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Tempête saisonnière

La victoire du Brexit au référendum du 23 juin n’est ni le premier ni le dernier choc économique dans le monde. La crise de la dette souveraine dans la zone euro avait aussi suscité de vives inquiétudes chez les opérateurs mauriciens. Au lendemain de son éclatement, soit le 28 mars 2012, le cours acheteur de la livre sterling, comme indiqué sur le site web de la Banque de Maurice, était de Rs 44,61, et celui de l’euro, Rs 37,10 – des taux inférieurs aux cours actuels… L’indice Stoxx Europe 600 avait reculé de 11 % au final, mais a repris complètement en l’espace de trois mois. Après avoir chuté de 7 % en un seul jour à l’annonce des résultats en faveur du Brexit, l’indice Footsie de Londres a vite effacé les pertes subies. Ainsi va le marché. Un ministre des Finances n’a pas à se préoccuper des fluctuations des marchés. Ils surréagissent souvent mais finissent par se réajuster pour peu que l’État les laisse forger librement leurs propres jugements. Le marché n’est jamais statique, ce qui fait qu’il n’y a rien de « structurel » dans un taux de change qui est déterminé par l’offre et la demande. Certes, l’effondrement de la monnaie de Sa Majesté est spectaculaire, mais les réalités économiques reprendront graduellement le dessus. Le retrait de la Grande-Bretagne de l’Union européenne est une tempête saisonnière, et non une catastrophe majeure. Pour Maurice, c’est une grande opportunité de réformes économiques. Le budget national qui sera présenté le 29 juillet prochain vient à point nommé. Il devra certainement mettre le Brexit en équation. Mais on ne conçoit pas une politique sur des réactions mélodramatiques qui sont des prétextes pour demander une aide exceptionnelle de l’État, une nouvelle baisse du taux d’intérêt et une dévaluation de la roupie. La seule devise sur laquelle intervient notre Banque centrale est le dollar américain. Le taux roupie/livre n’est pas établi directement, mais par un croisement entre le taux roupie/dollar et le taux dollar/livre. En supposant celui-ci constant, pour faire remonter délibérément la livre à son cours d’avant le Brexit, c’est par rapport au dollar qu’il faudra dévaluer la roupie, et le cours vendeur du billet vert devra alors atteindre les Rs 40. On voit mal les autorités prendre un aussi gros risque inflationniste alors que le prix international du pétrole a pratiquement doublé depuis la dernière réunion du comité de politique monétaire. Et pourquoi pénaliser tous les consommateurs, épargnants et retraités quand seulement 6,5 % de nos exportations étaient libellées en livre sterling en 2015 ? Du reste, il existe de fortes chances que la livre s’apprécie contre le dollar dans les mois à venir. D’abord, la Banque d’Angleterre a jugé bon jeudi dernier de ne pas abaisser son taux directeur. Ensuite, la hantise d’une victoire de Donald Trump en novembre pèsera sur le cours du dollar. Enfin, l’histoire monétaire est un éternel recommencement : l’éjection de la livre du système monétaire européen en 1992 avait vu celle-ci chuter avant de se raffermir. À l’époque, les Cassandre avaient prédit que l’économie britannique allait sombrer. Ils faisaient la même prévision lors du lancement de l’euro en 1999. Mais la Grande-Bretagne est devenue plus prospère, et sa monnaie s’est renforcée. Qui aurait cru que la livre s’échangerait à Rs 67 fin 2006 ? La dévaluation de la livre rendait les exportations britanniques plus compétitives. C’est aussi le cas actuellement. De plus, la baisse de l’impôt sur les sociétés en Grande-Bretagne, de 20 % à 15 %, va relancer sa croissance économique. De celle-ci serait tributaire le volume (plus important que la valeur) des exportations mauriciennes. Tant qu’il n’est pas affecté, il n’y a pas de « manque à gagner » pour le pays, sauf des pertes de change pour l’exportateur individuel. D’ailleurs, le marché britannique ne représentait que 12,6 % de nos exportations en 2015, contre 50,5 % en 1984. L’économie locale s’est bien diversifiée. Dévaluer la roupie ne donnera pas les mêmes résultats, tout simplement parce qu’elle n’est pas une monnaie internationale et parce que nos exportations ont un fort contenu en importations. Et puis, la monnaie mauricienne n’est pas la seule qui s’est appréciée contre la livre. Il en est de même des monnaies des pays concurrents. Donc, les pertes de compétitivité ne sont que relatives. Dès lors, ce sont des facteurs réels qui déterminent la compétitivité externe de l’économie mauricienne. Ils sont la productivité, les salaires, les réglementations industrielles et les infrastructures physiques. La productivité est elle-même fonction des talents individuels et des biens d’équipement qui permettent aux individus de transformer leur temps en création de valeur. Là encore, écrit Paul Krugman dans son ouvrage International Economics, « un avantage absolu dans la productivité par rapport aux autres pays n’est ni une condition nécessaire ni une condition suffisante pour avoir un avantage comparatif dans la production de ce bien ». La raison est que l’avantage compétitif d’une industrie dépend aussi du taux de salaire intérieur relatif au taux de salaire étranger. Jusqu’ici, les échanges commerciaux de Maurice avec le Royaume-Uni bénéficient des marges préférentielles qui compensent les hausses salariales, le manque de main-d’œuvre qualifiée et les déficiences des services publics dans l’île. Mais le gouvernement post-Brexit nous proposera très probablement un traité de libre échange qui exclut toute préférence commerciale. Avec les Chagos en vue, il vaut mieux commencer dès maintenant des réformes économiques que de compter sur les futures négociations commerciales.
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