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Terrorisme, géopolitique et religion

Yogen Sundrun (au centre) a pris le nom d’Abu Shuaib Al Alfriqi après sa conversion à l’islam
Prenons un raccourci. Imaginons que le régime « communiste » de Kamal/Najibullah en Afghanistan dans les années ‘80 avait pu mettre en œuvre son programme politique : réforme agraire, éducation pour tous, y compris pour les filles, soins de santé reproductive et travail pour les femmes. Il n’y aurait pas eu de talibans, pas de Ben Laden, pas de 11-Septembre, pas d’invasion d’Afghanistan et de l’Irak, pas de Daesh.
Laissons de côté les savantes théories de Marx sur le mode de production et la superstructure, société, qui s’en dégage. «It’s the Economy, stupid», comme qui dirait Bill Clinton. Eh oui derrière chaque guerre, y compris les guerres dites saintes, se cachent de gros intérêts économiques ou de pouvoir, ou les deux à la fois. En Afghanistan, les gros propriétaires terriens ultraconservateurs, de véritables féodaux à l’image de leurs pairs, les latifundiaires en Amérique latine, se sont drapés de la religion afin de combattre le projet de redistribution des terres, ainsi que les autres réformes socialisantes. Lorsque le régime afghan d’alors a eu recours aux Soviétiques (d’après l’accord de coopération militaire qui existait entre les deux régimes – il est vrai cousu de fil blanc) afin de mettre au pas la révolte armée des chefs de tribus, les États-Unis se sont mis aussi de la partie. Bien sûr, le monde était en pleine guerre froide et les Américains ne pouvaient rester insensibles à une telle « invasion russe ».
[blockquote]«La croisade (guerre sainte) de Bush et Blair, sous le fallacieux prétexte que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive, a engendré 700 000 morts en Irak (imaginons deux-tiers de la population de l’île Maurice rasés de la surface de la terre!)»[/blockquote]
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Ben Laden et les talibans

  Leurs alliés, l’Arabie saoudite, d'une part, a fourni le financement et les Ben Laden, de l’autre le Pakistan a formé les talibans dans ses écoles coraniques. Les deux fournissaient aussi un alibi de taille et une médaille aux Américains : la guerre sainte contre le communisme. Il fut oublié pour un moment, en fait depuis belle lurette, que les Américains étaient et sont toujours le principal souteneur d’Israël en Palestine occupée, cette écharde dans la chair du Moyen-Orient qui n’en finit de pourrir les relations internationales et la stabilité du monde depuis près de 70 ans. Mais bon, les intérêts bien compris du monde libre valaient bien une sainte alliance entre les Américains et les talibans par Arabie saoudite et Pakistan interposés, deux pays qui, comme tout le monde le sait, sont des modèles de démocratie et des droits de l’homme. La lune de miel entre Américains et talibans a pris fin lorsque les mollahs et Ben Laden ont commencé à retourner les lance-missiles Stinger, portés à même les épaules, fournis par la CIA, contre des intérêts occidentaux, dans la poursuite de leur djihad (guerre sainte), encouragée au départ par les Américains contre les Soviétiques.

700 000 morts en Irak

Daesh (le mouvement dit État islamique) a pris naissance dans pratiquement les mêmes conditions en Irak, avant de s’étendre en Syrie pour finalement devenir une nuisance à l’ensemble du monde. La croisade (guerre sainte) de Bush et Blair, sous le fallacieux prétexte que Saddam Hussein possédait des armes de destruction massive, a engendré 700 000 morts en Irak (imaginons deux-tiers de la population de l’île Maurice rasés de la surface de la terre!). Cette War for Oil s’est déroulée pour l’essentiel loin des caméras des grands médias « embedded », mais les images parcimonieuses des corps d’enfants déchiquetés et le traitement des détenus de la prison d’Abou Ghraib nous donnent une idée de l'étendue de la barbarie. Les Américains, comme d’habitude, ont compris un peu sur le tard que la guerre qu’ils livraient à Saddam Hussein (qu’ils avaient encouragé auparavant dans sa guerre contre l’Iran avec des millions de morts des deux côtés ; ce qui n’était pas pour déplaire à Israël) renforçait en fait leur ennemi mortel, l’Iran, en portant les chiites au pouvoir en Irak. Qui, par la suite, a ravivé, sinon fomenté, la sous-guerre ethnique chiite-sunnite afin de se tirer du bourbier irakien ? On ne peut que deviner à qui profite le crime, mais des documents en libre circulation sur internet attestent des étranges connexions entre les fondateurs de Daesh et les officines de la CIA, voire du Mossad, service de renseignement israélien [À lire notamment America Created Al-Qaeda and the ISIS Terror Group (19 septembre 2014) sur le site www.globalresearch.ca ; Now the truth emerges: how the US fuelled the rise of Isis in Syria and Iraq (3 juin 2015) sur le site www.theguardian.com ; More proof that ISIS is CIA-Mossad sur le site www.tomatobubble.com].

