Interview

Tamby Mootoosamy, ex-policier : «À mon époque, l’uniforme imposait le respect et la crainte»

« Pour le public, nous incarnions l’autorité, la loi et la force », déclare Tamby Mootoosamy. « Pour le public, nous incarnions l’autorité, la loi et la force », déclare Tamby Mootoosamy.

Les frasques de certains policiers défrayent parfois l’actualité et amènent le public à s’interroger sur leur sens de la discipline, les valeurs de leur métier et l’exemplarité dont ils devraient faire montre. Tamby Mootoosamy, 71 ans, ancien policier, soldat et enquêteur de la CID, entré dans la force policière en 1970, porte un regard lucide sur ce métier, en le comparant à ces années où l’uniforme imposait « le respect et la crainte ».

« Dans ces années-là, si on vous renvoyait, vous étiez couvert de honte, la famille vous cachait, un chien valait mieux que vous ». En quelques mots, Tamby Mootoosamy résume l’image prestigieuse que revêtait le métier de flic dans le passé. Cet après-midi, comme c’est le cas presque tous les jours, il est attablé devant des coupures de presse et magazine qui contiennent des mots fléchés, mots croisés et autres sudokus et il se triture les méninges devant des cases vides. « C’est un bon exercice pour conserver la mémoire vive », dit ce sexagénaire à la chevelure abondante et mi-longue et à la barbe tout aussi fournie. À Trèfles, où il est domicilié depuis une trentaine d’années, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes et surtout les gosses qui passent devant sa maison, le gratifient d’un bonjour. C’est que sa personnalité, sa grande taille, sa bonne humeur imposent le respect. « Sans oublier que je balaie devant ma porte sur le chemin », ajoute-t-il en riant.

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Un ex- « Royaliste »

Il s’est joint à la force policière en 1970, après des études aux collèges Royal de Port-Louis et John Kennedy. Benjamin d’une famille qui compte six enfants, dont le père était commerçant et la mère femme au foyer, aurait-il pu trouver mieux pour avoir été un ex- « Royaliste » ?... mais il préfère sourire à cette question. À 21 ans, donc, il s’enrôle comme constable, subit le training à Port-Louis durant six mois avant d’être nommé au poste de Beau-Bassin. « Les trois mois où je suis resté là-bas ont été calmes », se souvient-il. Il est ensuite muté à Bambous avant d’être transféré à Rose-Hill. La seule difficulté dans ces années, confie-t-il, était de trouver à manger, le soir. À Bambous, ses parents lui feront apporter le repas du soir par le contrôleur de l’autobus. Le salaire de Rs 250, concède-t-il, était amplement suffisant à cette époque, permettant de faire des économies.

Durant ces affectations, il se souvient encore des excellents rapports entre le public et la police. « À cette époque, nous avions des uniformes qui étaient « cangés », donc raides, sans plis. Leur seule vue imposait le respect. Pour le public, nous incarnions l’autorité, la loi et la force. Personne ne haussait le ton avec un policier. Nous étions aussi polis, courtois, mais fermes ». Le plus drôle, poursuit-il, c’était le sentiment que provoquait la présence de policiers chez un individu ou une famille. « Cela donnait lieu à toutes sortes de questions, alors que cela pouvait être tout simplement la visite d’un policier chez un membre de sa famille », ajoute-t-il.

Milieu des prostituées

Durant ses fonctions à Rose-Hill, où il avait rejoint le service des « garde-bâtons », les seuls incidents qui émaillaient le travail des policiers venaient du milieu des prostituées qui tapinaient déjà Route Royale, devant un snack très connu. « Mais c’était des incidents mineurs. Les seuls homicides, un ou deux fois l’an, survenaient durant les fêtes de fin d’année, à cause de l’abus d’alcool », indique-t-il. Durant les grandes grèves de 1971, il fut peu concerné, se souvenant que des policiers étaient assignés à la protection de certains autobus. « Il y avait aussi eu un cas où un policier avait reçu une balle, à proximité d’un garage d’autobus Route Hugnin, mais je ne sais pas s’il y avait eu une enquête, car l’époque était plutôt trouble ».

