir. Tout le stress que l’on ressent chaque jour parce que nous ne savons pas si demain, nous serons toujours employés. Je vous raconterai comment j’ai dû subir les menaces du patron, les railleries des voisins et la méchanceté des enfants et adultes qui utilisent les toilettes. Certains n’ont aucun respect pour nous, cleaners. Ils nous traitent comme des animaux et on dit qu’ils sont plus éduqués que nous. Si c’est ça être éduqué, alors non merci », dit-elle. « Ces gens font toujours en sorte que notre travail augmente. Ils écrivent sur les murs, laissent les robinets ouverts, ne tirent pas la chasse d’eau, jettent du papier partout et c’est nous qui devons passer derrière eux pour nettoyer toute leur saleté. Voilà pourquoi je n’ai jamais souhaité que mes enfants subissent le même sort que moi. Mon mari travaille et mes deux enfants ont pu faire des études. Même s’ils n’ont pas de postes bien rémunérés, je prie pour qu’ils ne connaissent jamais cet univers. » Derrière l’histoire de ces femmes qui se ressemblent toutes à cause du salaire de misère qu’elles perçoivent se cachent d’autres histoires ou incidents plus tristes. Marie B., 36 ans, n’a pas la même force de caractère que Reshma. Cela fait deux ans qu’elle est cleaner et voudrait à tout prix faire autre chose. « Malheureusement, je n’arrive pas à trouver du travail. Je n’ai même pas mon CPE. Je ne sais ni lire ni écrire. Je cherche un autre emploi parce que ma fille a honte de moi. Nous travaillons dans l’école de notre localité et ma fille y est admise. Elle ne supporte pas de m’y voir, car ses camarades se moquent d’elle. Je la comprends. Mais en même temps, je suis obligée de travailler. Ces Rs 1 500 paient les factures. Je suis divorcée et ma fille est sous ma responsabilité. Je suis triste, car notre relation s’est détériorée. À la maison, elle ne m’adresse plus la parole et refuse d’aller à l’école. Je ne lui en veux pas. Un jour, elle comprendra. J’ai dû quitter mon ancien job quand mon mari est parti, car je n’avais personne pour s’occuper de ma fille. »

« Rs 34,06 par heure »

Nila vit dans un faubourg de Port-Louis. Elle est mariée et a trois enfants. Cela fait 7 ans qu’elle est cleaner. « Chaque année, on nous promet un travail décent et nous gardons espoir. Mais en sept ans, mon salaire a augmenté par Rs 300. Je touche Rs 34,06 par heure. Je dois travailler trois heures pour jour. Mais la plupart du temps, cela me prend plus d’une heure pour tout nettoyer. Personne ne peut me reprocher de bâcler le travail. Il m’est impossible de cumuler les emplois, car je ne peux jamais savoir à quelle heure je vais quitter l’école. Je garde espoir qu’un jour, tout cela va changer, qu’on aura une fiche de paie. Ils peuvent nous mettre à la rue quand ils le veulent, nous n’avons pas de preuve que nous travaillons pour eux. Auparavant, nous n’avions droit à aucun congé. Après une âpre lutte, nous avons eu droit à cinq sick leaves et local leaves. C’est inhumain de traiter les gens de cette façon », conclut-elle. [blockquote]«Nous sommes des femmes soumises, non à nos maris, mais aux patrons, aux dirigeants du pays, aux politiciens qui semblent bien plus intéressés à dépenser des milliards en infrastructures pour plaire aux étrangers au lieu de se soucier du peuple»[/blockquote]

De Rodrigues à Maurice

Comme de nombreux Rodriguais, Francine a tout quitté pour venir à Maurice. « Je voulais un meilleur avenir pour mes enfants », dit cette habitante de cité La Cure, cleaner depuis cinq ans. « Tous les mois, il me manque de l’argent pour la nourriture. Je dois alors emprunter et lorsque je rembourse, il ne me reste plus grand-chose », raconte-t-elle. Victime du cercle vicieux de la pauvreté, elle avoue qu’elle a voulu tout abandonner. « Mes enfants sont nés ici et ils ne veulent pas rentrer à Rodrigues. Pour moi, ce serait la meilleure solution. Là-bas, on ne va pas mourir de faim. Dire que certaines personnes dépensent plus que mon salaire avec leurs chiens. Cela me fait de la peine. » Les mains sur la tête, elle regarde vers le ciel, comme pour essayer de chercher une solution. Elle appréhende l’arrivée des vacances. « Nous ne sommes pas payés pendant cette période. Au premier trimestre, nous recevons seulement une semaine de salaire et au troisième, un mois sur deux. Ce sera dur. Je vais devoir chercher un emploi du soir, car pauvres ou pas, nous devons faire plaisir à nos enfants pour la Noël. Avec ce salaire, on ne pourra rien acheter, alors je vais sans doute essayer d’aider un marchand ambulant quelque part pour avoir Rs 100 par jour. Rien n’est sûr. » Nous sommes interrompues par son fils de 5 ans qui, lui demande un bout de pain. Elle avoue qu’elle n’a rien à mettre dans le pain. « Il ne faut pas s’étonner, cela fait partie de notre quotidien. Mon fils mangera du pain sec, il s’y est habitué. Vous verrez, il ne va même pas s’en plaindre. » Lorsqu’elle revient, elle avoue : « C’est mon cœur de mère qui saigne. On aura beau crier, supplier, quémander... en vain ! »
 
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Jane Ragoo: « Il faut cesser cette exploitation »

Elles ont manifesté devant le Parlement, jeudi, à l’initiative de la Confédération des travailleurs du secteur privé (CSTP). Elles dénoncent leur maigre salaire. Si une centaine de cleaners exerçant dans les écoles ont été licenciées en septembre quand le contrat de leurs employeurs n’a pas été renouvelé par le gouvernement, celles qui ont pu préserver leur emploi dénoncent leurs conditions de travail. Elles ont adressé une correspondance à tous les parlementaires. Jane Ragoo affirme : « Au lieu de les employer, le gouvernement les a laissées aux mains de ceux qui leur proposent de nouveaux contrats. Désormais, les conditions sont pires. Auparavant, elles étaient deux à nettoyer la cour, il n’y a aujourd’hui qu’une seule personne à le faire, les autres ont été licenciées. Nous déplorons de telles conditions. Que le gouvernement respecte sa promesse électorale pour un salaire décent. Nous voulons mettre tous les parlementaires devant leurs responsabilités, nous espérons une réaction. Il faut cesser cette exploitation ! »
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