Libye : plus de la moitié de la population en exil

Bis repetita en Libye, et maintenant en Syrie. Qui a financé, entraîné, armé et soutenu les « Combattants de la Liberté », hier contre Kadhafi et aujourd’hui contre Assad ? Le résultat c’est que selon un rapport de Human Rights Watch, plus de la moitié des Libyens vivent aujourd'hui en exil, dont 200 000 dans des tombeaux en Égypte (Egypte : le fardeau des derniers kadhafistes (8 septembre 2014) sur le site Liberation.fr). Une tragédie sans commune mesure pour un pays phare de l’Afrique dont le niveau de vie social des habitants battait celui du champion des droits de l’homme [À lire : Mourning the death of the 'messiah of Africa' (6 décembre 2015) sur le site www.bbc.com]. La Syrie, de même, est devenue le champ de bataille de tous les intérêts croisés et des marchands de canon du monde. Les Saoudiens et certains pays du Golfe, sous prétexte de combattre Assad, l’allié des chiites de leur ennemi, l’Iran, rejoints en cela par les Occidentaux et en sous-main par Israël ; les Turcs saisissent l’occasion pour régler les comptes de leur guerre territoriale avec les Kurdes ; les Russes ont ouvert un contrefeu pour, à défaut de faire oublier leur rôle en Ukraine, marchander avec les Occidentaux sous couvert de croisade commune contre le terrorisme.

Syrie : 200 000 morts et 4 millions de réfugiés

Et qui paie à prix fort les pots cassés ? Le peuple Syrien ! Un pays en ruines, plus de 200 000 tués, 4 millions de réfugiés en quatre ans de conflit [À lire How Syrians are Dying (14 septembre 2015) sur le site www.nytimes.com]. Et le carnage continue. Et il s’est même trouvé des Mauriciens pour aller « faire le djihad contre Assad ». Le djihad contre Assad et le Yémen et à Paris, et pas contre l’occupant israélien qui poursuit en toute quiétude sa politique de colonisation en Palestine, en dépit de toutes les résolutions de l’ONU ?! [blockquote]«Les maîtres marionnettistes, qui tirent les ficelles dans l’ombre, ont fini par embrigader des jeunes écervelés pour en faire de la chair à canon commode au profit de leurs intérêts stratégiques»[/blockquote]

Des jeunes comme chair à canon

C’est là l’un des grands drames de toute cette histoire sur fond de sombres desseins géopolitiques : les maîtres marionnettistes, qui tirent les ficelles dans l’ombre, ont fini par embrigader des jeunes écervelés pour en faire de la chair à canon commode au profit de leurs intérêts stratégiques. Et ces derniers croient dur comme fer qu’ils mènent une guerre sainte, aussi « noble » sans doute que celle que menaient les purs et durs durant la période de l’Inquisition. Maintenant que les attentats frappent non seulement la sphère géographique, s’étendant de Tanger à l’Indonésie, mais aussi les capitales occidentales, il est intéressant d’entendre les cris de révolte. Notamment pour remettre en question le rôle non seulement de financiers, mais de matrices idéologiques de certains pays du Golfe, l’Arabie saoudite et le Qatar en tête, principaux alliés de certaines puissances occidentales, auprès des mouvements terroristes dits islamistes  [Voir aussi notre article : Bérenger, la Malaisie et l’Arabie saoudite (2 mars 2014) sur le site www.defimedia.info].  
   

