Interview

Tali Nates : «On ne peut parler de génocide dans le cas du Sri Lanka»

Tali Nates

Tali Nates, Sud-africaine d’origine polonaise, est une activiste des droits humains qui respire la vie et la passion pour ce qu’elle fait. Collaboratrice de DIS-MOI, elle a récemment animé un atelier de travail pour les activistes  de PILS, CARES, PASSERELLE ET DIS-MOI, entre autres. Tali est la fondatrice et directrice du Johannesburg Holocaust and Genocide Centre (JHGC). Historienne de formation, elle donne des conférences internationales sur la prévention de génocide, la réconciliation et les droits humains. Elle a bienveillamment, avec sa verve habituelle, accepté de se confier à Lindley Couronne.

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Qui est Tali Nates?
Je suis une juive, Polonaise d’origine, ayant passé mes dernières 35 années en Afrique du Sud, à Johannesburg plus précisément. Je suis mariée à un gestionnaire en investissement et j’ai deux enfants, qui sont maintenant des adultes. Mon père Moses Turner a la particularité d’avoir été sauvé par Oskar Schindler, membre du parti nazi. Ceux qui ont pu voir La Liste de Schindler, film réalisé par Steven Spielberg et paru en 1982, savent de quoi je parle. Il a été avec son frère les seuls survivants de sa famille. Quand j’étais assez grande pour comprendre, mon père m’a dit : « Tu sais ma fille, si je suis en vie aujourd’hui, c’est grâce à un Allemand ». La grande leçon de vie qu’il m’a inculquée, c’est qu’on ne peut jamais généraliser, car face aux horreurs, les êtres humains ont toujours le choix. Et dans la vie, nous avons perpétuellement des choix à faire.

Vous avez fait de hautes études universitaires et vous êtes historienne. Pourtant vous avez abandonné l’académie pour l’activisme. Pourquoi ce choix ?
Voyez-vous, je ne sous-estime pas l’académie comme vous dites. En fait, j’étais privilégiée d’enseigner aux étudiants d’université dans les années 90, mais je me sentais frustrée de ne pas pouvoir faire la différence dans ce monde. En tant qu’enseignante, je pouvais effectuer des recherches, les publier, influencer un certain nombre d’étudiants, mais en réalité très peu d’entre eux... Et puis, si je regarde au fond de moi-même, je réalise que je suis toujours influencée par mon père qui était un héros pour moi et peut-être par moi aussi, qui a le syndrome de Superwoman (rires). L’enseignement ne me permettait pas d’être aussi utile que je le voulais pour la société. Donc je suis entrée de plain-pied dans l’univers des ONGs que je trouvais plus épanouissant. Je vous donne un exemple qui est resté ancré dans ma mémoire. J’avais un projet dans lequel je devais travailler comme facilitatrice pour un groupe composé de femmes, de soeurs, de mères et d’épouses des ex-prisonniers de Robben Island, une île d’Afrique du Sud située au large du Cap. Nous les avons emmenées de nouveau à Robben et pendant trois jours, nous avons parlé, chanté et pleuré. Je pouvais sentir à quel point cette expérience était un soulagement pour ces femmes. Elles débutaient un processus de guérison ô combien important, elles qui ont vécu un tel traumatisme.

Qu’est-ce qui vous a motivé de fonder le Holocaust and Genocide Centre ?
Je voulais créer un espace dédié aux questions des droits humains et au dialogue où nous apprenons comment les droits humains ont été bafoués dans le passé et faire de manière, à mon modeste niveau, qu’elles ne se reproduisent pas.

Il y a eu aussi certainement l’influence de mon père qui est mort d’un cancer à 48 ans, donc relativement jeune. Je ne voulais certainement pas créer un musée où les gens viennent visiter une fois et s’en vont. Je voulais un centre d’éducation et de mémoire pour que l’humanité tire des leçons du passé.