L’année suivante, à cause de son statut de célibataire, il est muté à la Special Mobile Force, où les hauts gradés sont encore des Britanniques, à l’exception de Dan Bhima, qui était Company Commander. « C’était encore une fois une excellente occasion d’éprouver la discipline, d’autant qu’il fallait s’exprimer en anglais durant les parades et les exercices. C’est comme cela, qu’aujourd’hui, je me rends compte combien la discipline fait défaut presque partout à Maurice et c’est un des facteurs qui expliquent les dérives de notre société, ses failles et ses travers », regrette-t-il.

Petite et grande voyouterie

Après trois années à Vacoas, et du fait de son mariage avec une enseignante, il demandera d’être muté à Port-Louis, préférant sa maison natale au logement de fonction qu’on lui proposait. Dans la capitale, opérant au poste d’Abercrombie, il se sent dans ses lieux, étant un enfant de Port-Louis qui connaît tous les recoins de la capitale et sa petite et grande voyouterie. « C’était moins fatigant aussi ; avec mon vélo, j’arrivais à mon travail en 15 minutes », observe-t-il. Le fait d’être Port-Louisien et de bien cerner les réalités de la grande ville lui vaudra d’être enrôlé dans les rangs de la CID. « Au commencement, j’ai fait des allers-retours entre ce service et les policiers, puis j’ai fini par rejoindre les enquêteurs de façon permanente et par être posté aux Casernes centrales », indique-t-il.

Lorsqu’il en vient aux rapports de la police avec le milieu du banditisme à Port-Louis, il se contentera de dire que les trafiquants s’employaient à ne jamais défier la police. « Ils connaissaient les policiers qui habitaient à Port-Louis, aussi ils ne voulaient rien faire qui pourrait les impliquer. Moi-même, je connaissais quelques célébrités de ce milieu, mais j’étais un enfant de l’endroit et ils le savaient. Puis, à l’époque où j’ai pris mes fonctions à Port-Louis, ces gens avaient vieilli, ils avaient perdu de leur prestige ; ce sont les militants du MMM qui avaient commencé à régner sur la capitale », explique-t-il. Concernant les enquêtes de la CID, il ne veut pas tirer toute la couverture à lui, précisant qu’il s’agit d’un travail d’équipe, chaque enquêteur étant chargé d’une partie d’une investigation, selon ses aptitudes.

« …ingérence politicienne… »

À quel moment, lui demande-t-on, l’image de la police a-t-elle commencé à se dégrader ? « Cela a commencé avec l’ingérence politicienne, à partir de 1983, au moment où les politiciens ont commencé à donner des directives à la plus haute instance de la force. Nous, les petits policiers, on ne savait pas grand-chose, on nous disait que les ordres venaient d’en haut et on voulait juste conserver notre job ». Depuis, la réputation de tout le service n’a cessé de se dégrader, atteignant les « petits policiers ». « Il faut essayer de contextualiser, cet état de fait, avec l’influence des réseaux sociaux, l’ingérence directe des politiciens, l’érosion des valeurs familiales et traditionnelles. Je n’excuse rien, mais parfois je tente de comprendre le comportement de ces jeunes policiers. Je ne sais même pas si le durcissement des lois réduirait le taux de criminalité, car beaucoup de choses se passent dans la tête d’une personne qui s’apprête à commettre un acte criminel », nuance-t-il.

À la retraite depuis l’âge de 53 ans, il n’a rien perdu de la discipline qui structurait ses activités. « Je me couche avant 22 heures et je me réveille à 5 heures. J’entretiens la cour et devant ma porte de clôture. Comme je n’ai jamais voulu posséder de voiture, je prends le bus ou je marche pour aller au marché ou à la boutique du coin. Je suis de près l’actualité locale et internationale. De temps à autre, je prends un petit verre de whisky, mais toujours sans excès. Je fais les choses à un rythme ralenti », résume-t-il.

 

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