Religion et terrorisme

  Réduire la problématique du terrorisme à une guerre des religions ou une guerre de civilisation, comme le font les intégristes des deux bords, ne pourra que faire le jeu des terroristes en polarisant les débats de manière manichéenne, avec d’un côté les bons et de l’autre les méchants. Or, le monde dans la richesse de sa diversité est tout en nuances. Le réduire en noir et blanc c’est empoisonner «the milk of human kindness», prendre en otage le reste du monde et victimaires les innocents. Première condition de lutte contre le terrorisme dit religieux : Afin d’exorciser la méfiance, il faut se garder de la tentation de véhiculer des préjugés ou se faire les chantres d’une pseudo-civilisation supérieure. L’on sait, par exemple, à quelles horreurs a conduit le colonialisme au nom de la fameuse « mission civilisatrice ». Les religions et les pratiques spirituelles, on ose le croire, portent en elles des valeurs communes à l’humanité qui se résument à la paix, le droit à la dignité humaine, la solidarité et la compassion envers autrui, et surtout une éthique dans la vie quotidienne. Réduire l’islam, qui a porté la civilisation, tout au moins architecturale, jusqu’à Cordoue, au cœur de l’Europe, et qui compte 1,6 milliard de fidèles à travers le monde, à la barbarie d’une secte de quelques milliers d’illuminés, manipulés en plus, ce serait comme si l’on équivaudrait le christianisme à l’Inquisition déjà condamnée par l’Église, ou encore l’hindouisme au rite de la Sati, une tradition marginale rendue illégale par l’État indien. Ce serait en tout cas insulter ces religions et leurs adeptes. Or, l’anathème et l’ostracisme appellent à la confrontation et la violence. Alors que la compréhension et le dialogue sont de mise. Mais il est vrai aussi, comme l’a souligné fort justement l’avocat Michel Ahnee dans Le Grand Journal de Radio Plus jeudi 10 décembre, qu’une réflexion est de rigueur à l’intérieur de chaque communauté religieuse quant aux mesures à prendre afin d’éviter les dérives. Deuxième condition de lutte contre le terrorisme et l’endoctrinement : L’État mauricien a désormais l’obligation, sans doute avec le concours des organisations concernées, de veiller au grain quant à la qualité de l’éducation religieuse dispensée dans l’île, notamment la provenance des formateurs et éducateurs qui enseignent la religion ou même les langues dans les institutions publiques et privées. Et si elles importent à Maurice des idéologies racistes et communalistes d’un autre âge. Non seulement l’État, mais les parents en premier lieu ont l’obligation de veiller à quels enseignements sont soumis leurs enfants au nom de la religion ou de la culture. Troisième condition de lutte contre l’idéologie totalitaire et la violence : Outre une éducation ouverte sur le monde et des opportunités de rencontres et de découvertes, il faut pratiquer, à tous les échelons de la société, une politique d’équité et d’intégration dignes d’un État de droit. La société civile doit veiller au strict respect des droits et valeurs universels tels qu’inscrits dans notre Constitution. Le sentiment d’injustice et d’exclusion, perçu ou réel, mène souvent à l'aliénation et à des malaises qui constituent, à leur tour, des terreaux fertiles aux apprentis-sorciers. À l’échelon international, comme l’écrit l’économiste Nouriel Roubini, « if the West ignores the Middle East or addresses the region’s problems only through military means (the US has spent $2 trillion in its Afghan and Iraqi wars, only to create more instability), rather than relying on diplomacy and financial resources to support growth and job creation, the region’s instability will only worsen. Such a choice would haunt the US and Europe – and thus the global economy – for decades to come» [The Middle East Meltdown and Global Risk Read (1er octobre 2015) sur le site www.project-syndicate.org].  
 

Une nouvelle génération se lève

À 18 ans, elle aura connu tous les plaisirs de la vie mondaine auxquels ses parents n’auraient pas aspiré toute une vie durant. Cette génération a besoin d’idéaux pour survivre. Hélas ! Souvent, les « role models » (parents, enseignants, politiciens), censés la guider, ne sont pas disponibles ou authentiques. Pis, les jeunes grandissent dans un monde où au lieu de justice naturelle, ils découvrent que «might is right». Derechef, réduire la problématique terroriste à une simple question religieuse ou comportementale c’est d’ignorer les racines du mal. Entre l’être et la société, l’utopie ou la mort n’est pas une solution. Nous avons beaucoup de questions à nous poser et de réponses à trouver dans un monde globalisé en pleine mutation.

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