Mon père Moses Turner a la particularité d’avoir été sauvé par Oskar Schindler, membre du parti nazi. Il a été avec son frère les seuls survivants de sa famille»

Au cours d’une de nos discussions, vous m’avez corrigé au sujet du Sri Lanka, en soulignant qu’on ne peut parler de génocide dans ce cas spécifique. Alors, comment définissez-vous un génocide ?
Nous sommes d’accord qu’il y a des catégories de crimes atroces : crimes contre l’humanité, crimes de guerre, purification ethnique, torture et génocide, entre autres Il y a évidemment des punitions selon le droit international pour ces différentes atrocités. Pour le mot génocide (géno = race, cide = extermination), il a été inventé par Raphael Lemkin, avocat en droit international  en 1944.  Il n’y avait pas de mot pour décrire  ce concept, mais cela ne veut pas dire évidemment qu’il n’y avait pas de génocide, loin de là. Les hommes ont agi en tant que barbares bien avant l’ère moderne. L’intention d’exterminer est l’un des critères déterminants du génocide et c’est ainsi que l’apartheid n’est pas considéré comme un génocide. Un autre cas, ce sont les assassinats de masse perpétrés dans les années 1930 par Stalin qui ne sont pas considérés comme un génocide, mais comme des tueries politiques, car il n’y a pas eu l’intention d’exterminer un peuple. Notons aussi que ce n’est qu’en 1948, avec l’avènement de la Déclaration Universelle et de l’ONU qu’une Convention va naître sur cette question, intitulée la « Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide ».

L’histoire de l’humanité est jalonnée de génocides. Le dramaturge Johann Wolfgang von Goethe disait que « ceux qui n’ont pas appris de 3000 ans d’histoire vivent seulement au jour le jour ». Expliquez-nous, vous la spécialiste des génocides, comment le cauchemar rwandais a pu avoir lieu en 1994 ? Vivrons-nous toujours « au jour le jour » ?
Après la Deuxième Guerre mondiale, les hommes ont dit « Plus jamais ça ! ». Pourtant, il y a eu encore et encore des atrocités. Je rappelle pour les jeunes lecteurs que dans l’espace de trois mois, les Hutus ont massacré près de 800 000 Tutsis, Rwandais comme eux, à coup de machette. Je pense que la communauté internationale a commis l’erreur de ne pas être intervenu à l’apparition des premiers signes d’avertissement, dont des attaques verbales, extrêmement violentes, sur les ondes des radios, comme l’utilisation des termes cancrelats, serpents ou encore « un bon tutsi est un Tutsi mort ! ». La communauté internationale, avec tous ses experts, aurait dû dire que c’était le signe et intervenir, mais personne ne l’a fait. Nous l’avons vu aussi avec les Rohyingas. Cet échec de la communauté internationale nous rend tous coupables.

Vous étiez présente à la conférence du Dr Roni Mikel ce mardi à DIS-MOI (Mémoires de migration et migration de mémoire : l’histoire transnationale des réfugiés juifs à Maurice). Que vous inspire cette partie de l’histoire de Maurice, ignorée par 95 % des Mauriciens ?
Connaître son pays, c’est aussi connaître son histoire, y compris ses différents chapitres : la colonisation, l’engagisme, l’esclavage, etc. Le pouvoir colonial durant la Deuxième Guerre mondiale faisait partie des « good guys », n’est-ce pas ? Mais ils ont emprisonné pendant cinq ans des réfugiés qui n’avaient rien fait ! Aujourd’hui, nous voyons la même chose avec des millions de réfugiés qui fuient la guerre et qui sont emprisonnés, alors que les États sont membres d’une ONU qui célèbre les droits humains !

Tali, vous êtes si amoureuse de Maurice que vous avez une résidence à Rivière Noire. Qu’aimez-vous de notre pays?
Ah ! J’adore votre pays. J’aime le peuple mauricien et l’énergie qu’il dégage ! La magnificence de l’île, la manière que les gens recherchent des solutions locales aux problèmes locaux, mais aussi la tolérance qu’on y voit et ce n’est pas un cliché ici.

Le mot de la fin ?
J’aime dire aux jeunes que je forme aux génocides et à l’holocauste : « Je vous ai raconté cette histoire non pour vous affaiblir, mais pour vous rendre plus forts ». Il ne faut pas vivre les yeux fermés, mais connaître le monde avec sa beauté, mais aussi avec ses horreurs pour ne pas les répéter.

 

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